Les courtiers en assurances et les assureurs n’ont pas chômé ces dernières semaines. Les entreprises romandes leur ont adressé beaucoup de demandes, que ce soit dans le domaine des RHT (réduction de l’horaire de travail), des assurances maladie ou perte de gains, des crédits, des risques, des non-paiements, etc. De nombreuses questions légitimes se posent face à cette crise sanitaire inédite, notamment sur ses contrats d’assurance existants. Petit tour d’horizon avec trois experts romands.
Bien évaluer ses risques
Yann Krebs, responsable clients chez le grand courtier en assurances romand Swiss Risk & Care, constate depuis quelques semaines que de nombreuses PME cherchent avant tout, et logiquement, à dégager des liquidités parfois au détriment des portefeuilles d’assurances. «Il ne faut pas le faire, assure-t-il. Cette crise nous a montré l’importance de l’identification et de l’évaluation des risques auxquels nous sommes exposés. Ce processus de gestion des risques est très important et ne doit pas être négligé. Il est primordial pour l’entreprise d’identifier avec précision son risque financier et de se poser la question si elle peut l’assumer ou si elle doit s’assurer.»
Une attitude également prônée par Christian Lagger, chef du département des assurances patrimoine à la Vaudoise. «Nous conseillons aux PME de prendre le temps de revoir leur portefeuille d’assurances avec leur assureur pour que l’entreprise puisse être orientée quant aux risques qu’il est possible ou non de transférer auprès d’un assureur dans le cadre d’une situation comme le Covid-19.»
Hausse des cyberattaques
Yann Krebs met en avant des couvertures qui pourraient être renforcées à l’avenir grâce aux enseignements tirés de la crise sanitaire, en particulier les attaques informatiques contre les PME qui ont fortement augmenté ces derniers temps. «Les hackeurs profitent de la situation pour renforcer leurs méfaits, les cas augmentent chaque semaine. Nous proposions déjà des assurances contre ces attaques, aujourd’hui nous les recommandons vivement.» Les assureurs s’accordent à ce sujet: avec le télétravail, il existe un risque plus important de fraude, il faut donc envisager la possibilité de se couvrir contre le risque de vol, de détroussement, d’abus de confiance ou autres piratages.
Les assurances crédit
La branche d’assurance crédit devient également un service de plus en plus nécessaire. Il s’agit de se prémunir contre les non-paiements des clients, un phénomène logiquement croissant durant les crises économiques. «Si les paiements des clients n’ont pas été effectués dans les délais, les compagnies avancent les montants aux entreprises assurées et s’occupent ensuite de récupérer l’argent auprès des débiteurs», explique le courtier de Swiss Risk & Care. Il existe des produits classiques d’assurance crédit pour les PME moyennes ainsi que du sur-mesure pour les plus grandes.
Luca Caretti, directeur commercial pour la Suisse de la société de courtage spécialisée en assurance-crédit A.U. Group, donc le siège mondial est à Paris et qui est présente dans plus de 38 pays, commente: «Je dirais que, malheureusement pour ceux qui n’étaient pas couverts contre le risque d’impayés de leurs clients, il est aujourd’hui très difficile de souscrire une telle assurance… mais pas impossible. Pour les chanceux qui sont actuellement couverts en assurance crédit, la nécessité d’être bien assuré prend tout son sens lors d’une période de crise. A noter que lorsqu’un client demande une prorogation d’échéance ou un plan de paiement, il est impératif d’obtenir un accord écrit de l’assureur avant de valider ce report d’échéance. La déclaration de sinistre doit aussi impérativement être effectuée dans les temps sous réserve de refus d’indemnité de la part de l’assureur.»
Assurance pandémies?
Beaucoup d’entrepreneurs ont été surpris par le fait que leurs assureurs ne prenaient pas en considération leurs demandes d’indemnités malgré la signature d’un produit «épidémies». «Ces solutions d’assurance ne couvraient pas forcément les situations de pandémie, cela varie selon les conditions générales d’assurance de chacun. De plus, l’interprétation diffère parfois entre preneur d’assurance et compagnies. C’est un débat qui verra certainement son épilogue devant les tribunaux», considère Yann Krebs.
Il est à noter qu’aujourd’hui la plupart des assureurs suisses ont retiré ces solutions d’assurance «épidémies» du marché. «La plupart des assurances mentionnent clairement une exclusion pour des agents pathogènes ayant amené l’OMS à déclarer un niveau de pandémie 5 ou 6», ajoute l’expert de la Vaudoise. Or, dans le cadre du Covid-19, l’OMS a déclaré le 11 mars 2020 que nous faisions face à une pandémie de phase 6… Que faire alors pour l’avenir? «La situation que nous vivons va certainement poser de nouvelles questions, notamment sur l’assurabilité ou non des pandémies. L’une des solutions envisageables serait que le secteur public et le secteur privé travaillent ensemble, par exemple au moyen d’une solution de pool, comme cela existe déjà dans certains pays pour les risques de terrorisme, dommages naturels ou nucléaires», estime Christian Lagger. Patience donc.
Attention au minimum de prime!
Luca Caretti évoque une situation inattendue: «Nos clients sont également inquiets de ne pas atteindre le minimum de prime contractuel. En effet, la prime est fixée selon le chiffre d’affaires de l’assuré; il se pourrait que le minimum de prime ne soit pas atteint vu la situation actuelle. Mais attention, réduire la prime peut avoir un impact sur le montant maximum de décaissement de l’assureur!» Bon à savoir pour ceux qui y réfléchissent.
Négociations possibles
Dans vos démarches, il faut savoir que, comme dans de nombreux cas ou domaines d’activité, la plupart des compagnies d’assurances accordent des délais de paiement rallongés pour les primes échues depuis mars. Il ne faut pas hésiter à contacter son assureur ou son courtier si l’on souhaite reporter le paiement de sa prime.
Des réflexions pour l’avenir
Des problèmes de trésorerie sont apparus assez rapidement dès le début de la crise, ayant pour conséquence des retards de paiement et des annonces de sinistre. «Du coup, certains assureurs sont devenus assez frileux et ont commencé à réduire des limites de crédit, avec pour conséquence de freiner le développement commercial de beaucoup de sociétés. Il faudra du temps pour revenir à la normale et retrouver le niveau de couverture d’avant-crise. En même temps, c’est une opportunité à saisir pour les sociétés, car dorénavant elles devront être plus méfiantes et anticiper davantage», note Luca Caretti.
S’assurer après une crise est certes possible, mais on constate que l’obtention des offres est souvent bien plus difficile et les coûts plus élevés, ajoute-t-il. Christian Lagger donne le mot de la fin: «Naturellement, le sujet des épidémies et des pandémies prendra certainement une place plus prépondérante dans l’échange avec nos clients. Le dialogue permettra aussi de mettre en lumière les risques catastrophes que les clients sous-estiment souvent mais dont l’impact peut être dévastateur (tremblement de terre, terrorisme, etc.).»