Francesco de Rubertis a l’accent italien, l’esprit américain des affaires et le goût helvétique du travail bien fait. Récemment établi à Genève, ce brillant biologiste est à l’origine d’une des plus ambitieuses créations de société romande, Centessa Pharmaceuticals, lancée début 2021 dans le monde entier avec un financement de 250 millions de dollars. Valorisée aujourd’hui à près de 1 milliard de dollars, l’entreprise se distingue d’une pharma traditionnelle en investissant dans des start-up biotech qui se concentrent sur un unique programme de recherche.

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La décision de poursuivre ou non des essais cliniques n’est pas basée sur la stratégie du groupe mais sur les résultats de chacune des start-up, conférant ainsi un rôle inédit de «chercheurs-entrepreneurs» aux scientifiques qui travaillent, tels des chefs de projet, sous la houlette de Centessa. «L’idée germait déjà en moi, mais la situation particulière de la pandémie m’a donné le temps de la réflexion et de la mise en œuvre du projet. Il peut parfois s’avérer intéressant de se retrouver confiné en Suisse romande!» s’amuse le fondateur.

Francesco de Rubertis, vous êtes titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire de l’Université de Genève. Comment êtes-vous devenu un important financier dans le monde de la pharmaceutique mondiale?

L’idée est partie de Genève. Je suis le cofondateur de la société d’investissement Medicxi, très active dans le financement des biotechnologies. C’est par ce biais que nous avons lancé Centessa Pharmaceuticals, dont je suis le président du conseil d’administration. Je voulais trouver une nouvelle façon de travailler dans mon domaine en cultivant notamment la liberté d’entreprise.

En combien de temps avez-vous monté cette énorme opération?

Ce doit être une sorte de record, surtout pendant la pandémie. En quelques mois, tout a été pensé, décidé, puis concrétisé et le projet a été présenté aux investisseurs. Le montage de la structure légale et les mises aux normes juridiques dans tous les pays sont pourtant très compliqués, cela a représenté un travail incessant et gigantesque.

L’idée est donc née de Genève, qui n’est pas historiquement un géant de la pharmaceutique. Quel est votre rapport avec cette ville?

Je vis à Genève et nous y possédons des bureaux centraux. Centessa se trouve un peu partout dans le monde, avec un siège social à Cambridge, dans le Massachusetts. Mais Genève représente un pôle financier important pour trouver des investisseurs et nous comptons confirmer notre croissance depuis ici pour entrer un jour dans le top 20 mondial des pharmas.

La Suisse romande est pleine de jolies biotechs…

Oui, et nous sommes déjà investis dans cette région par le biais de Medicxi. Notre histoire et notre modèle d’affaires sont suisses, ainsi que notre structure financière. Mais nous sommes très intéressés par les sociétés biotech «locales» et nous investirons certainement un jour en Suisse romande avec Centessa; je l’espère en tout cas. Je passe le message aux entrepreneurs et aux universités romandes, nous voudrions en effet en faire beaucoup plus ici, en Suisse.

Quel est votre rôle dans cette infrastructure mondiale et où travaillez-vous?

Ma base est à Genève, mais je voyage beaucoup lorsque cela est possible. Aux Etats-Unis évidemment, mais également auprès de nos filiales qui sont en France, au Canada et au Royaume-Uni. En ce qui concerne mon rôle, c’est celui d’un président de conseil d’administration qui est responsable de gérer toutes ces filiales. Centessa possède une infrastructure relativement délocalisée, il faut veiller à ce que cela fonctionne.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui après ce lancement historique?

Après tout ce travail et ces émotions liées au lancement de Centessa, je suis excité, très content de pouvoir lancer une société qui pourrait devenir très importante dans le monde de la pharmaceutique.

Votre modèle d’affaires est unique au monde. Comment vous est venue cette idée?

Notre approche est centrée sur les actifs et les molécules. Nous avons en effet concrétisé le regroupement de dix sociétés de biotechnologie privées (considérées comme des filiales, ndlr) qui continueront chacune à développer leurs actifs sous la supervision de l’équipe dirigeante de Centessa. En résumé, elles bénéficient toutes d’un haut degré d’autonomie pour développer des médicaments percutants. Nous sommes une sorte de laboratoire biopharmaceutique de nouvelle génération ayant pour objectif de restructurer le processus de développement de médicaments traditionnel.

Et en cas d’échec?

Notre système permet d’abandonner rapidement les recherches qui n’aboutissent pas. Les laboratoires pharmaceutiques classiques ont des contraintes structurelles à grande échelle qui n’existent pas chez nous. Chaque équipe est incitée de façon unique à rapidement poser des hypothèses scientifiques majeures, c’est notre façon de pousser la recherche et le développement à leur maximum.

Comment attirer les laboratoires et sociétés prometteurs dans votre groupe?

C’est avant tout un aspect humain qui fera la différence. Nous nous adressons à des chercheurs qui pourront garder une totale liberté d’action dans leur travail et dans leur société tout en étant rémunérés par nos soins. Dans les faits, ils reçoivent également des actions Centessa qui les prémunissent d’un potentiel échec de leur médicament. Ils sont en quelque sorte «protégés» par les autres projets qui se déroulent en parallèle.

Votre conseiller scientifique Moncef Slaoui, ancien «Monsieur Vaccin» de l’administration Trump et ancien administrateur du fabricant de vaccins anti-covid chez Moderna, a dû démissionner de son poste chez Centessa à la suite d’accusations de harcèlement lors d’un ancien emploi. Qu’est-ce que cela change pour l’entreprise?

Cette annonce a représenté un éclair dans notre ciel serein. Cette démission est liée à une ancienne affaire dont nous ne connaissions pas l’existence et qui est devenue médiatique il y a quelques semaines. Mais Centessa est une opération globale avec des dizaines de chefs exécutifs de pointe et des génies scientifiques. Malgré ce départ important, notre projet continue évidemment.


D’Index Ventures à Centessa, une aventure genevoise

Centessa a été fondée cette année par Medicxi, l’une des plus grandes sociétés de venture capital dans les sciences de la vie d’Europe. Le fonds genevois est pour sa part un spin-off du fonds de capital-risque Index Ventures, créé à Genève à la fin des années 1990 par les frères Neil et David Rimer, qui avait réussi de jolis coups financiers en investissant dans Skype, Dropbox ou la biotech danoise Genmab.

Partenaire d’Index Ventures, Francesco de Rubertis recherchait davantage d’autonomie pour les sciences de la vie, qui représentaient environ un tiers de l’activité d’Index. L’idée était de se spécialiser et d’augmenter les investissements dans le médical. En 2016, il cofonde Medicxi, à l’origine d’investissements en Suisse en amont dans la zurichoise Molecular Partners ou l’équipe genevoise d’ObsEva, ainsi que dans la lausannoise OncoEthix, revendue à Merck, ou encore la société Addex. Mais le coup d’éclat est venu de la revente en 2018, pour 7 milliards de dollars, d’Impact Biomedicines au géant Celgene. Medicxi avait investi dans cette société à une période où elle ne pesait que 50 millions de dollars.

Centessa est constituée de dix sociétés biotech, pour la plupart américaines et anglaises, concentrées chacune sur un unique programme de recherche et dont le développement était jusque-là financé par Medicxi (voir encadré). De nombreux fonds et investisseurs de premier ordre ont participé au financement, dont une grande partie aux Etats-Unis. Centessa est dirigée par l’ancien responsable de la recherche chez Bristol-Myers Squibb, Saurabh Saha.


Les 10 start-up de Centessa

  • ApcinteX:Traitement de l’hémophilie
  • Capella BioScience: Fibrose pulmonaire
  • Janpix: Solution contre les leucémies et les lymphomes
  • LockBody: Ciblage des tumeurs
  • Morphogen-IX: Hypertension artérielle pulmonaire
  • Orexia Therapeutics: Traitement des narcolepsies
  • Palladio Biosciences: Maladies héréditaires du rein
  • PearlRiver Bio: Cancer du poumon
  • Z Factor: Dysfonctionnement du foie
  • PegaOne: Cancers de la peau
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Edouard Bolleter