Comment réformer la loi sur la prévoyance professionnelle? Face au vieillissement de la population et à la baisse de l’espérance de rendement, la question accapare le Conseil fédéral et les institutions de prévoyance depuis de nombreuses années. En 2010 déjà, le peuple avait rejeté une première réforme sur la prévoyance professionnelle. Puis, en 2020, c’est un projet de réforme élaboré par des partenaires sociaux qui se retrouve sur les pupitres des parlementaires fédéraux, hélas sans convaincre l’ensemble des parties. A l’instar de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), de l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP) et de l’Association suisse d’assurances (ASA).

Sébastien Cottreau est gérant du FIP et des autres institutions de prévoyance au Centre Patronal. Cet actuaire de formation a passé plus de dix ans dans le conseil aux caisses de pension, puis six années à l’autorité de surveillance des fondations. Depuis 2015, il met à profit son expertise pour le Centre Patronal. Au sein de leur groupe de travail, Sébastien Cottreau a détaillé leur proposition de réforme de la loi sur la prévoyance professionnelle. Un projet «optimal dans sa globalité», selon lui, «qui a le mérite de se concentrer sur la prévoyance obligatoire et de garantir l’objectif de prestations aussi pour les personnes dans les situations les plus fragiles».

Rejetée dans les urnes, la réforme de la prévoyance ne rassemble pas. Quelles sont les raisons de ce rejet et pourquoi cette réforme est-elle nécessaire?

Le projet de réforme «Prévoyance 2020» avait l’ambition pertinente de prendre en considération la prévoyance de manière globale, c’est-à-dire les 1er et 2e piliers. Cela semblait juste d’un point de vue d’objectif de prestations. Par contre, il n’était pas souhaitable de proposer un financement croisé entre deux systèmes fondamentalement différents. Néanmoins, une réforme demeure nécessaire. Pour l’AVS, elle est la conséquence, principalement, de l’augmentation de l’espérance de vie et de la péjoration du ratio entre personnes actives et retraitées. Cette évolution est constatée depuis plusieurs années. Mais elle a été compensée par une immigration importante de personnes actives. Elle ne sera plus suffisante dans le futur pour combler le départ à la retraite des générations post-baby-boomers.

Quels sont les défis qui attendent la LPP?

Ils sont multiples et résultent principalement d’une part de l’augmentation de l’espérance de vie et de la baisse des espérances de rendement sans risque; et d’autre part de l’évolution du marché du travail. Avec un même capital de retraite, il est désormais nécessaire de verser plus de rentes alors même que ce capital générera moins de rendement. Par ailleurs, les jeunes entrent plus tardivement dans la vie active; le temps partiel est plus fréquent et l’employabilité des seniors doit demeurer favorable.

Le projet de loi, baptisé LPP 21, reprend la baisse du taux de conversion du capital de retraite en rente. Ce taux est actuellement de 6,8% pour la part obligatoire de la prévoyance. Le Conseil fédéral et les partenaires sociaux proposent de l’abaisser à 6% d’un seul coup. Cela ne concerne pas la part surobligatoire, qui est libre et où des taux inférieurs à 5% sont déjà pratiqués. Tout cela reste très technique. Expliquez-nous les impacts que cette réforme aura sur les futures rentes…

Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie et de la baisse des espérances de rendement avec un même capital de retraite, la rente doit donc être plus basse. D’un point de vue actuariel, le calcul de la rente annuelle devrait être effectué avec un taux de 5,2% pour un homme à 65 ans en tenant compte d’une espérance de rendement prudente à long terme (2,0%).

Cependant, la LPP obligatoire a l’objectif constitutionnel de maintenir le niveau de vie à la retraite de manière appropriée, en particulier pour les personnes percevant un salaire jusqu’à environ 86 000 francs…

Tout d’abord, il faut bien se rappeler que la LPP est une loi-cadre qui instaure notamment des minima en termes de prestations de retraite. Chaque collectif de salariés choisit de se soumettre à un plan de prévoyance qui peut aller au-delà des dispositions légales minimales, dites LPP obligatoire. Dans ce cas, le taux de conversion devient alors un paramètre pour atteindre cet objectif de rente de retraite. Il était de 6,8% et le consensus politique s’accorde sur un abaissement à 6,0%. Les cotisations d’épargne doivent toutefois demeurer suffisantes pour atteindre l’objectif de rente. Au-delà de la LPP obligatoire, la logique actuarielle reprend le dessus. Le taux de conversion peut être alors de 5,2%, voire plus bas ou plus haut, en fonction du degré de prudence souhaité. Plus le taux sera élevé, plus l’institution de prévoyance devra constituer des provisions pour couvrir les risques pris. Plus le taux est bas, moins la caisse de pension prend de risques.

La future loi LPP 21 propose trois modes de compensation aux assurés: le premier est un supplément de rente alloué aux retraités durant les quinze années qui suivent l’entrée en vigueur de la réforme; le deuxième est la baisse de la déduction de coordination, qui détermine le salaire assuré par la LPP par rapport à celui de l’AVS; le troisième est le rééchelonnement des bonifications de vieillesse. Pourquoi cela reste insuffisant, selon vous?

De manière générale, la déduction de coordination et le niveau des bonifications de vieillesse sont des paramètres qui entrent en ligne de compte pour atteindre l’objectif de prestations de retraite. En pratique, les personnes à temps partiel sont défavorisées. Abaisser la déduction de coordination permet de leur offrir une meilleure couverture de prévoyance. Les paramètres du projet LPP 21 sont suffisants pour atteindre l’objectif mais pas pour tous. Réduire la déduction de coordination n’est qu’une demi-mesure. La supprimer permet d’annihiler complètement l’écart de couverture entre les personnes à plein temps et celles à temps partiel.

Depuis 2017, le Centre Patronal est au cœur d’une task force qui planche sur une réforme de la LPP plus adéquate. Vous êtes d’ailleurs les premiers à publier le projet. Expliquez-nous le besoin de ce projet et ses contours…

Le Centre Patronal est au cœur des entreprises vaudoises. Il gère des conventions collectives de travail en pleine application du partenariat social, administre une caisse AVS, gère cinq institutions de prévoyance et leur fortune. Le Centre Patronal connaît ainsi parfaitement les enjeux du marché du travail tout en ayant l’expérience de la prévoyance. Notre projet est donc né de nos expertises dans les différents aspects de la prévoyance. Il est optimal dans sa globalité. Il a le mérite de se concentrer sur la prévoyance obligatoire et de garantir l’objectif de prestations aussi pour les personnes dans les situations les plus fragiles. Les dispositions transitoires que nous proposons sont innovantes, efficaces, simples et moins coûteuses car elles bénéficient à ceux qui en ont réellement besoin. Au-delà de la garantie offerte par la LPP, il faut demeurer libéral et laisser à chaque collectif et à chaque institution de prévoyance la liberté de définir ses prestations et son financement.

La proposition de réforme de la LPP du Centre Patronal a pour objectif d’adapter les divers paramètres actuels de la LPP obligatoire tout en respectant entre autres l’objectif constitutionnel du maintien du niveau de vie antérieur à la retraite et une harmonisation avec la durée de cotisation de 44 années du 1er pilier. Expliquez-nous.

Le modèle du Centre Patronal pour l’AVS propose de comptabiliser les années de cotisation à partir de 21 ans, et dès 18 ans si un seuil minimal est atteint. Il s’agit d’atteindre l’objectif de 44 années de cotisation. Ainsi, celles et ceux qui ont cotisé dès 18 ans pourront partir à la retraite à 62 ans. Pour celles et ceux qui sont entrés tardivement sur le marché du travail et qui ont cotisé 44 ans, cet âge de retraite est possible jusqu’à 70 ans. De manière harmonisée, notre projet de réforme de la LPP prévoit ainsi un âge de départ à la retraite entre 62 et 70 ans, et le calcul d’une garantie minimale de rente en conséquence.

Selon vous, la réforme proposée par le Conseil fédéral néglige les petits salaires et les temps partiels, majoritairement occupés par les femmes. Comment comptez-vous régler ces inégalités?

Prenons l’exemple d’une personne avec un salaire annuel de 60 000 francs. Aujourd’hui, par le biais de la LPP obligatoire, elle a la garantie minimale de cotiser sur un montant arrondi de 35 000 francs. Elle peut ainsi atteindre un objectif de rente de 11 900 francs. Une autre personne qui cumule le même salaire annuel mais réparti entre deux activités à mi-temps cotise obligatoirement sur 10 000 francs. Son objectif de rente sera de 3400 francs, soit trois fois et demi inférieur. La suppression de la déduction de coordination efface complètement cette inégalité de couverture de prévoyance issue uniquement d’une activité à temps partiel.

L’avenir est à la multiactivité et à la démultiplication des statuts professionnels. Comment la réforme de la LPP peut-elle inclure ces changements de fond sur le marché du travail?

La suppression de la déduction de coordination répond aux activités à temps partiel en termes d’objectif mais également administrativement. Sans déduction de cotisation, le taux de cotisation peut s’appliquer directement sur le salaire, qu’il soit mensuel ou horaire. Il aurait été encore plus simple d’avoir un taux unique de cotisation. Mais la transition depuis la LPP actuelle aurait été trop ardue et coûteuse. Ensuite, rendre la cotisation obligatoire dès 18 ans permet de constituer son capital plus tôt, ce qui peut s’avérer utile en cas d’interruption totale ou partielle de son activité, par exemple dans le cadre d’un deuxième cycle de vie professionnelle.