L’ÉCOSYSTÈME DE L’INNOVATION

La moitié des 10 premiers classés du TOP 100 Swiss Startup Award 2019 emploient plus de 50 collaborateurs. Leurs fondateurs ont vécu ces quatre ou cinq dernières années de manière intense. Ils ont travaillé sur leur prototype, puis négocié avec les investisseurs et aujourd’hui, ils embauchent de nouveaux employés pour leur expansion internationale. Le monde des grandes entreprises ne permet pas de carrière aussi fulgurante. Menée par l’Université de Saint-Gall et la Haute Ecole spécialisée de Fribourg, l’enquête Global University Entrepreneurial Spirit Students’ Survey (GUESS) est éloquente. Quelque 53% des étudiants suisses interrogés considèrent la participation à un projet de start-up comme une option professionnelle envisageable. Il y a dix ans, ils n’étaient que 45%.

également interessant
 
 
 
 
 
 

Le plan de carrière traditionnel attire de moins en moins les représentants de la génération Y. Poursuivre un objectif en compagnie de personnes partageant les mêmes valeurs, faire une différence pour améliorer le monde et donner des impulsions positives sont autant de motivations. L’écosystème de l’innovation offre un cadre idéal pour cela. Les limites de ce qui est techniquement possible s’éloignent chaque jour, les marchés sont littéralement illimités et un nombre croissant de compagnies et d’investisseurs s’intéressent aux start-up technologiques. Un salaire modeste et du mobilier d’Ikea? Pas de problème. Ce qui compte, c’est la perspective d’une aventure qui offre de nouveaux défis à chaque étape.

Dans l’histoire d’une start-up, un premier jalon est franchi lorsque les partenaires et les clients font confiance à l’équipe et soutiennent le projet. Se pose ensuite la question de la stratégie de croissance: autofinancement ou financement externe? Si l’équipe décide d’attirer des investisseurs, la gestion de la société informelle à la machine à café, c’est terminé! Business angels et investisseurs en capital-risque attendent des processus de gestion professionnels. L’ingénieur, qui jusqu’à présent gérait tout, va être nommé CTO et prendre la comptabilité sous sa responsabilité. Le chef des ventes va se transformer en CEO à plein temps.

D’autres tours de financement suivront. Le conseil d’administration et la direction vont discuter de stratégie de sortie. Pour l’équipe fondatrice, ce sont des décisions difficiles. Qu’est-ce qu’une vente de l’entreprise signifie pour chacun? Rester ou partir? Celui qui reste se décide pour une carrière en entreprise. Celui qui part a de nouveau le choix. Grâce à l’argent et à l’expérience générés par la première start-up, il peut se lancer dans un nouveau projet. Ou alors il se pose en business angel et étudie les possibilités de financer d’autres sociétés.

Certes, serial entrepreneurs et business angels recommencent tout à zéro. Mais la deuxième fois, tout est différent. Car outre les ressources financières et l’expérience, les jeunes entrepreneurs d’hier ont aussi acquis un savoir-faire et une crédibilité. Découvrez cinq jeunes ingénieurs et scientifiques pleins de mordant. Peut-être les licornes de demain...


L’EXPLORATRICE: SANDRA TOBLER

A ce jour, les solutions d’authentification en deux phases de Futurae sont utilisées dans 18 pays. Nombre de gens ne le remarquent même pas. Et c’est comme ça que les choses doivent se passer. «Nos atouts sont la convivialité et la sécurité», déclare la CEO, Sandra Tobler. Les technologies One et Zero-Touch ont été conçues par les cofondateurs Claudio Marforio et Nikos Karapanos, au sein du System Security Group de l’EPFZ. Sandra Tobler les connaît de longue date. «Cela faisait des années qu’ils recherchaient des applications de sécurité conviviales pour en développer un produit.» Aujourd’hui, Sandra Tobler partage leur destin dans un rôle d’entrepreneur.

L’informatique l’a toujours intéressée. Après avoir étudié les relations internationales à Genève, elle a rejoint IBM. Elle y a pratiquement tout fait: management de la clientèle internationale, négociation des contrats, gestion de projet et du changement. «J’ai passé de belles années», commente-t-elle. Puis, après cinq ans, elle est entrée à l’agence fédérale de promotion du site helvétique S-GE. Son travail: construire une plateforme pour l’industrie suisse des TIC. Plus récemment, elle a vécu à San Francisco pendant deux ans, où elle faisait le lien avec le Ministère suisse des affaires étrangères.

«Au fil des ans, j’ai développé un réseau international», explique Sandra Tobler. Elle l’utilise maintenant pour Futurae. L’entreprise est en pleine croissance. Les clients sont issus d’industries ayant des exigences élevées en matière de sécurité informatique: les secteurs de la finance, de l’assurance et de la santé. D’importantes entreprises telles que l’opérateur boursier SIX ou le groupe Aduno obtiennent des contrôles d’accès à leurs systèmes informatiques sous forme de software-as-a-service auprès de cette petite start-up de dix personnes qui n’est sur le marché que depuis deux ans.

«J’ai toujours été extrêmement curieuse», souligne Sandra Tobler. L’inconnu l’attire. Chez Futurae, elle est au bon endroit, car personne ne peut prévoir ce que la numérisation et l’internet des objets vont changer ces prochaines années. Selon la jeune femme, une seule chose est certaine: «Plus on numérise d’applications et de processus, plus on crée d’interfaces utilisateur. Et tous ont besoin de contrôles d’accès simples et sécurisés.»


LE SERIAL ENTREPRENEUR: MICHAEL FRIEDRICH

file76uh05o2znt1hzexr32d
Michael Friedrich, CEO Distalmotion.
© Bianca Litecher

Les débuts de Michael Friedrich à la société vaudoise de technologie médicale Distalmotion ont été houleux. Après son arrivée en tant qu’investisseur et CEO, il est entré en conflit avec les fondateurs. Le Bernois de 38 ans a tenu bon et a racheté leurs participations. «Dans ma première start-up, j’ai appris que pour que ça marche, tout le monde doit se serrer les coudes.»

Aïmago est le nom de son premier projet medtech. Après la vente de la société au groupe américain Novadaq, il s’est rendu compte qu’il ne voulait pas être un rouage dans une grande entreprise et a démissionné après trois mois. Michael Friedrich avait besoin d’un nouveau défi. En 2014, il rejoint Distalmotion. Le spin-off de l’EPFL travaillait sur un robot qui simplifierait les procédures mini-invasives dans la cavité abdominale. «Le concept derrière le robot Dexter m’a enthousiasmé», dit l’entrepreneur. Les robots chirurgicaux existants sont extrêmement coûteux et bannissent le médecin derrière un écran, loin du patient. De son côté, Distalmotion se profile comme un prestataire de services.

«Nous installons Dexter chez le client et fournissons le matériel nécessaire», explique Michael Friedrich. Les coûts sont facturés par opération. Le modèle forfaitaire devrait permettre d’obtenir des rendements élevés à long terme, mais sa mise en place coûtera beaucoup d’argent. C’est pourquoi la société prépare une nouvelle ronde de financement. Il est question de lever entre 50 et 100 millions de francs.

«Le package semble convenir aux investisseurs», commente le patron de Distalmotion. Ce qu’il ne dit pas, c’est que lui-même a une valeur importante, car il a l’expérience d’avoir monté une entreprise acquise par une grande compagnie. Un premier contrat de distribution pour Dexter a déjà été signé, les autorisations nécessaires seront délivrées pour la fin de l’année et les premières commandes arrivent.

Fait amusant, le responsable des ventes et du marketing est un ancien superviseur de Michael Friedrich. Il s’agit de l’ancien responsable pour l’Europe de Novadaq, qui travaille depuis l’année dernière pour Distalmotion.


LE CONTE DE FÉES: DOMINIK TAROLLI

file76uh0697hxuryfuh5it
Dominik Tarolli, directeur Smart Cities chez Esri.
© Bianca Litscher

«Quinze jours de pluie au lieu de 150. C’est la différence entre la météo d’ici et celle de Saint-Gall, d’où je viens», s’enthousiasme Dominik Tarolli. Qu’il soit en vacances ou non, il se lève tous les jours à 4h30 du matin et roule sur l’Interstate 10 jusqu’à Redlands, le siège social d’Esri, un fournisseur de logiciels de géo-information qui compte plus de 4000 employés.

Dominik Tarolli, sa femme et ses deux enfants vivent dans la région de Los Angeles depuis maintenant sept ans. Sur sa carte de visite, on peut lire «Director Smart Cities». Il dirige une organisation commerciale qui compte plus de 80 distributeurs sur les cinq continents. L’époque du démarrage d’entreprise est révolue. Mais le produit que lui et ses cinq cofondateurs ont développé est toujours d’actualité. Logiciel pour le codage tridimensionnel des maisons, des rues et des arbres, le CityEngine fait partie des outils Esri pour l’industrie cinématographique. Les paysages urbains virtuels de blockbusters comme The Incredibles 2, Blade Runner 2049 ou le film d’animation Zootopia, récompensé par un Oscar, sont basés sur un savoir-faire développé à l’EPFZ. Le spin-off Procedural a amené le produit sur le marché en 2007. Puis le groupe Esri a acquis Procedural en 2011.

«Mes clients sont moins glamours, mais c’est tout aussi passionnant», s’amuse Dominik Tarolli. Il s’agit principalement d’administrations communales. En Suisse, les villes de Zurich, de Genève et de Lucerne travaillent avec le CityEngine. Le logiciel transforme les cartes en vues 3D ou en plans de construction constitués d’images photoréalistes.

Economiste d’entreprise de formation, Dominik Tarolli a accumulé les expériences en tant que collaborateur de l’agence de promotion de l’innovation Venturelab. Il aurait pu travailler sur le site de recherche et développement d’Esri à Zurich. Mais il a préféré la Californie du Sud. «Une maison de rêve avec cinq chambres et leurs salles de bains. La piscine devant la porte, que voulez-vous de plus?» Pour ce Saint-Gallois de 45 ans, le déménagement équivalait à une nouvelle vie. «J’ai l’impression d’aller à Disneyland tous les matins. Et en plus je suis payé pour ça!»


LES MONTAGNES RUSSES: NICOLAS ABELE

file76uh064xck6qxjea7nu
Nicolas Abelé, directeur Magic Leap.
© Bianca Litscher

Lorsque Nicolas Abelé était doctorant au Laboratoire de microsystèmes de l’EPFL, chaque ordinateur était étiqueté «Intel inside». Intel était alors la marque de référence pour les puces semi-conductrices. Mais le géant américain a complètement manqué la révolution du smartphone. Dans le cadre d’une réorientation il y a cinq ou six ans, le groupe a créé une nouvelle wearable unit et acquis une demi-douzaine de sociétés. L’une d’entre elles était Lemoptix, un spin-off de l’EPFL cofondé en 2008 par Nicolas Abelé (38 ans). Une autre s’appelle Composyt Light Labs, une start-up EPFL avec laquelle Lemoptix a produit des lunettes de réalité augmentée.

Pour Nicolas Abelé, cet exit (vente de la société) était une chance. Il dispose maintenant de moyens financiers confortables à investir. En outre, grâce aux ressources pratiquement illimitées d’Intel, les projets de Lemoptix deviennent plus faciles à réaliser. L’aventure commence dans l’euphorie mais le malaise s’installe très rapidement. Le style de communication du nouveau propriétaire semble étrange. «Le directeur général et son personnel, donc nos patrons au siège social, ne nous parlaient pas de la stratégie produits», se souvient Nicolas Abelé. Pire encore, la wearable unit s’effondre et disparaît progressivement. Quand Lemoptix fut tout ce qui restait, le siège de Santa Clara annonça qu’il allait débrancher le projet de lunettes connectées Superlight.

«C’était brutal. On se sent totalement impuissant», relate l’entrepreneur. Intel cherche un nouveau travail pour l’équipe Superlight. Les audits se suivent. Plusieurs entreprises manifestent leur intérêt pour Lemoptix, avec la condition que le personnel déménage en Amérique du Nord. «Mais seulement une minorité de collaborateurs étaient pour cette solution», poursuit l’ingénieur, père de trois enfants. Puis en 2018, la licorne (firme valorisée à plus d’un milliard de dollars) Magic Leap rachète la société.

Le nouveau propriétaire s’est engagé à maintenir la start-up sur le site lausannois. «Rétrospectivement, la période Intel a été à la fois enrichissante et gratifiante. C’était une belle aventure.» Le bilan s’avère positif: 25 des 40 anciens employés de Superlight sont restés. Ils doivent lancer un système de nouvelle génération pour des lunettes de réalité augmentée. Nicolas Abelé sourit: «Si tout se passe bien comme prévu…»


LE CHEF D’ORCHESTRE: CHRISTIAN STAUB

file76uh05zrlycb6wn6ka3
Christian Schaub, CEO Redbiotec.
© Bianca Litscher

Christian Schaub a déjà fait ses preuves. Fin 2014, le géant pharmaceutique américain Pfizer lui a racheté Redvax, un spin-off de Redbiotec. Le prix d’achat n’a pas été divulgué mais, selon les experts, il se situerait autour des 50 millions de dollars. Pfizer a notamment reçu en échange les droits d’un vaccin contre l’herpès. Lorsqu’il sera sur le marché, il va protéger les enfants à naître des malformations.

«C’est ce qu’il y a de bien dans le développement de médicaments. En tant qu’entrepreneur, on peut vraiment faire une différence», affirme Christian Schaub. C’est la raison pour laquelle l’ingénieur de l’EPFZ est entré dans l’industrie des sciences de la vie, il y a plus de dix ans: afin de faire la différence. En 2006, il a fondé Redbiotec avec Corinne John. Entre-temps, la start-up est devenue l’une des plus anciennes du Bio-Technopark Schlieren. La société a accumulé d’innombrables accords de coopération avec les grandes entreprises pharmaceutiques. Après une multitude de réunions avec les investisseurs, le capital de Redbiotec se monte à ce jour à près de 20 millions de francs.

Christian Schaub se voit comme un entraîneur sportif. «Mon rôle est d’inspirer et d’orienter l’équipe.» Cet amateur de musique classique affiche des ambitions mondiales. L’équipe pourrait difficilement être plus internationale. En plus de la Suisse, ses collaborateurs viennent notamment de Pologne, du Brésil, de Hongrie, de Chine, du Japon, des Etats-Unis ou de Grèce.

Actuellement, Redbiotec évolue dans le tout nouveau domaine des living medicines, un terme qui désigne des substances actives constituées de virus et de bactéries génétiquement reprogrammés. Deux médicaments font actuellement l’objet d’essais précliniques: l’un contre le cancer du col de l’utérus, l’autre contre le cancer du pancréas. Christian Schaub aura 50 ans en 2020. «Pour l’instant, je suis encore dans le coup», dit le père de deux filles. Mais il imagine bien qu’un jour il passera sur le banc des remplaçants. Mais aucun doute, il sera excellent comme investisseur et consultant. Pendant des années, il a été coach pour l’agence de promotion de l’innovation Venturelab et a accompagné deux projets en sciences de la vie en tant que business angel.

 

PD
Par Jost Dubacher