L’année 2020 avait commencé par une très forte croissance. Puis, à l’annonce du premier confinement, tout s’est arrêté et la bourse a plongé. «Nous avons dû instaurer des mesures très conservatrices: réorganisation de la gouvernance, gel des 20 à 30 embauches prévues, mise à l’arrêt des projets de collaboration avec des universités et d’importantes levées de fonds», raconte Raffael Maio, cofondateur et CSO de NetGuardians, entreprise spécialisée dans la lutte contre la criminalité informatique financière basée à Yverdon.
A travers sa plateforme, NetGuardians permet la détection de divers types de fraudes bancaires (internes, mobiles, e-banking). Mais les affaires ont rapidement repris. «Une fois que les banques, qui n’étaient pas du tout préparées à fonctionner en télétravail, se sont équipées, notre activité a repris de plus belle car les tentatives de fraude ont explosé.»
L’entreprise vaudoise de 90 employés n’est pas la seule dans ce cas. «Mars 2020 nous a fait une grosse frayeur», dit Arnaud Salomon, fondateur et CEO de deux start-up du secteur, Mt Pelerin et Ibani. Créée en 2018 et basée à Genève, Mt Pelerin se spécialise dans la tokenisation d’actifs open source, émet et gère des titres numériques (security tokens) sur des blockchains publiques. «Mt Pelerin, c’est surtout de l’innovation liée aux banques. Et quand l’économie s’arrête, l’innovation passe à la trappe.»
405 fintechs en Suisse
Le terme «fintech» décrit les entreprises innovantes, pour la plupart des start-up, qui combinent technologies numériques, applications mobiles et intelligence artificielle pour fournir des services financiers efficaces et moins chers. L’étude «IFZ FinTech» de l’université technique de Lucerne fournit un inventaire détaillé et une analyse de l’environnement du secteur de la fintech en Suisse. Selon le dernier rapport publié en mars 2021, 23 start-up ont été créées en 2020, portant à 405 le nombre total d’entreprises fintech en Suisse. En comparaison internationale, la Suisse concentre un grand nombre de fintechs spécialisées dans la gestion de fortune, «ce qui n’est pas une surprise lorsqu’on connaît l’importance du secteur des banques privées», analyse Thomas Ankenbrand, auteur de l’étude.
La croissance annuelle de 6% du secteur des fintechs en 2020 représente néanmoins le taux le plus bas enregistré depuis la première publication de l’étude, en 2017. D’autres indicateurs annoncent une baisse du financement moyen ainsi qu’un nombre d’employés inchangé dans les entreprises du secteur.
«Mt Pelerin, c’est surtout de l’innovation liée aux banques. Et quand l’économie s’arrête, l’innovation passe à la trappe.»
Arnaud Salomon, fondateur et CEO de Mt Pelerin et d'Ibani
Ibani, start-up genevoise qui permet de faciliter et de réduire les coûts des opérations de change et de transfert de fonds, a également été impactée par la pandémie, notamment parce que ses principaux bénéficiaires sont les travailleurs et entreprises transfrontaliers et internationaux. «Nombreux sont nos clients à avoir perdu leur emploi pendant le premier confinement, explique Arnaud Salomon. On a donc dû réagir, réduire nos effectifs pour pouvoir garder de la trésorerie car nous sommes une jeune entreprise.»
Pour Thomas Ankenbrand, «la pandémie a accéléré la digitalisation du secteur financier. En fonction du modèle économique de l’entreprise, l’impact a été plus ou moins différé.» En effet, pour InvestGlass, une entreprise genevoise qui utilise l’intelligence artificielle pour automatiser le profilage d’investisseurs afin d’optimiser le conseil en gestion de fortune, la pandémie a par exemple été bénéfique.
Basée à Genève, InvestGlass offre des solutions informatisées pour banquiers. «J’ai toujours prôné l’informatisation du processus de vente, la digitalisation du banquier, soutient Alexandre Gaillard, fondateur et CEO. L’ouverture, la mise à jour de comptes bancaires ou encore la proposition d’investissements: c’est un travail de machines. Jusqu’ici, l’idée était difficile à accepter pour beaucoup de banquiers, mais aujourd’hui notre entreprise s’inscrit dans l’air du temps.»
«Se reposer sur la stabilité politique du pays ne suffit plus pour rester une place financière attractive, dit Rémi Sabonnadiere, partner chez Effixis. Le secteur de la gestion de fortune évolue. Maintenant, les investisseurs veulent davantage de transparence sur le contenu de leur portfolio. L’innovation est une opportunité de renouveau pour la place financière suisse.» La jeune start-up vaudoise, née dans le sillage de l’EPFL, fonctionne comme un cabinet de conseil en science des données, spécialisé dans l’industrie financière.
Travail à distance
Effixis est notamment reconnue pour le développement d’un logiciel utilisé par plus de 100 assureurs suisses, le «test suisse de solvabilité» de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma). Celui-ci détermine le capital supplémentaire minimum que les compagnies d’assurances suisses doivent détenir dans leur bilan. Pour Effixis, lier la puissance de l’analyse de données et l’intelligence au monde du risque, de la régulation et des investissements permettra de renouveler le secteur de la gestion de fortune suisse.
Cette analyse se reflète dans l’étude de l’université technique de Lucerne, qui conclut que les banques suisses ont gagné en efficacité au fil du temps à travers l’implémentation de la numérisation dans le secteur financier. Selon l’étude, c’est grâce aux solutions fintech, car elles poursuivent principalement des modèles B2B et offrent des solutions innovantes pour les banques établies. Ainsi, les institutions financières traditionnelles ont pu augmenter les volumes gérés tout en maintenant des coûts stables. Toutefois, cette évolution ne se traduit pas du côté des revenus, ce qui suggère que les gains d’efficacité sont directement répercutés sur le client.
Autre conséquence de la crise, «la pandémie a changé notre façon de voir le travail à distance. Il y a certains postes qu’on n’imaginait pas pouvoir délocaliser, remarque Raffael Maio de NetGuardians. Par le passé, l’embauche d’un profil très spécifique exigeait généralement l’expatriation d’une famille avec des contraintes importantes. Maintenant, on engage les talents là où ils se trouvent et ils travaillent pour nous à distance.» Ainsi, parmi les fintechs suisses, la proportion d’employés travaillant à l’étranger est passée de 28% en 2017 à 37% en 2020.