«J’ai toujours eu envie d’entreprendre. Ma première expérience m’a été offerte à l’âge de 20 ans, quand j’ai été élu président de la Faculté de mécanique de l’Université de Brasov et ses 3500 membres, en Transylvanie, près de la chaîne des Carpates. A cette époque, j’avais déjà un plan de carrière clair dans ma tête: je voulais fonder des entreprises, prospérer, grandir et développer des business. Il faut dire qu’après la chute du régime communiste, en décembre 1989, tous les rêves étaient permis en Roumanie. Mais ce n’était pas avec mon emploi, même très qualifié, chez les constructeurs automobiles Dacia et Oltcit que j’allais réaliser mes rêves.

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Comme tout le monde dans les pays de l’Est à cette époque, j’ai donc eu recours au système D, en multipliant mes activités. Avec les 3000 dollars que j’avais reçus à mon mariage, j’ai d’abord importé des pulls en laine qu’un Roumain établi aux Etats-Unis faisait tricoter pour financer la réfection de l’église de sa ville. Les gens se jettaient dessus. En parallèle, j’ai acheté pour 1000 dollars une Audi 100 de 1981 affichant 100 000 km, que j’ai transformée en taxi. Un job qui me permettait de multiplier par cinq mon salaire d’ingénieur. Je travaillais dur mais je gagnais bien ma vie. Ce qui m’a permis de m’associer à une société informatique développant de nouvelles affaires, notamment dans la fourniture de systèmes d’éclairage puis pour des projets complexes d’installations électriques. J’ai géré cette sorte de «couteau suisse» durant plusieurs années.

En 1995, je me suis néanmoins accordé un peu de vacances pour visiter la Suisse, à l’invitation d’un compatriote résidant à Fribourg. Ce fut mon premier contact avec ce charmant pays, dont l’approche à la fois libérale et rigoureuse a toujours représenté un modèle à suivre pour moi. C’est consécutivement à ce voyage que j’ai commencé à faire du business ici. Tout d’abord en fondant, en 2002, avec mon ami fribourgeois, une société proposant de la vente d’énergie et des solutions techniques pour la gestion des installations électriques. En réalité, nous avons jeté les bases du marché libre d’électricité en Roumanie, un concept qui connut un succès foudroyant.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé mes allers-retours entre les deux pays. Des voyages d’autant plus réguliers qu’avec mon pote nous avons encore créé d’autres entités, comme une entreprise d’assemblage de vélos et d’autres, actives dans les deux pays mais appartenant à ICESA, un véhicule d’investissement installé à Neuchâtel. Cette société financière a pour but d’acheter des PME en difficulté et de les redresser. En 2018, je me suis établi à Neuchâtel avec ma famille. Mon «rêve suisse» est ainsi devenu réalité.

Une année plus tard, ICESA a racheté Etajoint, à Yverdon, pour la transformer en GTS, Groupe Travaux Spéciaux. Après deux ans d’existence, son break even n’a pas encore été atteint mais nous sommes sur la bonne voie. Nous avons passé de 12 à 22 employés, augmenté le chiffre d’affaires de plus de 60%, signé des contrats partout en Suisse romande, ouvert une succursale à La Chaux-de-Fonds et une seconde à Genève l’an prochain.

En trente ans, j’ai multiplié mes 3000 dollars par environ 10 000! Un bénéfice que j’ai toujours réinvesti dans les affaires, les carrières, les espoirs. Avec le temps, grâce au mélange de mes deux cultures, j’ai appris qu’il était plus important d’assurer la pérennité de ses affaires que de tout miser sur la croissance.»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz