«Dire qu’à quelque chose malheur est bon ou qu’un mal débouche souvent sur un bien n’est pas vain. Je l’ai vérifié par moi-même au fil de ma carrière. Comme Valaisan, j’ai d’abord eu la chance de faire mes études au sein de la prestigieuse Université de Georgetown, à Washington, sous la férule d’un certain Henry Kissinger, ancien secrétaire d’Etat du président Richard Nixon puis de Gerald Ford. J’en suis sorti avec un master en relations internationales. Alors que la guerre froide faisait rage, je suis devenu expert en relations Est-Ouest et de l’Union soviétique.

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Problème, ces deux branches, si je puis dire, ont disparu du jour au lendemain après la chute du mur de Berlin, en 1989, et la dislocation de l’Empire soviétique, en 1991. Des disparitions qui me font dire que je dois être l’un des rares docteurs au monde dont la spécialité n’existe plus. J’en ai bien profité toutefois. Grâce à mon cursus, j’ai en effet occupé deux ans durant, en 1983 et 1984, le poste de correspondant permanent du Nouvelliste et de l’agence Frontpage à la Maison-Blanche. Même si c’était au temps où les journaux avaient encore les moyens de s’offrir ce luxe, je perçois un brin d’étonnement dans votre regard à la lecture de cette dernière info. En réalité, au-delà des moyens, j’ai eu un gros coup de bol, comme on dit.

Je m’explique. A cette époque, les négociations sur la réduction des armes stratégiques qui débouchèrent sur le traité Salt battaient leur plein. A Genève notamment. Et voilà que j’apprends que le négociateur américain, le lieutenant général Edward Rowny, possède un chalet à Lens, au-dessus de Sierre. Ni une ni deux, je vais frapper à sa porte et le feeling a tout de suite passé. Grâce à lui, j’ai pu voler avec Air Force Two et interviewer George Bush senior, alors vice-président. Finalement, le dernier événement marquant que j’ai couvert comme journaliste fut la chute de Nicolae Ceausescu, en 1989.

Après quoi, je me suis recyclé dans les affaires. Avec mes économies, j’ai pu m’acheter un petit immeuble, à Conthey, en Valais. Et le destin a voulu que, à l’intérieur, y réside un ingénieur qui avait inventé et breveté un système d’épuration des eaux tout à fait révolutionnaire. Il avait choisi l’Iran pour construire sa première station. Mauvaise pioche, car la chute du shah et l’instauration du régime islamique lui a tout fait perdre. Je lui ai racheté le brevet qui avait l’avantage, entre autres, de recycler l’eau plutôt que de la rejeter.

J’ai alors eu l’idée de créer une ferme à poissons, au Bouveret. Pas n’importe quel poisson. L’omble chevalier, qui se négociait à un prix très intéressant auprès de Manor, groupe qui achetait pratiquement toute notre production. Deux investisseurs ont injecté 10 millions pour construire l’établissement, lequel, malgré pas mal de péripéties, existe toujours par ailleurs. Comme apporteur du business et de sa technologie, le duo m’a cédé 10% du capital. Mais après trois ans d’activité, à la suite d’une bisbille, l’un d’eux a voulu prendre la majorité. Il est venu me voir et m’a proposé un prix pour racheter ma part. Il l’a gribouillé sur un papier qu’il m’a tendu. C’était écrit «1 million de francs»! J’ai fait semblant d’hésiter, mais intérieurement, j’étais plus que ravi. J’ai accepté bien sûr. Ma carrière était lancée. J’avais 37 ans. Et mon premier million en poche.»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz