Tout propriétaire est habitué à recevoir des publicités dans sa boîte aux lettres qui l’invitent à faire évaluer son bien immobilier. Gratuitement bien sûr et sans aucun engagement. Mais, depuis quelque temps, le ton des ces publicités a changé. «Vendez votre bien immobilier», peut-on lire en gros caractères sur les prospectus ou «C'est le moment idéal». L'explication est même menaçante: «Le spectre de l'inflation est de retour. Si l'inflation aux Etats-Unis et dans la zone euro reste aussi élevée qu'elle ne l'est actuellement, cela pourrait entraîner au second semestre 2022 le retournement des taux d'intérêt attendu depuis longtemps, avec des taux d'intérêt hypothécaires bien plus élevés. Et donc, dans la foulée, un retournement des prix prohibitifs de l'immobilier résidentiel.»

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Les prix des logements sont-ils à un niveau jamais atteint? Une bulle pourrait-elle éclater? Les prix ne seront-ils plus jamais aussi élevés qu'actuellement? Ou les agents immobiliers exagèrent-ils dans leur argumentaire parce qu’ils veulent tout simplement faire des affaires? En fait, de nombreux signes indiquent que l'économie suisse pourrait glisser vers une récession.
 

«Meilleur moment pour obtenir des prix record»

Les Etats-Unis et l'Allemagne sont déjà en proie à l'inflation, les prix de l'énergie explosent, les taux d'intérêt hypothécaires augmentent également dans notre pays. Dans le pire des cas, une forte hausse des taux hypothécaires, ce qui ne semble pas encore être le cas actuellement, pourrait entraîner des ventes forcées de biens immobiliers, ce qui déclencherait une spirale descendante des prix.

Pour Ruedi Tanner, président de la SVIT, l’Association suisse de l’économie immobilière, et copropriétaire de Wirz Tanner Immobilien, «le moment ne pourrait pas être mieux choisi pour vendre». Même s'il constate des exagérations de la part des courtiers. «En raison de la dernière phase de taux d'intérêt bas, de nombreux propriétaires immobiliers se sont abstenus de mettre leur bien sur le marché, explique-t-il. Comme il n'y a pas assez d'objets à vendre sur le marché, les agents immobiliers souffrent.»

Gerhard Walde, bien connu parmi les agents immobiliers suisses alémaniques, ne croit pas à l’éclatement d’une bulle. «Mais si les taux d'intérêt devaient augmenter, on pourrait assister à un mouvement latéral des prix», explique le membre du conseil d'administration de Walde Immobilien. «Je suis fermement convaincu qu'actuellement, c'est le meilleur moment pour vendre et qu'il est possible d'obtenir des prix record.»

Il y a beaucoup d'acquéreurs potentiels prêts à payer cher pour des objets attrayants

Georges Luks, directeur général chez Zurich Sotheby's International Realty, renchérit. «Pour ceux qui envisagent de changer de logement, le moment est certainement bien choisi pour vendre. Nous nous trouvons depuis un certain temps dans un marché d'acheteurs, ce qui signifie qu'il y a beaucoup d'acquéreurs potentiels prêts à payer cher pour des objets attrayants.»

Peu d'objets sur le marché

Les effets de la pandémie sur le marché immobilier sont bien visibles. Au cours des deux dernières années, beaucoup moins de biens ont été mis sur le marché que d'habitude. Selon les régions, les agents immobiliers consultés parlent de 10 à 30% de ventes en moins. Ce sont surtout les personnes âgées qui ont attendu avant de vendre. Elles ont préféré rester dans leurs propres murs que dans une maison de retraite ou de soins.

Les chiffres le montrent: en 2020, 7000 entrées de moins ont été enregistrées dans les maisons de retraite et de soins. Il s'agit du plus fort recul de ces 15 dernières années. Pourtant, le nombre de personnes en maison de retraite et en établissement médico-social augmentait continuellement depuis des années. Les experts estiment désormais que les biens immobiliers des personnes qui ont attendu devraient arriver sur le marché avec du retard cette année.

Lorsqu'une maison est à vendre, les choses vont généralement très vite. «Avec une durée moyenne d'annonce de 62 jours, ce sont surtout les maisons individuelles qui sont actuellement littéralement arrachées des mains des vendeurs», écrit la Raiffeisen dans sa dernière étude. Avec un délai d'annonce moyen de 71 jours, la propriété par étage se vend également très rapidement.

Beaucoup de ces biens ne sont même pas mis sur le marché. S'ils ne sont pas transmis à la famille, ils sont vendus directement à des voisins ou à des amis. Les objets de luxe, en particulier, sont de plus en plus souvent négociés hors marché. C'est le cas lorsqu'un objet est mis en vente à condition que seul un cercle de clients sélectionnés en soit informé. «Environ un quart des ventes passent aujourd'hui par le off-market», déclare George Luks de Sotheby's. Par rapport au passé, le off-market a fortement augmenté.» Les objets sont proposés sur des plateformes protégées, l'accès n'est accordé qu'à des personnes autorisées.

Le plus souvent avec un agent immobilier

Aujourd'hui, il est facile de se charger de la vente d'un bien immobilier. Internet regorge de checklists, de bons conseils et de contrats types. De plus, les plateformes immobilières comme Homegate, Immobilier.ch ou Immoscout24 permettent d'atteindre un grand nombre d'acheteurs potentiels. Le prix du marché d'un bien immobilier peut être établi en quelques minutes seulement, sur la base de la situation, de la date de construction, de la surface habitable et de l'état de l’objet. Seul inconvénient, la valeur du marché peut varier considérablement d'un fournisseur à l'autre. Que faire? Si l'on annonce un bien immobilier trop cher, on risque de faire fuir les intéressés. Si l'on baisse successivement le prix, on éveille d'autant plus la méfiance des acheteurs potentiels qui soupçonnent un problème possible avec cet objet.

Dans 88% des cas, un courtier intervient. Celui-ci perçoit en général une commission de 2 à 3% du prix de vente

C'est pourquoi la majorité des vendeurs se tournent vers des professionnels. Si l'on s’attarde sur toutes les transactions immobilières en Suisse, seules 12% sont effectuées directement par des particuliers. Dans 88 % des cas, un courtier intervient. Celui-ci perçoit une commission de 2 à 3% du prix de vente selon la SVIT. «En Suisse alémanique, on paie en moyenne 2%, en Suisse romande, au Tessin et en montagne cette commission peut monter jusqu'à 4%, explique Ruedi Tanner. Pour les biens chers, dont le prix de vente se situe entre 5 et 10 millions, la commission est nettement inférieure, aux alentours de 2%. Si un bien immobilier est facile à vendre, l'offre peut descendre à 1,5%.»

Il est également courant aujourd'hui d'avoir un système de bonus qui peut être négocié. Si le prix souhaité est atteint, l'agent immobilier reçoit par exemple 2% au lieu de 1,7%. Il est également avantageux d'accorder des contrats d'exclusivité afin de ne pas s'aliéner les clients lorsque différents agents immobiliers se présentent sur le marché avec le même bien. Mais, il existe aussi d'autres modèles de paiement. Ainsi, il existe aujourd'hui des courtiers à prix fixe qui vendent un bien pour un forfait prédéfini. Chez Brixel, Kiiz ou Neho, par exemple, l'objet est estimé, une annonce est publiée et le contrat de vente est rédigé pour un prix fixe de 9500 ou 9900 francs. Dans certains cas, les visites sont facturées en sus.

En plus de ces nouveaux modèles de courtiers discount, il existe même des courtiers qui ne facturent pas d'honoraires. Pour Ruedi Tanner, ce sont les moutons noirs de la branche.  «Personne ne travaille gratuitement. Les courtiers prennent leur commission auprès de quelqu'un. On peut se demander si ces courtiers ont intérêt à obtenir un bon prix pour le vendeur s'ils reçoivent une commission de l'acheteur.»

Tendance: la procédure d'adjudication

De plus en plus de ventes sont désormais traitées via un processus d'appel d'offres. Dans le cadre d'une telle procédure, un objet est mis en vente à un prix minimum. Les personnes intéressées peuvent enchérir sur le bien en un ou deux tours. De cette manière, il est possible d'obtenir le prix le plus élevé possible. Il y a quelques années encore, la procédure d'offre n'était que rarement utilisée en Suisse. «Aujourd'hui, jusqu'à un tiers des objets existants sont vendus de cette manière dans un nombre croissant de régions», a récemment constaté l'UBS dans son Real Estate Focus. «Et cette procédure est également de plus en plus utilisée pour les nouvelles constructions.»

Il existe deux procédures différentes: la procédure fermée et la procédure ouverte. Dans la procédure fermée, chaque personne intéressée peut faire une offre en ligne, les prix proposés ne sont visibles pour personne jusqu'à la fin du délai d'offre. Passé ce délai de soumission, le vendeur reçoit toutes les offres. Dans le cas de la procédure ouverte, la personne intéressée peut soumettre ou augmenter son offre autant de fois qu'elle le souhaite. Toutes les offres anonymes, donc la plus chère du moment, peuvent être consultées à tout moment et de manière transparente par tous.

Certains courtiers doutent que les procédures d'offre soient la meilleure solution. «Cela peut aussi décourager les acheteurs potentiels, surtout dans le domaine très exclusif», explique Claude Ginesta, agent immobilier à Zurich. «Certains n'y participent même pas.»
Il vend aujourd'hui 70% de ses biens via une procédure d'appel d'offres. C’est même un prérequis pour les clients qui s’adressent à lui pour vendre leur bien. Il y a toujours des surprises, concède le spécialiste. «Souvent, un acheteur est prêt à payer volontairement beaucoup plus que le deuxième enchérisseur, juste pour être sûr d'obtenir l'objet.» Comme récemment, lorsqu'il a lancé un appel d'offres pour la commune de Zumikon pour un garage de pompiers avec cinq appartements et un terrain environnant. Le prix de vente minimum était fixé à 8,7 millions de francs sur la base d'une estimation de la banque datant de 2019. L'objet a finalement été vendu pour près de 22 millions. «L'évaluation initiale de l'immeuble n'était pas fausse, explique Claude Ginesta. Mais dans un contexte pareillement haussier, il y a un flou dans le prix du marché en raison des nombreux demandeurs qui sont prêts à surenchérir de la sorte.» 

La situation est similaire dans d'autres parties de la Suisse. Au bord du lac de Thoune, un immeuble d'habitation a récemment fait l'objet d'un appel d'offres. Valeur vénale estimée: 2,9 millions de francs. Finalement, le bien a été vendu pour 3,8 millions.  «Nous avions attiré l'attention des acheteurs sur le fait qu'ils payaient en fait trop cher s'ils se faisaient mutuellement monter les prix, explique Ruedi Tanner de Wirz Tanner Immobilien. Mais le désir de posséder ce bien exclusif l’a emporté.» 

Les objets recherchés

Situation, situation, situation. Un vieux dicton qui est plus que jamais d'actualité. «L'emplacement d'un bien immobilier est déterminant pour l'intérêt des acheteurs, explique Georges Luks de Sotheby's. Les biens situés au bord d'un lac ou dans un canton à la fiscalité avantageuse atteignent des prix particulièrement élevés.» En outre, le rayon d'action s'est élargi. «Avant la pandémie, les biens immobiliers qui n’étaient pas très centraux ou qui nécessitaient un long trajet pour se rendre dans un centre-ville n'étaient pas très prisés.»

Avec l'avènement du home office, d'autres facteurs tels qu'un environnement rural et un espace plus grand sont désormais passés au premier plan et les destinations éloignées ont vu leur cote grimper en flèche. Ce ne sont plus les centres des villes qui sont recherchés, mais la proximité de la nature. «En raison de la pandémie, il y a une forte demande d'appartements avec jardin, explique Gerhard Walde. Alors qu’auparavant, les appartements avec jardin étaient toujours plus difficiles à vendre, car tout le monde cherchait un appartement en attique.»

En outre, les acheteurs s'intéressent au voisinage. «Ils demandent à savoir à côté de qui ils vont vivre à l'avenir, explique Ruedi Tanner. L'environnement social doit apporter du prestige et se trouve en haut de la pyramide des besoins des acheteurs.»

En revanche, les extras supplémentaires du bien immobilier n'apportent pas grand-chose, comme une piscine intérieure, un sauna, deux terrasses ou une salle de loisirs. «C'est comparable à une voiture haut de gamme, explique Gerhard Walde. On paie beaucoup pour les accessoires, mais on ne les utilise que rarement.» Tout le monde n’aspire pas à posséder une piscine. Finalement, cet accessoire demande beaucoup d’entretien et génère des dépenses supplémentaires.

Ce qui fait sens pour Gerhard Walde, c'est le «home staging» . On entend par là l'utilisation ciblée de meubles, de couleurs ou de lumière afin d'obtenir un effet «wow» auprès des acheteurs. «Quand on a vécu pendant cinquante ans dans un appartement avec les mêmes meubles, c'est une bonne idée de le mettre différemment en scène grâce à son aménagement intérieur. Et même les appartements ou maisons vides se vendent nettement mieux lorsqu'elles sont meublées.»