«Quand le virus de l’entrepreneuriat circule dans vos veines, vous ne vous en débarrassez plus. Après mon CFC de fromager, l’école de fromagerie et la maîtrise fédérale, j’aurais pu vivre confortablement de mon métier. Mais ronronner dans la routine n’est pas mon truc. Je n’ai guère été plus de deux ans salarié. Et même en tant qu’indépendant il faut que je bouge. Rien ne m’obligeait par exemple à quitter la fromagerie de Vuadens que j’avais reprise quatorze ans auparavant, à l’âge de 25 ans. Les acteurs de la filière étaient ravis de mon travail, je gagnais bien ma vie et les affaires tournaient rond. Trop peut-être.

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Il me fallait un autre défi. Un projet plus personnel, auquel je pouvais imprégner ma patte, ma créativité, tirer en avant avec ma passion et mon enthousiasme. Je suis donc reparti de zéro ou presque, en 2007. Avec trois magasins, à Vevey, à La Tour-de-Trême et à Fribourg, où j’ai commencé à produire des mélanges de fondue. Trente tonnes les premières années. Essentiellement pour mes enseignes et la Coop. La qualité du produit était unanimement saluée, mais les volumes stagnaient et le chiffre d’affaires plafonnait autour de 600 000 francs. L’entreprise vivotait. Il fallait un nouveau modèle pour dynamiser ce concept créé en Gruyère dans les années 1960, qui ne demandait qu’à évoluer.

Après une longue réflexion, nourrie par les conseils de professionnels de l’image et du marketing, nous avons opté pour la personnalisation du produit. On s’est inspiré de la gastronomie italienne et des milieux viticoles valaisans, des secteurs qui aiment identifier leurs produits à leur producteur. En 2012, j’ai donc remplacé les fondues du Fromager de la Gruyère par les Fondues Wyssmüller. Ça n’a pas été si évident de me mettre en avant, de voir ma bobine sur tous les sachets. Je viens d’un milieu modeste. Mon père était producteur de lait, nous vivions chichement, je voyais ma mère compter chaque centime.

Néanmoins, la société, dont je suis le seul actionnaire, progressait d’année en année. Jusqu’en 2016 où, à force de m’investir totalement dans le marketing et le développement de la marque, je n’ai pas vu la trésorerie devenir exsangue. Il a fallu sérieusement resserrer les boulons pour franchir l’écueil. A pile ou face, la pièce est heureusement tombée du bon côté. Mieux, les affaires ont subi un gros coup d’accélérateur. Après Coop et Migros Valais, Manor, Volg puis Migros Suisse sont venus grossir notre portefeuille clients. Alors qu’on craignait le pire, la pandémie a encore boosté les ventes, la fondue étant devenue LE plat préféré des Suisses.

Parallèlement, nous avons commencé à être distribués par Migros France et Carrefour en Haute-Savoie, à trouver place dans les rayons du très chic Colette à Londres ainsi qu’au Swiss Wine and Fondue Bar, à New York. Les volumes ont décollé: 150 tonnes en 2020, près de 160 en 2021. Nous ambitionnons d’atteindre 200 tonnes en 2025. Nos 12 recettes de fondues fraîches ont excellente réputation, l’objectif est réalisable. Alors, c’est vrai, à la lecture de mon histoire, vous pouvez déduire que le fromage me permet de bien gagner ma vie. C’est la rançon d’un travail acharné, souvent sept jours sur sept, avec le mot «vacances» conjugué au futur.

A 55 ans, je suis d’ailleurs toujours plus fondu de business que d’argent. J’ai des projets plein la tête. Un resto dédié à la marque va s’ouvrir à Broc, on produira bientôt un caquelon 100% suisse. Marre de manger la fondue dans des ustensiles made in China!»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz