«Tout a commencé par une coquille vide! Une société recluse dans le sous-sol du bâtiment Au Châtelard, à Lausanne, dont il ne restait pratiquement que le nom, Fly 7, une employée payée au lance-pierre et un pilote cherchant désespérément à voler. Et pour ne rien arranger, je sortais d’un job qui s’était mal terminé, ayant eu la bonne idée de dire à mon patron que le seul moyen de sauver sa boîte était de me nommer CEO. Il m’a viré sur-le-champ. J’avais 29 ans, plus rien à perdre et une très grosse envie de démontrer ma valeur.

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Douze ans plus tard, bien que rien ne soit jamais acquis dans le domaine de l’aviation, j’ai la satisfaction d’avoir réussi à faire grandir et à pérenniser une entreprise, qui occupe désormais 25 collaborateurs administratifs et 80 pilotes. Mieux, à force de batailler et de gagner des parts de marché en Europe, Fly 7 a attiré l’attention du leader européen de l’aviation privée, Jetfly, basé au Luxembourg, qui lui a fait une super offre d’achat en 2019. Une fusion «win-win» puisque nos deux sociétés sont très complémentaires. A cette époque, nous étions quatre actionnaires à Fly 7. Mes trois amis ont soldé leur part et moi, j’ai préféré être payé en actions et rester aux commandes de la société, qui a gardé son nom et son identité.

Grâce à la vente, mon capital de départ a été multiplié par trois, ce qui ne me rend pas riche pour autant et ne change pas grand-chose à mon statut de patron de PME contraint de gérer les emmerdes au quotidien et de constamment se réinventer.

A vrai dire, j’ai réussi à valoriser mon travail et ça, c’est un sentiment très cool. J’ai eu un peu de chance, c’est vrai. Mais pas que. J’ai cru à un modèle d’affaires qui paraissait totalement insensé à mes interlocuteurs, qui me traitaient de fou et de prétentieux: exploiter l’énorme potentiel d’un avion suisse, le PC-12, fabriqué depuis 1991 par le constructeur nidwaldien Pilatus Aircraft, alors même que son utilisation commerciale était interdite quasiment dans toute l’Europe à cause de sa propulsion monoturbine, jugée insuffisamment fiable en matière de sécurité.

J’étais convaincu que ce Range Rover du ciel, capable de tout faire avec classe et sécurité, séduirait le jour où l’interdiction serait levée. Pour la simple et bonne raison que le PC-12 peut se poser là où les jets et les bimoteurs ne peuvent pas aller, sur l’herbe ou à cause de pistes trop courtes, parce qu’il consomme quatre fois moins de carburant que ces derniers et possède un espace pour les bagages trois fois plus volumineux.

Nous avons commencé en 2013 à Lausanne, avec un appareil dont le propriétaire nous a confié la gestion. Alors que nous étions perpétuellement sur le fil du rasoir au niveau de la trésorerie, je ne vous cache pas que refuser des vols commerciaux nous faisait mal au bide. Heureusement, tout a changé dès 2015, lorsque la Finlande a levé l’interdiction, une décision qui a rapidement fait tache d’huile sur le continent. Opérant à Lausanne, Fly 7 s’est alors constituée en compagnie aérienne basée à Vantaa, en Finlande, pays où sont toujours immatriculés la trentaine d’appareils que nous gérons. Cerise sur le gâteau, en plus d’être leader européen en matière de maintenance de PC-12, Fly 7 est aujourd’hui la seule compagnie reconnue par Pilatus pour former des pilotes européens sur son simulateur, installé à la Blécherette. Pourvu que ça dure…»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz