Commençons par le verre à moitié plein. Publiés fin janvier, les fonds récoltés en 2022 par les start-up basées en Suisse affichaient un niveau record: près de 4 milliards de francs en capital-risque ont ainsi été levés, contre plus de 3 milliards en 2021, et ce, dans un contexte économique mondial difficile. «2022 était une année de stress test en matière de capital-risque et la Suisse l’a très bien passé comparativement à d’autres pays», relève Stefan Kyora, rédacteur en chef de Startupticker.ch, le portail d’information en ligne où est diffusé le «Swiss Venture Capital Report», le rapport de référence en matière de financement des start-up.

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Dans le détail, ce sont les cantons de Zurich, de Vaud et de Genève qui se placent dans le top 3 des levées de fonds. A elles seules, les start-up zurichoises ont attiré un peu plus de la moitié des investissements (plus de 2 milliards); la levée de fonds de plus de 600 millions de francs de la jeune pousse Climeworks, spécialisée dans la capture de CO2, pesant pour beaucoup dans ce montant.

Création de nouveaux fonds

Les start-up vaudoises (MindMaze, Distalmotion, Opna Bio et Anokion en tête) ont, pour leur part, récolté 548,6 millions en tours de financement en 2022, et les start-up genevoises 463,1 millions de francs (394,6 millions par SonarSource). A noter que ce sont les secteurs de la tech – fintech comprise – et des cleantechs qui ont engrangé le plus de capitaux l’an dernier. Autre indicateur positif: la création de nouveaux fonds dans l’industrie suisse du venture capital (VC), qui se sont élevés au nombre de 55. On le voit: l’écosystème favorable à l’éclosion des jeunes pousses s’est considérablement dynamisé en Suisse ces dernières années.

Du moins en ce qui concerne la phase de démarrage. L’étape suivante, soit le soutien à la (forte) croissance, reste toujours ardue. Le nombre record d’exits (rachats d’entreprises technologiques) ayant eu lieu en 2022 dans le canton de Vaud (voir tableau) en est peut-être une manifestation. «Je ne suis pas sûr qu’il faut voir un dénominateur commun aux exits ayant eu lieu l’an dernier, tempère Patrick Barbey, directeur d’Innovaud. Néanmoins, si une start-up développe une technologie deep tech, et qu’elle entend aller vite pour établir sa présence sur les marchés internationaux, il lui faut en effet rapidement lever de l’argent.»

Start-up

Exit scale-up vaudoises en 2022

© DR

Or les levées de fonds conséquentes ne sont pas la réalité de la majeure partie des start-up suisses. «Nous avons encore des difficultés dans le domaine du financement de leur croissance, corrobore Simon Enderli, directeur de la Swiss Entrepreneurs Foundation. L’une des raisons en est la taille des fonds suisses. Pratiquement aucun de ces fonds n’est capable de gérer un investissement plus important (> 30 millions de francs suisses) sans affaiblir son profil de risque. Par conséquent, la plupart des grands tours de table sont dominés par des investisseurs étrangers, ce qui augmente le risque d’un exode précoce des start-up suisses.»

Un avis partagé par Olivier Eyries, cofondateur de Saporo, une start-up née à Lausanne en avril 2021 et active dans la prévention des cyberattaques à l’aide de l’intelligence artificielle et de la théorie des graphes. Celle-ci a levé jusqu’ici 6,5 millions de francs, un montant qui reste modeste comparé aux centaines de millions de francs que peuvent attirer les start-up de la cybersécurité installées aux Etats-Unis. «Le problème est toutefois moins aigu pour les start-up dans le B2B, comme c’est notre cas. Pour nous, la Suisse constitue un parfait laboratoire», note Olivier Eyries qui, à 29 ans, en est déjà à sa troisième création de start-up.

Principalement des financements étrangers

De son côté, Inergio Technologies n’exclut pas de s’installer aux Etats-Unis. La start-up de Renens, issue de l’EPFL et de la HEIG-VD, travaille sur le développement d’une pile à combustible fonctionnant avec plusieurs types de carburants et capable de fournir du courant à des appareils dans des environnements difficiles. Sa technologie suscite un grand intérêt, notamment en France, dans l’électrification de systèmes de surveillance de pipelines et de gazoducs. La véritable phase de commercialisation pourrait avoir lieu dans un ou deux ans. Mais, pour ce faire, il lui faudra de nouveaux fonds. «Une start-up américaine qui travaille dans le même domaine a levé 17 millions de dollars et Inergio Technologies, 2,8 millions de francs. Nous avons plein de talents en Suisse, mais les mentalités peinent à voir grand», explique Mahmoud Hadad, son fondateur.

Comment donner aux start-up les moyens suisses de leurs ambitions à l’heure où deux tiers des fonds VC proviennent de fonds étrangers, family offices et privés en tête? Parmi les sources de financement possibles, les caisses de pension qui peuvent depuis le 1er janvier 2022 investir jusqu’à 5% de leurs actifs dans des sociétés non cotées en bourse. «Différentes études – à partir de 2020 – montrent que les caisses de pension suisses investissent entre 1,2 et 3,7 milliards de francs dans le capital-risque. Toutefois, seule une petite partie de cette somme est investie en Suisse. Les investissements connus dans les fonds de capital-risque suisses se situent entre 300 et 450 millions de francs. Mais même ces fonds n’investissent pas à 100% dans des start-up suisses par la suite», note Simon Enderli.

Dans le viseur de la SEF: les caisses de pension

C’est à cette mission que va s’atteler cette année la Swiss Entrepreneurs Foundation qui, rappelons-le, lançait en 2019 un fonds d’innovation public. «Notre conseil de fondation a décidé que les besoins des caisses de pension devaient être analysés de manière plus approfondie. Afin de connaître ces besoins, nous prévoyons un atelier avec des représentants des caisses, des consultants, des investisseurs et d’autres parties prenantes. Nous déciderons ensuite de la forme et de la structure d’un deuxième fonds SwissEF», explique Simon Enderli.

Reste que la frilosité des caisses de pension vis-à-vis des start-up ne semble pas être uniquement helvétique. «De manière générale, l’investissement des fonds de pension dans le capital-risque est minime en Europe. Selon Invest Europe et le rapport State of European Tech, les fonds de pension européens ont des actifs sous gestion de plus de 3 trilliards de dollars et, en 2021, ils ont investi près de 500 milliards dans le capital-risque. Cela équivaut à seulement 0,012% du total de leurs actifs sous gestion», conclut Stefan Kyora.

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Elisabeth Kim