«J’ai longtemps cru qu’en devenant physicien spécialisé en physique nucléaire, je m’étais trompé de voie. Et pour cause, sitôt mon master en poche, j’ai été happé par un business situé aux antipodes de ma discipline: le marché de la viande. Que nous déclinions de mille et une façons au sein d’une entreprise basée à Romont qui dégageait un chiffre d’affaires annuel de 230 millions de dollars lorsque je l’ai vendue. Après une brève parenthèse pour introduire en Suisse les premiers moniteurs et téléphones du groupe sud-coréen LG, je me suis voué à une autre passion: l’aviation.

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Avec ma licence professionnelle, j’ai sillonné le ciel au manche de jets privés de dernière génération. Je ne dis pas cela pour me vanter mais parce que c’est de là-haut, grâce à la technologie de ces appareils nous permettant de voler 15 000 pieds au-dessus des avions de ligne, que l’idée de créer des panneaux solaires a germé. Comme nous volions dans la stratosphère, j’ai en effet eu tout loisir de constater que le réchauffement climatique venait bel et bien d’en bas, de la troposphère, donc des humains. Nous étions en 2010 et j’étais déterminé à faire aboutir ce projet.

Et voilà qu’un jour où je discutais avec un chercheur, à l’EPFL, un papillon morpho s’est posé sur une fleur près de nous. Il reflétait son beau bleu azur. C’est du moins ce que nous percevions. Car, en réalité, le morpho n’a pas de couleur. Ce sont des cellules disposées en couches renvoyant une longueur d’onde que l’œil humain perçoit comme du bleu.

Cela a été le déclic. Comme 40% des émissions de CO2 du monde proviennent de la consommation énergétique des équipements que nous utilisons dans les bâtiments, j’ai eu l’idée de créer des panneaux photovoltaïques en m’inspirant du morpho. Sans pigments, ni impression digitale et encore moins de peinture. En recouvrant nos verres de couches d’atomes émanant de matières inertes interagissant avec la lumière et reflétant la couleur choisie. Une spécificité développée à l’EPFL mais pour des applications thermiques. Objectif: ne plus limiter les panneaux aux toits des immeubles mais habiller les façades, les balcons et les espaces extérieurs tels que les parkings et démultiplier ainsi les surfaces pour capter l’énergie du soleil. Il faut savoir que celui-ci déverse toutes les 80 minutes sur notre planète l’équivalent de la consommation énergétique humaine d’une année.

Faute d’intérêt en Europe, nous avons d’abord produit à Dubaï, en 2015, avant de nous installer à Romont, en 2018, dans les anciens locaux de Tetra Pak, où nous avons investi 30 millions de francs. Nous avons décroché notre premier grand chantier l’année suivante: l’Ecole internationale de Copenhague, que nous avons «emballée» de 7000 m² de panneaux multicolores produisant 52% de l’énergie consommée sur le site.

Puis ont suivi des chantiers un peu partout dans le monde, en Suisse aussi bien sûr. A l’exemple du bâtiment Firmenich, à Genève, de l’ELL de l’EPFL, d’un bâtiment de la Pontaise à Lausanne. Aujourd’hui, le monde s’étant réveillé à l’urgence de l’action, la demande est devenue exponentielle et notre carnet de commandes est plein. A Romont, nous pouvons produire 400 000 m² de panneaux par an. Dépassé ce volume, d’ici à deux ans je pense, nous produirons le plus près possible des chantiers. On me dit que, à terme, je décrocherai le jackpot. Peut-être. Mais, à 73 ans, c’est plus le désir de laisser quelque chose d’utile que l’appât du gain qui me motive…»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz