En Suisse, une transmission d’entreprise sur cinq concerne un collaborateur interne. Un choix qui prend de l’ampleur, alors qu’en parallèle les reprises intrafamiliales tendent à décroître: selon UBS, il y a une vingtaine d’années, 70% des sociétés privilégiaient encore cette solution, contre à peine 40% aujourd’hui.

Les temps changent. Mais si les fils ou les filles des fondateurs d’une société ont moins souvent tendance à reprendre les rênes du business familial, ce n’est pas le cas des cadres ou des employés. Comme le démontrent les exemples suivants, ouvrir le capital d’une PME à ses salariés comporte de nombreux avantages, au premier rang desquels une plus grande implication des nouveaux associés.

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C’est la voie qu’a choisie Vincenzo Ganci. Lorsqu’il a créé le cabinet d’executive search Ganci Partners en 2012, il était actionnaire principal aux côtés d’un actionnaire institutionnel minoritaire. Progressivement, il ouvre le capital à différents collaborateurs clés. Aujourd’hui, l’entreprise compte plus de 35 employés, dont neuf sont devenus associés. Sur un capital de 100 000 francs, il ne détient plus qu’un tiers des actions.

Un outil de fidélisation

«Le but est de créer une fidélité à long terme, dit-il. De salariés, les employés deviennent des patrons, avec un horizon à long terme. La satisfaction des clients et la bonne réputation du cabinet deviennent nos objectifs uniques. Nous nous identifions tous avec notre société et y restons longtemps. C’est un projet de vie.»

Ce choix, qui peut paraître surprenant, surtout dans le secteur encore très traditionnel de la recherche de cadres et de dirigeants, a permis à l’entreprise, qui dispose de quatre bureaux à Genève, à Lausanne, à Berne et à Zurich, d’attirer plusieurs talents et de figurer aujourd’hui parmi les leaders en Suisse dans son domaine d’activité. «Notre gouvernance est plus intéressante, ajoute le fondateur. La hiérarchie est plate. Il faut l’accord de plusieurs personnes pour prendre une décision. Une intelligence collective se crée. Ensemble, on va toujours plus loin que seul.»

Cela dit, la fidélité n’est pas un objectif en soi. Elle apporte une valeur ajoutée sur le marché, qui peut vite devenir un avantage compétitif. Par exemple, il arrive qu’un associé décide de ne pas recommander un candidat pour trouver la bonne personne, quitte à renoncer à une commission, dans le but de privilégier l’intérêt du client. «Cela se produit moins souvent lorsque le tournus est plus élevé et que les collaborateurs adoptent une approche à plus court terme», indique Vincenzo Ganci. En résumé, l’objectif est triple: retenir, motiver et aligner les objectifs. A noter qu’une telle stratégie est possible dans toutes les sociétés constituées sous la forme d’une SA, mais aussi sous la forme d’une Sàrl. On parle alors de parts et non plus d’actions.

Une source d'implication

De son côté, l’agence de communication lausannoise Creatives, qui compte 27 employés, a ouvert son capital de 20 000 francs aux six membres de la direction. «Cela augmente fortement l’implication, la motivation et la rétention, souligne le partenaire Mathieu Fouvy. Même avec une petite part, le statut change. On y réfléchit à deux fois avant de quitter la société.»

Pour lui, le temps où le patron détenait à lui seul l’ensemble du capital est un peu «has been». Ce qui ne veut pas dire qu’il souhaite ouvrir la porte à l’ensemble des collaborateurs. «Certains, notamment parmi nos jeunes graphistes ou développeurs, ne sont pas intéressés. La plupart préfèrent un bonus à des parts. C’est également une question d’âge. Cela concerne davantage le middle management. Par ailleurs, beaucoup de gens dans notre domaine d’activité veulent avoir leur propre société, cela ouvre aussi cette voie.»

L’agence est née de la fusion en janvier 2022 de Creatives, fondée en 1998 par Mathieu Fouvy, et ELK Agency, créée par Yan Paschoud. Les deux partenaires et un troisième disposent aujourd’hui de 74% des parts, le reste se répartit entre les trois autres associés. Le bénéfice est distribué en fonction des parts de chacun. A l’avenir, l’entreprise songe à passer du statut de Sàrl à celui de SA, ce qui permettrait, par définition, un plus grand anonymat et rendrait plus facile l’échange d’actions, sans la nécessité de passer par un notaire ou par le Registre du commerce.

Modèles hybrides et flexibles

Fondateur de la société vaudoise d’e-commerce QoQa, dont l’effectif s’élève aujourd’hui à plus de 230 employés pour un chiffre d’affaires de 155 millions de francs, Pascal Meyer a choisi d’ouvrir le capital de son nouveau projet de brasserie (Qbrew) non seulement à ses collaborateurs, mais également à la communauté de l’entreprise. Il l’a fait sous la forme de tokens, à savoir des jetons numériques équivalant à des bons de participations. Un système qui permet de détenir des valeurs, sécurisées grâce à la blockchain, sans avoir besoin de recourir à une lourdeur administrative en passant par un notaire ou une banque.

«Concrètement, nous avons décidé d’ouvrir 30% de notre capital à notre communauté, qui pouvait acheter des tokens entre 100 et 1500 francs, explique-t-il. En quelques minutes, nous avons levé 1 million de francs auprès de 2000 personnes. Cette rapidité nous a surpris, mais d’un autre côté nous avons dû faire face à énormément de gens frustrés et même fâchés de ne pas avoir pu investir.»

Le fait d’avoir eu recours à un système numérique a permis de simplifier énormément le processus et de le rendre plus flexible. L’entreprise établie à Bussigny (VD) s’est fait accompagner dans cette démarche par Taurus, une société genevoise spécialisée dans les infrastructures d’actifs numériques. A noter que les co-investisseurs bénéficient de divers avantages, que ce soit en termes de dividendes, de bières gratuites ou d’invitations à des événements notamment. «Depuis notre création, en 2005, notre structure a toujours été très horizontale, résume Pascal Meyer. Cette approche correspond à notre philosophie communautaire et à notre management basé sur l’holacratie. Chez nous, il n’y a pas une ou deux personnes qui détiennent tout le savoir-faire. Chaque cercle dispose de son autonomie.»

Management buy out, une pratique en vogue

Professeur en entrepreneuriat à la HEC de l’Université de Lausanne, Jeffrey Petty confirme l’effet positif de telles initiatives en termes de motivation et de productivité. «En Suisse, au-delà du modèle traditionnel de la start-up, on observe une hausse du nombre de personnes qui achètent des entreprises existantes. C’est moins risqué, surtout dans le cas d’un rachat par le middle management, car les employés connaissent le fonctionnement de la société.»

Il apporte néanmoins quelques nuances. Selon lui, certains aspects, comme le niveau élevé des salaires en Suisse, peuvent rendre cette pratique moins incitative qu’ailleurs dans le monde, par exemple aux Etats-Unis, où elle est plus répandue. «Par ailleurs, il convient de veiller aux taxes qui peuvent fortement varier d’un canton à l’autre. De plus, au-delà des dividendes, si les actionnaires veulent vraiment un jour gagner de l’argent avec leurs actions, il faut que survienne un événement externe, comme un rachat. Or les chiffres montrent que cette probabilité est plus grande dans d’autres pays qu’en Suisse.»

Les MBO ont le vent en poupe

Tendance Les exemples récents de management buy out (MBO) ou rachat de l’entreprise par ses cadres ne manquent pas en Suisse romande. On peut mentionner l’agence numérique veveysanne Marvelous Digital, dont les trois plus jeunes actionnaires ont racheté l’année dernière les actions des plus anciens. Mais aussi le sous-traitant horloger du Jura bernois Roventa-Henex, repris également l’année dernière par ses dirigeants, l’imprimerie PCL Presses Centrales, à Renens (VD), rachetée à la Fondation Sandoz par ses directeurs en 2021 ou encore le prestataire informatique fribourgeois Cisel, racheté en 2018 par son management.

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William Türler
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