«Enfant, j’avais deux rêves. Devenir astronaute ou entrepreneur. Le premier ne s’est pas concrétisé mais l’Agence spatiale européenne m’a toutefois permis de vivre une expérience unique: plusieurs vingtaines de secondes en apesanteur au cours de vols paraboliques à bord d’un Airbus A300. Au-delà des souvenirs, il me reste de cette période mon brevet de pilote, passé à l’âge de 20 ans, avec extension voltige, discipline où j’ai été trois fois champion suisse dans différentes catégories ces trois dernières années. Impatient, j’ai rapidement pris les devants pour amorcer mon deuxième rêve. A 14 ans, j’ai en effet créé avec un copain ma première entreprise, Speed Memory, une société de dépannage informatique.

également interessant
 
 
 
 
 
 

Mais dans un coin de ma tête trottait l’idée de créer une structure plus novatrice et surtout plus importante, une sorte de futur Logitech, au cas où mon rêve spatial échouerait. Le problème, c’est qu’après mon master en microtechnique le sujet de ma thèse de doctorat sur la nanofluidique ne laissait pas la possibilité de créer une start-up. Qu’à cela ne tienne. Avec Iwan Märki, un collègue qui réalisait un postdoc très complémentaire au mien, nous avons donc fondé Abionic, en 2010, dans le but d’inventer une technologie permettant l’identification précoce de la septicémie et d’autres infections. Un objectif particulièrement ambitieux puisque nous sommes partis d’une idée, donc de zéro, pour créer une plateforme mêlant l’optique, la mécanique de précision, l’électronique, la chimie, la biologie, l’informatique et les nanotechnologies.

Au début, tout a bien marché. Nos familles nous ont soutenus pour réunir les 100 000 francs nécessaires à la création de la SA, puis nos bons résultats ont été primés avec, à la clé, 10 000 francs par-ci, 50 000 francs par-là. Heureusement car, avec treize ans de recul, je peux dire que l’écosystème helvétique n’est vraiment pas favorable au développement de jeunes sociétés high-tech. Même celles étant au bénéfice d’une technologie révolutionnaire comme l’AbioSCOPE, notre plateforme de diagnostic qui permet de détecter à partir d’une goutte de sang ou de salive, en quelques minutes et avant l’apparition des symptômes, le développement d’un sepsis, qui s’avère souvent mortel lorsqu’il n’est pas décelé à temps. Quand j’y pense, je me demande si je me serais lancé dans des semaines de 70 heures pendant des années en sachant combien tout est compliqué dans un pays qui ne fait pas partie de l’Union européenne et qui n’a pas de réel marché intérieur. De plus, les normes de régulation dans le domaine médical se sont beaucoup durcies ces dernières années.

Par bonheur, nous avons pu et nous pouvons toujours compter sur l’adhésion d’investisseurs privés qui ont permis à l’entreprise de compter jusqu’à 60 employés, alors qu’aujourd’hui elle est redescendue à 20. Au total, 178 personnes ont investi 90 millions de francs dans Abionic. C’est juste extraordinaire même si, par comparaison, notre principal concurrent américain a levé 1,5 milliard en bourse. Mais lui est condamné à réussir rapidement, sous peine de voir le prix de son action s’effondrer. Nous avons commencé à commercialiser notre technologie dans plus de 30 pays. Manque l’approbation des Etats-Unis, qui devrait tomber d’ici un an et enfin booster notre réussite commerciale. D’ici là, mon vrai jackpot est de sauver des vies. Il y a un mois, en Grèce, sans notre technologie, une jeune fille de 18 ans ne serait plus parmi nous…»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz