«J’aime travailler seule et au calme. La rigidité du cadre de travail en entreprise me pesait, j’ai donc décidé de me mettre à mon compte.» Tami Hopfgartner exerce comme artiste peintre et tatoueuse indépendante depuis 2015. Cette liberté professionnelle s’est néanmoins accompagnée de contraintes administratives. «J’ai été un peu submergée par toutes ces démarches auxquelles je ne comprenais pas toujours tout. J’ai procrastiné longtemps avant de m’y atteler sérieusement.» Désormais organisée en Sàrl, la Veveysane dispose de toutes les couvertures nécessaires, 2e et 3e piliers compris. «La facture est salée, mais au moins on se sent à l’abri.»

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Selon l’Office fédéral de la statistique, 13,1% des Suisses exerçaient leur activité en tant qu’indépendants en 2021. Pour Suzi Guignard, conseillère financière chez Impact Finance Engineering, à Genève, les indépendants doivent impérativement se constituer une prévoyance au plus vite, quelle qu’en soit la forme. «Même avec un petit revenu, les indépendants ont tout intérêt à commencer tôt.»

Rente AVS souvent insuffisante

Pour beaucoup, ce statut, qui comprend les chefs d’entreprise, se traduit par davantage de liberté et de flexibilité dans la vie professionnelle. La tendance est en légère hausse depuis 2017 et représente en chiffres absolus une hausse de 29 000 personnes en quatre ans. L’indépendance s’accompagne cependant d’une responsabilité accrue en matière de prévoyance vieillesse puisque, à la différence des salariés, les indépendants doivent l’organiser seuls.

Comme les autres actifs suisses, les indépendants sont tenus de s’acquitter de leurs cotisations AVS. Ils doivent verser jusqu’à 8,1% de leur chiffre d’affaires dans le cadre de leur participation au 1er pilier et bénéficient donc de cette couverture sociale une fois à l’âge de la retraite. Mais la rente AVS, qui oscille entre 1225 et 2450 francs, s’avère bien souvent insuffisante pour assurer un niveau de vie décent et il s’agit, pour les indépendants, du seul pilier obligatoire.

Les indépendants ne sont en effet pas automatiquement affiliés à une caisse de pension LPP (loi sur la prévoyance professionnelle). Considérée comme «le pilier de l’employeur», la prévoyance LPP est, en théorie, accessible aux indépendants, mais sur une base volontaire. Une fois inscrit, l’indépendant devra obligatoirement verser les montants minimaux requis dans sa caisse de pension. Aujourd’hui, seulement 45% des indépendants suisses sont affiliés à cette option. «Le montant des cotisations au 2e pilier peut être élevé, surtout dans le cas d’une jeune entreprise», indique Suzi Guignard.

«Le 2e pilier apparaît plus avantageux une fois l’âge de la retraite atteint, dans la mesure où il peut être perçu sous forme de rente plutôt qu’en un capital versé en une fois.»

 

«Pour les moins de 35 ans, le montant s’élève à 7%, mais grimpe ensuite par paliers jusqu’à atteindre 18% à partir de 55 ans», précise Jean Netzer, spécialiste en prévoyance à la société de courtage Aon. Ce pourcentage est prélevé sur le chiffre d’affaires réduit d’une «déduction de coordination» établie à 7/8 de la rente AVS maximale, soit à 25 725 francs.

«Le 2e pilier apparaît plus avantageux une fois l’âge de la retraite atteint, dans la mesure où il peut être perçu sous forme de rente plutôt qu’en un capital versé en une fois. Certains prestataires proposent aussi de verser le 3e pilier sous forme de rente également, mais avec un taux de conversion beaucoup moins favorable», poursuit Suzi Guignard. En d’autres termes, la part du montant épargné qui est versée chaque mois sous forme de rente est généralement plus faible dans le cas du 3e pilier.

Epargne défiscalisée

Dans son salon de coiffure lausannois, où elle emploie une salariée, Mahine Tchiakpe a aussi opté pour l’indépendance. Après quelques années en tant qu’employée administrative, elle fait le choix de se tourner vers la coiffure en 2015. Elle se forme pendant un an à New York avant de revenir en Suisse pour ouvrir son salon, Mahine Hairstylist, en 2017.

En passe de se constituer en Sàrl, Mahine Tschiakpe se versera désormais une cotisation LPP en tant que salariée de sa propre entreprise. «Maintenant que je dois faire la démarche pour mon employée, j’ai décidé de m’inscrire moi aussi pour m’assurer une meilleure situation une fois à la retraite. Je constate que beaucoup de gens triment lorsqu’ils ont l’âge de la retraite, la prévoyance n’est donc pas quelque chose que je prends à la légère.»

«Lorsque j’ai décidé de prendre en main ma prévoyance vieillesse, je me suis tournée vers le 3e pilier, car la solution offre davantage de flexibilité et se révèle aussi accessible aux petits revenus, explique Mahine Tchiakpe. Avec ce système, les sommes versées sont aussi déductibles des impôts et, dans le cas du 3e pilier bancaire, on est libre de mettre les montants que l’on souhaite. Personnellement, je mets un point d’honneur à épargner régulièrement, même en cas de période creuse, afin de ne pas en perdre l’habitude. C’est un aspect crucial pour s’assurer une retraite convenable.»

Pour Suzi Guignard, du cabinet de conseil Impact Finance Engineering, le 3e pilier est un bon début. «Cette forme d’épargne défiscalisée permet non seulement de se mettre à l’abri mais aussi de diminuer son revenu imposable.» La prévoyance privée n’est en effet pas soumise aux mêmes conditions que la prévoyance LPP en matière de versements minimaux, mais elle permet aussi de défiscaliser les montants épargnés. Les indépendants peuvent verser jusqu’à cinq fois plus (35 280 francs) dans leur 3e pilier que les salariés (7056 francs).

Plan de prévoyance alternatif

D’autres font le choix de se tourner vers un plan de prévoyance alternatif (3e pilier b) sous forme de placements et de polices d’assurance privées. Mais ce dernier, bien que libre et potentiellement plus rémunérateur, ne bénéficie d’aucune déduction fiscale. Selon Jean Netzer, certains indépendants peuvent faire ce choix pour optimiser leur capital. «Les plans de 3e pilier sous forme d’épargne-titres, où les fonds font l’objet de placements sur les marchés financiers, peuvent offrir de meilleurs rendements, mais, contrairement au 2e pilier, ils ne disposent pas de taux d’intérêt minimum. La démarche se révèle donc plus risquée.»

Elsa Wack est traductrice indépendante depuis plus de trente ans. Après quelques années à entretenir un 3e pilier, elle a décidé d’en retirer les fonds et de renoncer à épargner davantage «pour des raisons financières». Aujourd’hui âgée de 67 ans, elle se voit dans l’obligation de poursuivre son activité professionnelle, mais ne s’en plaint pas. «J’ai plusieurs fois été tentée de me rediriger vers le confort financier d’un emploi en entreprise, mais quand on s’est habitué à gérer soi-même ses horaires et à travailler depuis chez soi, on s’en passe difficilement. Ma rente AVS et mes héritages me permettent de compléter mes fins de mois et je continuerai volontiers d’exercer le plus tard possible. Traduire et écrire sont non seulement mes gagne-pain, mais aussi mes passions.»

Le cas d’Elsa Wack est loin d’être isolé: selon l’OFS, 36% des hommes et 26% des femmes ayant atteint l’âge de la retraite ont continué de travailler sur la période 2018-2020.

Ouvrir un 3e pilier constitue une option intéressante pour les indépendants, à certaines conditions.

«Le 3e pilier a (ou 3e pilier lié) est non investi, c’est-à-dire qu’il prend la forme d’une assurance ou d’une épargne. Il offre une rémunération généralement plus faible que le 2e pilier, même si la hausse des taux d’intérêt pratiquée en ce moment a tendance à resserrer cet écart», explique Sébastien Brocard, responsable solutions LPP chez Groupe Mutuel. Pour des rendements plus élevés, il est possible de se tourner vers les placements, «à condition de ne pas avoir une aversion au risque et de disposer encore de plus de dix ans avant son départ à la retraite».

Par ailleurs, la prévoyance libre (3e pilier b) offre une liberté quasi totale en matière de cotisations et de retrait. «Elle représente donc une option intéressante en cas de revenus fluctuants.» Le 3e pilier présente en outre l’avantage de la restitution du capital en cas de décès, par exemple, ce qui n’est pas le cas pour les caisses de pension.