Le choc avait été très rude. Les tribuns 
Et les centurions, ralliant les cohortes, 
Humaient encore dans l’air où vibraient leurs voix fortes 
La chaleur du carnage et ses âcres parfums. 

D’un œil morne, comptant leurs compagnons défunts, 
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes, 
Au loin, tourbillonner les archers de Phraortes; 
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.  

C’est alors qu’apparut, tout hérissé de flèches, 
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches, 
Sous la pourpre flottante et l’airain rutilant, 

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Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare, 
Superbe, maîtrisant son cheval qui s’effare, 
Sur le ciel enflammé, l’Imperator sanglant.

L’empereur des villes helvétiques est Genève, presque aussi rouge que l’Imperator du sonnet de José-Maria de Heredia, puisque la gauche y détient une majorité pratiquement sans partage. Dans le classement des plus grandes agglomérations du pays, la tête démontre une grande stabilité: grosso modo, on prend les mêmes et on recommence. Seules les positions sur le podium changent.

Pour mémoire, l’an passé, Sion (5,62) l’emportait d’un souffle sur Lucerne (5,62), Genève (5,40) s’octroyant le bronze. Sur l’exercice 2022, c’est la Cité de Calvin (5,60) qui cette fois précède la capitale de Suisse centrale (5,56) et la valaisanne (5,52). Comme dans la Rome antique, c’est le même triumvirat qui reste aux commandes. Mais il faut prendre garde, car la situation pourrait vite changer. Dans leur grande sagesse, les anciens Romains l’avaient bien compris: lors du défilé triomphal des légions victorieuses, ils faisaient accompagner le général vainqueur d’un esclave qui lui murmurait à l’oreille: «La roche Tarpéienne est proche du Capitole.» Un message destiné à rappeler que le cœur du pouvoir – le Capitole – est situé sur la même colline que la crête d’où l’on faisait basculer les condamnés à mort…

Premières traces de délitation

Néanmoins, disons-le d’emblée, le résultat 2022 des villes est encore loin d’être catastrophique, même si les premières failles se font déjà jour. Illustration immédiate: l’an passé, La Chaux-de-Fonds, qui fermait le classement, affichait encore une moyenne de 3,35. La lanterne rouge reste dans la région, mais Delémont a plongé lourdement, de 3,64 à un très faible 2,57! Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard que ces premiers remous frappent l’Arc jurassien: plus sensible aux aléas de la conjoncture, l’activité industrielle y a une importance accrue.

En outre, en matière de finances publiques, les villes constituent souvent un indicateur avancé: en bout de chaîne, elles n’ont – au contraire des cantons ou, plus encore, de la Confédération – pas de collectivités subordonnées sur qui reporter des charges.

Pour part, la relance post-covid sourit encore aux cités: leur service de la dette reste à un niveau plancher. Pour toutes les collectivités, les revenus du patrimoine effacent des intérêts passifs toujours très bas (Ind. 4). Seule La Chaux-de-Fonds fait exception. Cependant, avec à peine 1,50 franc dédié aux intérêts sur 100 francs d’impôts, c’est minime et vaut toujours la note maximale.

Sans surprise, le niveau des intérêts passifs divisés par la dette brute (Ind. 8) reste plus que modeste. Toutes les villes obtiennent la note maximale. Même la métropole horlogère qui, avec 1,8%, récolte encore un 6,0 tout en étant la moins bien lotie de l’échantillon. Mais les premières failles apparaissent dans les murailles des cités: sur plusieurs indicateurs, le ciseau tend à s’ouvrir entre les villes opulentes et celles qui plongent déjà dans la dèche. Ainsi, sous l’angle de la dette nette mesurée à leurs revenus fiscaux (Ind. 9), cinq municipalités disposent désormais d’une fortune nette équivalant à plus d’une année de rentrées fiscales. A l’image de Coire (2,5 ans), mais aussi de Genève (20 mois) ou de Schaffhouse (14 mois). Brillant!

En revanche, bien loin de disposer d’une fortune nette, Lausanne, La Chaux-de-Fonds et Delémont ont accumulé une dette dépassant ou tutoyant le triple des impôts encaissés annuellement. La capitale olympique se défend en signalant qu’elle «comprend des unités commercialisées ou autofinancées telles que les Services industriels (SIL) et le Service de l’eau». L’administration lausannoise souligne que «la valeur des immobilisations liées à ces deux entités est intégrée dans l’endettement net alors que les revenus qui en découlent ne sont pas pris en compte dans le calcul du ratio». Certes, mais c’est occulter un peu vite que, d’ordinaire, les SIL jouent un rôle crucial pour redorer les finances de la ville.

Financements plus difficiles

Autre signal d’alarme avancé: dans l’élan de la reprise qui a suivi la pandémie, les villes ont continué à investir très massivement, avec une médiane supérieure à 11% de leurs dépenses courantes (Ind. 6). Un effort substantiel, mais que certaines peinent déjà à financer par leurs propres ressources.

Bien sûr, cette année, une dizaine de collectivités couvrent toujours facilement ces investissements avec leurs recettes courantes (Ind. 2). Du nombre: Neuchâtel (267%) et Genève (242%), mais aussi, quoique moins seigneuriales, Fribourg (127%) et Sion (111%). A l’inverse, La Chaux-de-Fonds et Delémont voient leur degré d’autofinancement s’effriter massivement et doivent désormais emprunter plus des trois quarts des moyens investis.

Lueur d’espoir: une petite dizaine de cités ont visiblement anticipé le message. Elles ont déjà réduit leurs dépenses courantes par habitant (Ind. 5) par rapport à 2021. Mais, à l’autre bout du classement, plusieurs villes n’ont pas été aussi prévoyantes et ont laissé ces dépenses prendre brutalement l’ascenseur. Ainsi: Winterthour (+8,1%), Delémont (+7,8%), Zurich (+7,3%), Fribourg (+6,6%) et Schaffhouse (+6,2%).

Surfant sur une conjoncture encore favorable, plus de la moitié des villes ont profité de l’exercice 2022 pour réduire leur dette. En vedette, Genève, où l’endettement net a chuté de plus d’un quart. Ou encore Neuchâtel, où la baisse dépasse 20%. L’avenir est moins rose à La Chaux-de-Fonds et à Delémont, où les nouvelles dettes tutoient les 8% (Ind. 3).

Symbole de détérioration probablement programmée des finances communales, le rapport de la dette brute à l’aune des revenus (Ind. 10) s’est fortement dégradé: tant la moyenne que la médiane des cités sont passées en dessous de 3,5. Il n’y a plus que la ville de Schaffhouse (5,72) qui affiche une note supérieure à 5,0. A Lugano, à La Chaux-de-Fonds et à Berne, il faudra plus de deux années, voire jusqu’à deux ans et demi de revenus courants pour effacer la dette. Inquiétant.

Classement 2022 des finances des communes

Les finances publiques des communes en 2022.

© Ricardo Moreira
Le triomphe de Genève

Chez les villes, le triumvirat de tête reste donc inchangé. La victoire de Genève, cité très à gauche, pourrait surprendre. Elle illustre surtout une Genferei positive: ville ou canton, le bout du lac plonge plus profondément que les autres quand l’économie s’enrhume, mais ils rebondissent plus vite et plus fort quand elle resplendit. Cela se voit avec une couverture des charges (Ind. 1, 111%) pharaonique.

La ville de Neuchâtel opère aussi un renversement spectaculaire, passant des tréfonds du classement (3,82 en 2021) à un superbe 5,33 cette année, au pied du podium (4e). Victorieuse l’an dernier, Sion fléchit légèrement (5,52) et conserve le bronze.

Fléchissement aussi à Fribourg qui perd deux dixièmes de moyenne et passe au-dessous du 5,0, au 10e rang. La chute est plus rude à Lausanne qui lâche presque un demi-point pour un 4,27 qui vaut une 15e place.

Vae victis! Les vaincus de l’épisode sont malheureusement romands: La Chaux-de-Fonds (3,46) pénultième et Delémont dernier (2,57). Outre des moyennes très insuffisantes, les deux cités de l’Arc jurassien partagent le fait de n’avoir pas couvert leurs charges avec leurs revenus courants (Ind. 1) et de continuer à faire des investissements importants (Ind. 6) qu’elles n’arrivent de loin pas à autofinancer (Ind. 2).

La Tchaux invoque un transfert important entre patrimoine financier et administratif qui impacte les taux d’endettement net et d’autofinancement. Certes, mais peut-on pour autant affirmer que le déficit est maîtrisé et les autorités communales souhaitent poursuivre l’effort d’investissement qui s’inscrit dans une dynamique positive tournée vers l’avenir»?

PB
Pierre Ballay