Plus de vingt-cinq ans après sa création, Renaissance reste unique dans le paysage suisse. La structure lausanno-zurichoise continue d’être la seule à investir dans les PME, tandis que les autres fondations de placement de ce type préfèrent se tourner vers des sociétés cotées en bourse ou des start-up. A titre d’exemple, en 2022, elle est devenue l’actionnaire majoritaire de trois PME suisses actives dans les nouvelles énergies, l’industrie et le textile, pour un montant total de 65 millions de francs.

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Les dividendes des participations réalisées sont reversés à une quarantaine de caisses de pension. Et le succès est au rendez-vous puisque le taux de rendement moyen de la fondation pour les quatre dernières années est de 12%. Les explications de Christian Waldvogel, directeur associé.

En tout, Renaissance a acquis des participations dans plus de 40 PME pour un total d’environ 500 millions de francs. Qu’est-ce qui vous attire chez ces sociétés «matures»?

Dans deux tiers des cas, nous investissons dans des entreprises qui n’ont pas de repreneur et doivent recourir à des solutions externes à la famille. Pour le tiers restant, il s’agit de rachats industriels, soit des divisions de groupes suisses ou étrangers que ceux-ci souhaitent vendre. Nous avons par exemple racheté en 2023 Heberlein, une société de 85 employés active dans le textile depuis 1835. En déboursant ces 45 millions de francs, le but était de rapatrier sur sol suisse l’actionnariat détenu jusque-là par une société chinoise.

Nous sommes attirés par les sociétés qui occupent une position de leader dans leur domaine, localement ou nationalement. L’entreprise vaudoise Canplast, par exemple, avec ses 70 collaborateurs, domine le marché régional des installations de traitement des eaux usées. Auant à BB Trading et ses 84 employés à Dietikon (ZH), elle est leader suisse dans le domaine des cadeaux d’entreprise.

D’autres exemples?

Nous nous intéressons aussi aux PME situées sur un marché de niche à l’international. Elles réalisent au minimum plus de la moitié de leur chiffre d’affaires à l’étranger. On peut citer par exemple la société fribourgeoise Condis, spécialisée dans les condensateurs à haute tension, ou la PME zurichoise Baitella, reconnue pour ses bras articulés mécaniques avec unité de serrage centrale, utilisés dans des salles d’opération du monde entier.

Dans tous les cas de figure, nous prenons des participations majoritaires dans des sociétés saines et rentables. Les PME de notre portefeuille ont par exemple montré une reprise solide après la crise du covid, avec des marges opérationnelles de plus de 20% en 2022 et 2023.

L’objectif est-il de revendre ces entreprises après quelques années?

Au départ, Renaissance proposait aux caisses de pension des fonds limités à une durée réglementaire maximale de douze ans. Toutefois, les entrepreneurs dont la société était rachetée ne souhaitaient pas qu’elle soit remise sur le marché rapidement. Du côté des caisses de pension, elles étaient plus intéressées à des investissements dans des PME suisses sur le long terme qu’à réaliser d’éventuelles plus--values lors d’une revente. Pour répondre à cette double demande, nous avons créé en 2018 le fonds Evergreen, permettant de détenir les sociétés sur le long terme, sans aucune limitation dans le temps.

Nous y avons ajouté un programme ESG, soit en faveur du respect de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Cela répondait à une demande des caisses de pension, mais aussi des clients des PME tels que des multinationales. Pour éviter le greenwashing, nous avons créé une plateforme avec la HEG Fribourg baptisée esg2go, qui comprend 80 indicateurs de performance dans les trois différentes composantes ESG. Cette approche permet d’avoir une évaluation ESG quantitative et d’identifier les mesures d’amélioration concrètes qui pourraient être mises en place.

Quelle participation prend Renaissance dans l’actionnariat? 

Nous reprenons généralement environ 70% des actions. Lors d’une succession, la famille conservera environ 20% du capital pendant trois à cinq ans pour garantir une continuité, importante pour les clients comme pour le personnel. Enfin, 5 à 10% environ de l’actionnariat est acquis par le management. Plus cette dernière participation est haute, mieux c’est, car cela augmente encore la motivation de ces cadres actionnaires et permet un alignement des intérêts.

Quels changements marquants avez-vous constatés depuis les premiers rachats de sociétés il y a vingt-cinq ans? 

Je suis toujours frappé par la résistance des PME aux crises, de celle de 2008 à celle du franc fort, en passant par la pandémie. Ces différentes épreuves les ont poussées à être toujours plus efficaces, plus compétitives. La digitalisation est aussi beaucoup plus présente qu’avant. Les entreprises exportatrices peuvent organiser des présentations, des formations avec leurs clients via des conférences vidéo à l’autre bout du monde; une chose inimaginable il y a quelques années. Nous avons constaté aussi l’intensification de la pénurie de main-d’œuvre à tous les niveaux, des opérateurs de machines aux ingénieurs. Enfin, les successions se sont professionnalisées, avec l’arrivée d’intermédiaires spécialisés dans les processus de vente.

En matière de succession justement, quels conseils donneriez-vous à une PME?

Planifier la reprise le plus tôt possible est un gage de réussite. Mieux vaut s’en préoccuper à 55 ans qu’à 65. Cela permet de bien réfléchir à un plan de succession et de le faire en deux étapes pour assurer une bonne transition, avec quelques années où l’entrepreneur ou sa famille restent impliqués comme actionnaires, par exemple. Pour les cadres qui ne sont pas liés à la famille, j’aimerais leur dire: prenez-vous en main et rachetez votre entreprise plutôt que la voir partir en d’autres mains. On parle toujours de start-up, mais les PME matures sont tout aussi intéressantes, leur rentabilité est beaucoup plus facilement perceptible. Il y a plusieurs modes de financement pour des rachats avec des fonds institutionnels comme Renaissance, mais aussi des prêts concédés par le vendeur et des dettes bancaires.

 
BG
Blandine Guignier