«C’est une recette pour détruire les entreprises familiales.» C’est en ces termes que Swissmem, faîtière de l’industrie des machines, qualifie l’initiative «Pour l’avenir» lancée par les Jeunes socialistes, qui prévoit une taxation des successions et sera prochainement soumise au vote populaire. Economiesuisse dénonce pour sa part un texte «qui détruirait les entreprises familiales et entraînerait une baisse des recettes fiscales».

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Ces formules tranchées témoignent d’une inquiétude profonde des milieux économiques face à cette imposition jugée massive sur les successions et donations. De leur côté, les initiants revendiquent un objectif clair: faire contribuer les plus riches au financement de la transition climatique de manière «socialement juste» au moyen d’un nouvel impôt fédéral de 50% sur les successions et les donations dont la valeur dépasse un seuil exonéré de 50 millions de francs. Ainsi, l’héritier d’une entreprise ou d’un bien valant 100 millions de francs devra payer 25 millions de francs d’impôt.

PME concernées?

Mais Fabio Regazzi, président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et conseiller aux Etats (Le Centre/TI), doute que la franchise de 50 millions suffise à exonérer les PME familiales. «Il est difficile d’évaluer précisément le patrimoine des PME, car la vaste majorité n’est pas cotée en bourse. Mais si l’on considère l’ensemble des actifs, y compris les biens immobiliers, il y a fort à parier que beaucoup sont concernées ou pourraient le devenir si leur entreprise grandit.»

Un argument qui ne convainc pas Adrien Pinho, vice-secrétaire central des Jeunes socialistes suisses. «Le texte cible la fortune des personnes physiques, il ne s’agit pas d’imposer les successions des PME. Parmi les personnes concernées par l’initiative, seule une minorité serait chef d’entreprise, selon le Conseil fédéral. Il s’agit en outre d’héritiers de grosses fortunes liées à des entreprises solides financièrement.»

Mobilité des super-riches

Autre point de friction: le risque d’exode fiscal. «Si les gros contribuables quittent la Suisse, le vide dans les comptes publics devra être comblé par le reste du tissu économique et la classe moyenne, avertit Fabio Regazzi. L’initiative promet de viser les super-riches, mais risque bien de nuire à toute la population.»

Tous les cantons suisses appliquent déjà un impôt sur la fortune, avec des disparités notables et des taux généralement inférieurs à 1% par an. L’introduction d’un impôt sur les successions de 50% constituerait donc un tournant radical qui pourrait affaiblir la compétitivité du pays. D’autant que certains Etats voisins taxent peu les héritages, voire pas du tout (voir encadré).

Pas d’impôts en Autriche et taxe Zucman refusée en France

En matière de fiscalité successorale, l’Autriche se distingue par l’absence totale d’impôt sur les successions depuis 2008, ce qui en fait une destination très attractive pour les grandes fortunes. En Italie, les héritiers directs bénéficient d’un abattement de 1 million d’euros, après quoi ils doivent s’acquitter de 4% d’impôt, un taux parmi les plus bas d’Europe. A l’inverse, la France applique une taxation plus lourde, jusqu’à 45%, avec une franchise limitée à 100 000 euros tous les 15 ans. Les sénateurs français ont rejeté le 12 juin dernier la taxe Zucman, du nom de l’économiste à l’origine de la proposition. Le texte prévoyait un taux d’imposition plancher de 2% sur les fortunes de plus de 100 millions d’euros.

Une étude de l’Université de Saint-Gall publiée en février 2025 a analysé les répercussions fiscales de l’initiative. «Nous estimons qu’environ 2900 foyers se situent actuellement dans le champ d’application de la taxe. Pris ensemble, ils représentent actuellement 5,5 milliards de francs de revenus fiscaux pour la Confédération et les cantons», explique le Pr Reto Föllmi, coauteur de l’étude.

Selon le chercheur, la taxe pourrait rapporter 3,5 milliards par an à la Confédération et 1,8 milliard aux cantons – pour autant que ces ménages restent en Suisse après l’introduction de la taxe. Or ces ménages, estimés à 560 milliards de fortune cumulée, sont jugés très mobiles. Les chercheurs tablent donc sur un transfert de 60% de ces capitaux à l’étranger, engendrant une perte annuelle nette de 2,1 milliards pour les caisses fédérales et cantonales.

2900
Environ 2900 foyers se situent actuellement dans le champ d’application de la taxe, selon une étude de l’Université de Saint-Gall.

5,5 milliards
Pris ensemble, ils représentent actuellement 5,5 milliards de francs de revenus fiscaux pour la Confédération et les cantons.

60% de transfert
Ces ménages, estimés à 560 milliards de fortune cumulée, sont jugés très mobiles. Les chercheurs tablent sur un transfert de 60% de ces capitaux à l’étranger, engendrant une perte annuelle nette de 2,1 milliards pour les caisses fédérales et cantonales.

Mais Adrien Pinho relativise. «Il est extrêmement difficile d’estimer l’impact de la fiscalité sur la mobilité des super-riches. En 2021, une étude de l’OCDE concluait que le risque d’exode causé par l’imposition des successions était probablement surestimé.» L’initiative prévoit d’ailleurs que le Conseil fédéral mette en place des garde-fous contre l’évitement fiscal, comme une «exit tax», ou des mesures contre les domiciles fiscaux fictifs.

Une autre inquiétude concerne les liquidités nécessaires pour payer la taxe. «L’initiative risque d’obliger les sociétés à vendre leurs actifs pour générer des liquidités afin de s’acquitter des taxes», alerte Fabio Regazzi. Une crainte partagée par les auteurs de l’étude de l’Université de Saint-Gall, qui concluent que «la réduction de la liquidité des entreprises pour payer l’impôt sur les successions affaiblit leur capacité à faire face aux crises économiques, ce qui risque d’augmenter la vulnérabilité de l’économie et du marché du travail».

Une mesure contre-productive?

L’initiative peine également à convaincre les entrepreneurs engagés pour la durabilité. Christophe Barman est l’un d’entre eux. Cofondateur de Loyco, une entreprise d’externalisation de services administratifs, le Genevois copréside la Fédération suisse des entreprises (FSE). L’association réunit environ 1100 entrepreneurs suisses se sentant peu ou mal représentés par les faîtières traditionnelles. Habituellement prêt à critiquer l’orientation «trop droitière» de certains représentants de l’économie, l’entrepreneur se montre néanmoins perplexe face à l’initiative des Jeunes socialistes. «Je partage le constat qu’il faut s’engager davantage pour la politique climatique et que les plus fortunés devront participer à la hauteur de leurs moyens. Mais cette initiative est formulée de telle sorte à répandre un sentiment anti-riche qui pourrait être dommageable à la Suisse.»

La FSE ne prend pas officiellement position sur ce vote. «Nos membres ne seront a priori pas directement touchés par cette initiative. Bien rares sont ceux qui possèdent plus de 50 millions de francs d’actifs. Mais il faut rappeler que beaucoup de TPE et de PME dépendent des commandes de grandes entreprises. Les petits acteurs eux aussi risquent d’être fragilisés si les géants quittent le pays ou y réduisent leurs investissements.» L’entrepreneur estime par ailleurs qu’une initiative formulée en des termes moins extrêmes serait peut-être parvenue à convaincre le comité de la FSE de prendre parti. «Sur le principe, il faudra sans doute aller dans le sens d’une redistribution plus équitable et trouver le moyen de financer l’innovation.» Mais pour les initiants, l’absence de contre-projet montre que la question même de l’imposition des successions est encore trop délicate aux yeux du Conseil fédéral et du parlement, quelle que soit la recette. «L’imposition des successions pour les descendants et les conjoints n’est pas une solution envisageable», confirme Fabio Regazzi.