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Finances publiques

Pour les finances publiques, c’est le début du chemin de croix

Sur l’exercice 2024, les cantons entament une véritable descente aux enfers! Leur moyenne s’érode massivement, de 4 dixièmes. La chute est particulièrement brutale pour Vaud et le Valais, qui perdent trois quarts de point. A l’inverse, le Jura fait une remontée spectaculaire, passant de 4,01 à 5,33. Eclairage sur ce voyage au bout de la nuit financière.

Pierre Ballay

tirelire cochon

Les finances publiques ont terminé un cycle de vaches grasses, comme c’est le cas à peu près chaque décennie. Les surprises vont être mauvaises lors des bouclements de fin d’année.

Ricardo Moreira

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Les grands argentiers cantonaux ne pourront pas prétendre qu’ils n’étaient pas prévenus: «Les délices de Capoue sont bientôt consommés», annonçait PME en titre de l’analyse des comptes 2023. «Villes et cantons: entre bombance et famine», soulignait-on l’an passé dans ces pages. La dure réalité des chiffres confirme ces prévisions pessimistes.

Fin des vaches grasses

Les finances publiques ont terminé le cycle de vaches grasses, comme c’était le cas à peu près chaque décennie. Sauf que, au XXIe siècle, on a plutôt connu une génération de vie facile. Mais aujourd’hui les chefs de département arpentent un nouveau chemin de croix.

Le Comparatif des finances publiques du professeur Nils Soguel de l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap), qui fournit les données de base au présent article, laisse peu de doutes sur les détériorations des comptes cantonaux. «Les surprises vont être mauvaises lors des bouclements de fin d’année. Comme le présage aussi la difficulté actuelle à mettre sous toit les budgets 2026», constate Nils Soguel.

Bâle-Ville, Lucerne et... le Jura dans la lumière

Le classement sur l’exercice 2024 des meilleurs grands argentiers cantonaux ne manque pas de surprendre. Pas tant par la victoire de Bâle-Ville, qui figure régulièrement aux places d’honneur. Mais sa note moyenne (5,37) est tout de même en retrait d’un quart de point par rapport à 2023.

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Le titre de vice-champion de Lucerne, qui, avec 5,35, rate le titre pour deux misérables centièmes, n’étonne pas forcément. Dans cet exercice 2024 morose, le canton de Suisse centrale est en effet l’un des rares à progresser et, en plus, solidement, avec une augmentation d’un quart de point. Non, la surprise vient du Jura, qui passe d’un résultat tout juste à la moyenne (4,01 en 2023) à un spectaculaire 5,33!

La résurrection du Jura

La remontada surprise du 26e canton suisse bénéficie d’un effet de base après un exercice précédent médiocre. Mais le Jura a fait des efforts. Au contraire d’autres cantons, tels que Vaud, il a déjà engagé un programme d’assainissement, le Plan Equilibre 22-26. Et il a bien travaillé: il maîtrise correctement ses charges presque couvertes par ses revenus. Ses investissements sont abondamment financés, à 150%. Le canton peut ainsi contenir sa dette qui a cessé de croître. Mais gare à l’intégration de Moutier: le budget jurassien 2026 est rouge vif. Toutefois, comme le résume le professeur Soguel: «Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, un budget ne fait pas encore l’hiver!»

Les Romands au purgatoire

Les autres collectivités romandes, sauf Vaud, naviguent dans le ventre mou du classement, avec des notes moyennes entre 4,67 et 5,07, entre la 9e et la 17e place. Si Neuchâtel (9e, 5,07) progresse d’un chouïa (+0,15) par rapport à 2023, le Valais – encore triomphateur l’an passé – s’effondre (11e, 5,04). Même si le résultat global se laisse toujours voir, la perte de trois quarts de points (-0,77) reste massive.

Fribourg (14e, 4,95) et Genève (16e, 4,72) limitent les dégâts avec un recul circonscrit entre un et deux dixièmes de point. Mais la crainte est certainement que ce mouvement négatif s’accélère. Quant à Berne (17e, 4,67), sa régression supérieure au demi-point (-0,62) annonce des lendemains qui risquent fort de déchanter.

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Vaud: que le début des souffrances

Sur l’exercice 2024, Vaud retrouve les affres des profondeurs du classement, à l’avant-dernier rang (25e, 3,76). Sa note moyenne chute de trois quarts de point et il ne doit qu’à l’incurie thurgovienne de ne pas récolter la lanterne rouge. Une situation qui rappelle étrangement le début des années 2000 où Vaud, cancre national, était presque abonné à la dernière place.

Le gouvernement tente certes de réagir. Mais il est confronté à une gronde populaire qu’il peine à gérer. La rue tonne en arguant que le canton dispose encore d’une fortune de quelque 2,5 milliards. Mais elle ignore – ou feint d’ignorer – que cette fortune fond à la vitesse grand V: elle a déjà baissé d’un tiers en deux ans. En 2022, la fortune nette vaudoise tutoyait les 3500 francs par habitant. Elle a déjà passé sous les 3000 francs (-15%) en 2023 et n’était plus que de 2300 francs (-17%) l’an passé. La décrue s’accélère et, pour l’heure, rien ne montre qu’elle va s’arrêter: un vrai souci pour le Conseil d’Etat vaudois...

Ténèbres à l'horizon

«D’une façon générale, le gros point noir tient au fait que la maîtrise des dépenses s’est perdue. On le remarque tant sur la moyenne des cantons que sur la médiane», note Nils Soguel. Les chiffres sont effectivement dans le registre funèbre: entre 2023 et 2024, ces dépenses (Ind. 5) croissent de plus de 4%.

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Dans ce lugubre classement, le Valais le dispute avec Nidwald avec une progression des dépenses dépassant les 8%! Une demi-douzaine d’autres cantons (SZ, ZG, AR, GR, TG, OW, VD) franchissent la barre des 5% que frôlent les Bernois.

Ultime bon élève de la classe: Uri, qui a réduit ses dépenses courantes par habitant de presque 0,6%. «Désormais, on ne peut plus s’abriter derrière l’excuse du covid. On a le sentiment que la population, mais aussi les élus paraissent avoir perdu la notion des ordres de grandeur», signale le professeur de l’Unil. Il est vrai que même le canton du Jura parvient aujourd’hui au milliard de budget.

Sombres perspectives

Si l’on jette un regard rétrospectif, on constate qu’une telle augmentation débridée des dépenses ne s’est plus vue depuis le début du siècle et la fin de la grande crise des années 1990. Pire encore: la population semble ne plus y croire. Le leitmotiv de la rue peut se résumer à un «On peut tout se permettre. On peut tout faire. Whatever it costs», pour reprendre un slogan fameux.

«Bien sûr, pendant la pandémie, plusieurs cantons ont relâché le frein à l’endettement, car la situation critique permettait de dégager les majorités nécessaires à cette fin au parlement», rappelle Nils Soguel. L’exemple le plus manifeste est incarné par le canton de Vaud. Mais on peine à revenir en arrière, à la sobriété requise.

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L'enfer des charges

Comme toujours, la couverture des charges (Ind. 1) est déterminante. «C’est la clé du succès», confirme le spécialiste de l’Idheap. Malheureusement, près de la moitié des cantons (11) vivent déjà à crédit. A l’extrême, en Thurgovie, les revenus couvrent désormais moins de 90% des charges. Saint-Gall (95,3%), Glaris (95,5%), mais aussi Vaud (97,0%), Uri (97,2%) et Appenzell Rhodes-Extérieures (97,7) doivent aussi emprunter pour leur ménage courant.

Par chance, les taux d’intérêt restent au plancher. Conséquence actuellement encore favorable: la charge de la dette n’absorbe qu’une part infime des impôts. Mais la situation se délite: le Valais et le Tessin consacrent déjà près de 1 franc sur 100 de rentrées fiscales au service de la dette (Ind. 4).

Le spectre de la hausse des taux

Il ne faudrait pas que ces conditions-cadres changent, car c’est une vraie bombe à retardement: les cantons pourraient voir le taux moyen de leur dette augmenter rapidement et, en corollaire, leurs intérêts passifs (Ind. 8) prendre l’ascenseur. Sur l’exercice 2024, tous les cantons reçoivent la meilleure note possible (6,0). Mais, en Valais, les emprunts du canton coûtent déjà 2,5% en moyenne!

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Et un quarteron de collectivités (Neuchâtel et Berne, aux côtés de Saint-Gall et du Tessin) affiche un taux moyen qui frôle 1% d’intérêts passifs. Un seuil que, à part le Valais, Nidwald (1,14%), Bâle-Campagne (1,20%) et Obwald (1,40%) ont aussi dépassé. Bref, les nuages noirs s’accumulent à l’horizon!

0,75
La baisse de la moyenne de Vaud et du Valais: souvent exemplaires, le second perd de sa superbe et le premier devient le cancre du pays.

+1,32
La progression spectaculaire du Jura: tout juste à la moyenne (4,01) en 2023, le dernier-né des cantons suisses finit même sur le podium en 2024.

18
Le nombre de rangs perdus par le canton de Vaud entre 2022 (7e) et 2024 (25e): une sacrée dégringolade.

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