Sillonnant l’Europe à bord d’un taxi entre la Suisse et la Galice au nord de l'Espagne, Antonio Rodriguez, qui a grandi à Delémont (JU), suit les traces de sa propre histoire familiale, mais aussi celle des oubliés d’une Europe néolibérale.
L’héritage de Steinbeck
Derrière le titre «Les chemins de la colère», référence claire aux «Raisins de la colère» (1939) de John Steinbeck, le journaliste trace un parallèle entre la route 66, symbole de la Grande Dépression américaine des années 1930, et le chemin de Compostelle. Cette voie d’émigration, suivie par ses parents dans les années 60, a été empruntée à nouveau après 2008 par une nouvelle génération, marquée par la chute de Lehman Brothers et la crise des «subprimes», l’effondrement des prêts hypothécaires aux Etats-Unis.
«Au bout de ces 2000 km, les Galiciens cherchent leur 'Californie' à eux: la Suisse, dit le Jurassien d'adoption. C’est là qu’ils trouvent un moyen d’échapper à la crise, aux poursuites des banques et au chômage», ajoute-t-il, précisant qu’il a lui-même emprunté cette route avec ses parents au début des années 70.
La colère est le moteur de ce livre. «Ce qui a déclenché l’écriture, c’est que, soixante ans plus tard, les Galiciens sont toujours contraints de partir, faute d’alternative.» Pour la première fois - c'est son cinquième livre -, Antonio Rodriguez choisit de s’éloigner de la posture du journaliste: il franchit la ligne pour se faire témoin, aussi sollicité par le devoir de mémoire envers ses parents récemment disparus.
Europe désenchantée
Il suit également «ces migrants économiques pour comprendre ce qu’est devenue l’Europe de mes rêves des années 80-90.» Il évoque des usines et des villages désertés, des forêts laissées à l’abandon, ravagées par les incendies. A l’image de la diagonale du vide en France. Le tout traversé par des colonnes de camions.
Ce voyage qu'il a entrepris entre la Galice et la Suisse, à bord d'un taxi emprunté par les Gallègues, lui fait retrouver une «lenteur qui permet l’écoute». Dans son activité de journaliste économique, il regrette encore de ne pas avoir toujours su expliquer le langage technocratique des institutions.
Mais le regard journalistique garde ses vertus: dans ce livre, il relie les trajectoires individuelles aux grandes mutations politiques et économiques.
Une présentation publique de son livre, paru le 1er octobre chez Bayard, est prévue le 23 octobre au Musée jurassien d’art et d’histoire à Delémont. D’autres rencontres sont annoncées à Paris et peut-être à Genève, «une ville symbolique pour moi, où le maire actuel, Alfonso Gomez, est d’origine galicienne, comme ma mère», souligne-t-il.