C’est moi qui ai réalisé ce plat», explique cette Américaine rose de plaisir. En face d’elle, planté derrière le buffet, le serveur thaïlandais lui sourit, mais à l’évidence, il ne la comprend pas. «Yes, it’s me. Je l’ai réalisé ce matin au cours de cuisine», lance-t-elle à la cantonade. Cette scène se passe à Chiang Maï, en Thaïande, sur la terrasse merveilleuse de l’hôtel Four Seasons, avec une vue magique sur un étang survolé de lucioles. Et même si, en fait, l’apprêt de cette touriste exaltée a sans doute fini à la poubelle, il n’en est pas moins vrai qu’elle a réalisé le même plat que celui qui figure au buffet à son retour du marché, le matin même: dès 6 heures, elle est partie en véhicule climatisé faires ses emplettes avec un guide anglophone.

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Car, c’est bien connu, «quand on a vu un temple, c’est comme si on les avait tous vus». Et une fois effectués le tour à dos d’éléphant – so amazing – et l’éprouvante croisière en radeau, il faut bien s’occuper. Au chapitre des activités sévèrement tarifées, le Four Seasons a donc eu fin nez en organisant des cours de cuisine dans des installations d’un luxe à faire pâlir n’importe quelle école professionnelle. Bien vu. Malgré l’horaire décourageant, les Occidentaux de passage adorent.

En quelques années, les cours de cuisine sont devenus un loisir incontournable, au même titre que la course à pied ou les week-ends en vol low cost. On se les offre ou on les offre (tiens, c’est bientôt Noël!) avec la certitude que ce sera un succès. Cours de sushis chez Migros, cours en famille à l’Alimentarium de Vevey, cours de fabrication de pain à la Cure de Pomy: il y en a pour tous les goûts. Mais le nec plus ultra reste un cours chez un grand chef.

Pionnier en la matière, Georges Wenger (18/20 au GaultMillau, 2 étoiles Michelin) donne des cours depuis son installation au Noirmont (JU), il y a trente-sept ans: «Ce n’était pas du tout courant. Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque: ici, la gastronomie n’était pas une préoccupation pour la majorité des gens et personne ne mangeait de poisson. J’ai aussi pensé que donner des cours serait un bon moyen de renouer avec cette région que j’avais quittée pour me former.»

Depuis cette époque, il a accueilli des centaines d’élèves. Au fil des ans, le profil des élèves a complètement changé. «Là où venaient essentiellement des dames aisées, la quarantaine ou la cinquantaine, férues de cuisine et ayant pour objectif de se perfectionner dans un domaine bien précis, je vois à présent des groupes très hétérogènes en âge et en compétences.» Du coup, la teneur des cours a forcément évolué. Plutôt que d’approfondir une thématique précise, ils ancrent des bases incontournables pour qui veut épater ses convives. En revenant du Noirmont, les élèves savent donc, ni plus ni moins, comment s’organiser pour envoyer dix plats en l’espace d’une demi-heure. A eux, ensuite, de pratiquer. Mais ils savent aussi l’essentiel en matière de saisonnalité des produits, de choix des poissons et des viandes, de prix des aliments de qualité.

La cuisine c'est facile

Pas besoin, donc, d’être un cordon-bleu pour se rendre dans la cuisine d’un grand chef. Au Chat Botté, l’élégant restaurant de l’Hôtel Beau-Rivage, à Genève, le chef Dominique Gauthier (18/20, une étoile) en sait quelque chose. «J’adore venir à vos cours, même si je déteste cuisiner à la maison», lui a récemment glissé une cliente, mère de quatre enfants. Cartésienne, elle vient donc régulièrement accompagnée de son mari qui, lui, adore cuisiner et concocte ensuite des merveilles à sa petite famille. Car ça fait cinq ans que ça dure! Ce couple n’est d’ailleurs pas le seul à suivre en habitués les cours de Dominique Gauthier. Ainsi, ce juge qui bloque les dates de tous les cours de mois en mois. «Il prend des notes avec une incroyable assiduité», constate Dominique Gauthier, ravi de le voir perfectionner son savoir-faire dans l’immense cuisine du Beau-Rivage. Une cuisine où fument les marmites et où grésillent les viandes. Sans pour autant que l’atmosphère soit irrespirable. On est bien loin du cliché des marmitons d’autrefois.

L’évolution des conditions de travail dans les cuisines professionnelles n’est de loin pas étrangère au succès des cours. Les plaques à induction assurent désormais une température supportable, les hottes d’aération permettent de ne pas devoir planifier un arrêt urgent au pressing en sortant, et le ton général n’a plus rien à voir avec la rudesse d’autrefois. Plus personne ne hurle, les casseroles sont plus légères et de plus en plus souvent, il y a même une table d’hôte en cuisine.

Une immersion magique

C’est le cas au Chat Botté. On s’y attable avec vue sur les fourneaux: garde-manger par-ci, rôtissage des viandes par-là, puis pâtisserie de l’autre côté. C’est une immersion dans l’univers magique de la cuisine d’un grand hôtel. Certains cours se terminent d’ailleurs par un repas partagé à cette table bien particulière. Et les clients y prennent goût. Au Chat Botté, la «chef’s table» est littéralement prise d’assaut et réservée des semaines à l’avance. En fin d’année, il y a même une liste d’attente certains jours. Apparemment, le style de cuisine de Dominique Gauthier plaît au point de susciter des vocations. C’est le cas de cette jeune femme qui a quitté son job dans une boutique de luxe, à Genève après avoir suivi cinq cours au Beau-Rivage. «Elle a commencé par faire un stage de trois mois, et maintenant, elle a entrepris une formation de cuisinière», se réjouit Dominique Gauthier.

Comment se passent ses cours? «Les participants viennent à 16 heures. Ensemble on prépare un plat qui figure à la carte, légèrement simplifié, parfois, pour être facilement réalisable à la maison», raconte le chef qui tient à transmettre sa passion sans tricher. «De même, dans mon livre, j’ai tenu à ne présenter que des recettes réalisables, précise-t-il. Pendant les cours, j’aime transmettre des astuces et des tours de main: comment peler un oignon sans pleurer, ouvrir, puis apprêter une Saint-Jacques, lever les filets d’un bar…»

A hôtel de luxe, cuisine assortie: au Beau-Rivage, chaque participant dispose d’une plaque de cuisson pour lui tout seul et réalise son plat de A à Z. A l’issue du cours, on lui sert une coupe de champagne. Puis chacun prend son assiette pour la déguster avec les autres. De quoi créer des liens.

Prêts à mettre le prix

Il faut dire que la formule d’entrée de gamme est assez abordable: 200 francs par personne, champagne compris. Quoi qu’il en soit, les participants sont prêts à mettre le prix pour passer en cuisine chez un grand chef. A l’Hôtel de Ville de Crissier, il faut compter 350 à 700 francs suivant la formule retenue. Sachant que chaque participant repart avec un livret de recettes de saison après avoir passé la demi-journée ou la journée entière en cuisine, avec ou sans repas. Particularité des cours dispensés à Crissier: ils ont lieu pendant que la cuisine est en activité. La configuration des lieux le permet, c’est donc une vraie cuisine dans la cuisine qui a été installée pour les apprentis d’un jour. L’occasion de s’immerger dans la vie d’une brigade exceptionnelle (ils sont 25!) et d’observer la genèse de plats millimétrés.

Ici, c’est Elodie Jacot qui veille à la bonne marche de l’Académie de cuisine. «Elle est supercompétente et, auparavant, elle a travaillé avec nous pendant trois ans», relève Franck Giovannini, quatrième chef de ce restaurant emblématique et cuisinier de l’année 2018. Pénétrer dans la cuisine d’un établissement unanimement encensé dans le monde entier ne va pas toujours de soi. «Certains clients sont impressionnés, parfois ils ont carrément peur, sourit le chef qui ajoute: «Il leur faut un verre de vin… ou même plusieurs pour se détendre.» D’où la nécessité d’une prise en charge et d’un suivi méticuleux et correspondant à l’image d’excellence de la maison. «C’est à nous de les mettre à l’aise. D’ailleurs, tous sont surpris par l’ambiance très agréable et sereine qui règne en cuisine.»

Seule vraie difficulté, pour certains: rester debout pendant plusieurs heures d’affilée. Pas de quoi réduire la demande, cependant. Le carnet des réservations se remplit des semaines et même des mois à l’avance. Ainsi, dès 2018, en plus des cours habituels et des ateliers pour les enfants le samedi matin, l’offre sera étendue. On pourra s’inscrire à des cours de dégustation avec Camille Gariglio, qui vient de recevoir le prix du Meilleur sommelier de l’année et Louis Villeneuve, qui vient d’être élu Meilleur directeur de salle du monde, donnera des cours de découpage de volaille et poisson (lire encadré). Difficile d’imaginer enseignants plus pointus!


Apprendre l'art de la découpe avec Louis Villeneuve

Il faut avoir vu une fois dans sa vie Louis Villeneuve découper une volaille ou un poisson. Pour cela, il suffit de trouver une table à l’Hôtel de Ville et de commander une pintade, un canard ou un loup entier. Mieux, dès l’année prochaine, il sera également possible de suivre des cours de découpe avec le Meilleur directeur de salle du monde. Trois clients habitués de la maison se sont offert un tel cours en avant-première. Ils en sont encore émerveillés.

«Nous nous sommes sentis très privilégiés. Car c’était un événement, une première! Même la brigade venait prendre des photos», se souvient Olivier, la quarantaine, actif dans la finance, et qui s’est donc retrouvé au printemps passé dans la cuisine de l’Hôtel de Ville avec deux de ses amis. «C’était inédit. A 8h45 on a été reçus par Louis Villeneuve avec une toque sur la tête, alors que Franck Giovannini était encore en tenue de ville!»

Puis le Meilleur directeur de salle du monde leur a expliqué la physionomie de chaque volaille, prérequis indispensable à une découpe dans les règles de l’art: «Quelle classe… C’est là que l’on se rend compte de la complexité de la chose, surtout lorsque l’on est invité à essayer soi-même.» En plus, Louis Villeneuve manie le couteau avec une dextérité inoubliable. Et comme le cours se termine par un apéritif, puis un repas en salle, les trois participants avouent: «Une fois installés à table, lorsque l’on observe une découpe à une autre table, on voit les choses autrement. C’est vraiment éblouissant.» 


Des cours et des chefs

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Les cours sur mesure dans les cuisines du Grand Hôtel du Lac
© Matthew Franklin

Hôtel de Ville, B. Violier – Rue d’Yverdon 1, Crissier,
www.restaurantcrissier.ch. Cours dans la cuisine en activité.
Forfait comprenant cours, tablier, dossier de recettes, pâtisseries à emporter. Mercredi et jeudi:  ½ journée, 400 frs. Journée complète, 700 frs, avec repas de midi. Samedi: Enfant 300 frs.

Grand Hôtel du Lac  – Rue d’Italie 1, Vevey, www.ghdl.ch.
Accès par une porte cachée à une somptueuse cuisine. Pas de programme fixe, mais des cours sur mesure. Trois heures de cours, apéritif et repas trois plats avec vins, environ 250 frs (le prix peut varier selon le thème).

L’Ermitage des Ravet – Route du Village 26, Vufflens-le-Château, www.ravet.ch. Dans la cuisine de cette maison de maître, deux formules incluant la préparation, les explications, le menu,
les vins, eaux minérales et café: un menu de trois plats 425 frs;
un menu de neuf plats 600 frs.

Georges Wenger – Rue de la Gare 2, Le Noirmont,
www.georges-wenger.ch. Démonstration avec conseils pratiques les mercredis ou jeudis: 14h30 à 17h30. Cours: 180 frs par participant y compris tablier et apéritif. Cours et repas: +165 frs.

Damien Germanier – Rue du Scex 33, Sion, www.damiengermanier.ch. Cours le samedi avec le chef dans sa cuisine. 250 frs par personne (y compris repas et boissons).

Beau-Rivage Genève, Chat Botté – Quai du Mont-Blanc 13, www.beau-rivage.ch. En semaine de 16h00 à 18h30 (y compris dégustation du plat préparé, recette et apéritif). Cours de cocktails sur demande 80 frs. Cours de sommellerie, en semaine, 190 frs.

Denis Martin – Rue du Château 2, Vevey, www.denismartin.ch.
A la découverte d’un style de cuisine épatant avec la brigade
de Denis Martin. Show culinaire (1h) et menu de 20 plats: 450 frs par personne.

Restaurant du Cerf, Crisci – Rue du Temple 10, Cossonay,
www.carlocrisci.ch. Stage d’observation en cuisine d’une semaine, soit cinq demi-journées, en immersion dans l’équipe (un seul participant à la fois). 800 frs par personne (repas compris). 

Serge Labrosse – Les Ateliers by Serge Labrosse, Rue Prévost-Martin 8, Genève, www.cours-de-cuisine-geneve.ch.
Diverses formules allant de 85 à 150 frs.

Knut Schwander
Knut Schwander