I l ne s’arrête jamais. A 74 ans, Dieter Meier, entrepreneur, artiste et cofondateur du groupe de musique Yello, a dix idées d’affaires par minute. De nouveaux débouchés pour sa viande et ses vins d’Argentine. Ou une structure architecturale en hauteur au milieu de ses vignes pour offrir aux touristes un autre point de vue. Fin février, la visite de l’homme d’affaires zurichois dans l’une de ses bodegas Ojo de Agua, à Agrelo, localité située à une quarantaine de kilomètres de Mendoza, dans l’ouest de l’Argentine, est notamment l’occasion d’inaugurer une salle dédiée à la dégustation de ses vins organiques. Malbec, pinot noir, cabernet sauvignon et autres cépages: environ 1 million de bouteilles par an sont produites, dont 80% avec ses propres raisins. Près de la totalité de la production part à l’exportation. Au pays du tango, Dieter Meier possède trois vignobles (sur 160 hectares) et en gère deux supplémentaires.

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Une histoire d’amour avec l’Argentine

A Agrelo, sur une surface de 100 hectares, soit environ 140 terrains de football, ses vignes s’étendent à perte de vue, à quelques dizaines de kilomètres de la cordillère des Andes. Les grappes sont presque prêtes à être cueillies. La récolte démarre début mars. Les raisins de Patagonie, du sauvignon blanc, sont, eux, déjà arrivés et triés à la main par les ouvriers. A quelques mètres, un égrappoir très moderne, une machine qui permet de séparer les grains de la grappe, est en train d’être installé. Ici, toutes les étapes de la production du vin, de l’élevage au vieillissement jusqu’à l’embouteillage et la mise en carton, sont centralisées. On trouve aussi bien des cuves en acier que des œufs en béton et des barriques.

Le modèle d’affaires d’Ojo de Agua est simple: les vins qui sont produits ici se retrouvent notamment sur les tables des restaurants de Dieter Meier à Berlin, à Francfort et à Zurich. La même stratégie est appliquée à la viande de bœuf provenant des deux fermes que possède l’entrepreneur dans le sud de la province de Buenos Aires. Avec la production de soja, de maïs, d’orge, de tournesol, de noix et de noisettes, ainsi que l’élevage de moutons, l’entrepreneur zurichois possède des terres qui s’étendent sur 100 000 hectares en Argentine. «Si c’étaient de très bonnes terres, elles vaudraient peut-être 200 millions de dollars. Mais seuls 5000 à 7000 hectares ont réellement de la valeur», tempère l’homme d’affaires, qui emploie près de 100 collaborateurs dans le pays.

L’Argentine, c'est un pays béni pour produire des vins organiques haut de gamme.

Entre l’Argentine et Dieter Meier, l’histoire a démarré en 1973. «La première fois que j’y suis venu, je suis tombé amoureux de Buenos Aires. Les campagnes m’ont aussi beaucoup plu. J’ai visité des ranchs et j’ai été impressionné par les possibilités de faire pousser presque tous les types de cultures. Dès mon premier voyage, j’ai été fasciné. J’ai su que, tôt ou tard, je reviendrais pour l’agriculture, puis la viticulture. Mais l’arrivée de la dictature en Argentine en 1976 a fait que, pendant longtemps, je n’ai pu y revenir. En 1996, j’ai décidé de développer des affaires dans ce pays en fondant Ojo de Agua («l’œil de l’eau» en français, ndlr)», raconte-t-il. Dans la région de Mar del Plata, à environ 500 kilomètres au sud de Buenos Aires, il achète des terrains pour y développer l’agriculture organique et l’élevage de bétail. Six ans plus tard, les premières vignes sont plantées. En 2006, c’est la première récolte. Parallèlement, Dieter Meier intègre dans son projet d’exploitations agricoles l’élevage de moutons sur un vaste terrain en Patagonie. Mais comment développe-t-on des affaires quand on habite à 12 000 km de l’Argentine?

Liberté d’entreprendre

Pour l’homme d’affaires, le plus grand défi a été la formation d’une équipe. «Sur 20 à 30 personnes qui travaillent pour vous, il y en a toujours quelques-unes, quelles que soient les raisons, qui ne sont pas satisfaites. Au début, quand je ne disposais pas encore de mon propre site de production, des agronomes travaillaient pour moi et ils m’ont volé du raisin. Ce fut la pire chose qui me soit arrivée. En d’autres termes, créer une bonne équipe est l’opération la plus compliquée en tant qu’entrepreneur. Que l’on doive gravir un sommet, jouer au football, produire du vin ou avoir un restaurant, une bonne équipe est indispensable. C’est un processus qui m’a pris quinze ans. Et cela fait à peine trois ou quatre ans que je dispose réellement d’une magnifique équipe dans la production du vin. Elle est innovante et créative», se réjouit Dieter Meier.

Autre ingrédient qu’il privilégie dans la gestion à distance: déléguer. Il se dit très heureux lorsqu’il n’a pas besoin d’interférer dans les affaires au quotidien. «Tous ceux qui travaillent avec moi jouissent d’une énorme liberté pour prendre leurs propres décisions et cela est très motivant. Tous apprécient les progrès effectués, les idées qu’ils peuvent amener dans l’entreprise. Je suis peut-être un bon vendeur ou efficace dans le marketing de mes produits, mais être un leader ne m’intéresse pas du tout. Je ne suis tout simplement pas capable de tout faire», confie-t-il.

Outre la liberté d’action des employés, ces derniers sont aussi une source d’inspiration pour Dieter Meier. A Mendoza, certains d’entre eux lui ont suggéré de se lancer dans une nouvelle activité et il a accepté. Depuis peu, il a démarré dans l’huile de pépins de raisin. «C’est une huile très intéressante, qui a une température élevée de combustion. C’est donc la meilleure huile pour faire cuire de la viande dans une poêle. Les producteurs de vin, une fois le jus extrait, jettent les pépins et la peau, car ils les considèrent comme des déchets. Ils sont donc contents si je les récupère. Ce produit a une valeur. Une bouteille de 250 ml coûte entre 17 et 20 francs en magasin. Nous venons d’acquérir une machine pour faire des tests et ils sont concluants», se réjouit-il.

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Le domaine Ojo de Agua, créé par Dieter Meier en 1997, produit environ 1 million de bouteilles par an.
© Globus

Pour toutes les affaires qu’il mène en Argentine, le facteur décisif d’investissement a été de pouvoir produire de manière durable de très bons produits. «Dans le cas du vin, la neige des montagnes (les Andes, ndlr) constitue mon réservoir d’eau. Quand elle fond, j’ai la quantité nécessaire pour faire pousser du raisin durant six ou sept mois. Je n’ai pas de problème avec les fongicides, car je n’en utilise pas. L’Argentine est probablement le pays le plus béni pour produire des vins haut de gamme de manière organique», estime Dieter Meier. Selon lui, que ce soit pour le vin ou pour la viande, l’absence de produits chimiques est prioritaire. En Patagonie, il pratique l’agriculture extensive, un système qui utilise les ressources naturellement à disposition, sans recours aux intrants chimiques. Suivant cette stratégie, il a acheté il y a quelques années des terrains pour produire des noix et des noisettes, situés entre deux bras de la rivière Rio Negro. Mais la législation argentine empêche les étrangers d’être majoritaires dans une entreprise qui possède des terrains à cet endroit. «Je recherche des partenaires argentins pour développer ce secteur», confie-t-il.

Chemin parsemé d’embûches

Durant son expérience de plus de vingt ans en tant qu’entrepreneur en Argentine, le développement de ses affaires a été un chemin parsemé d’embûches. Durant la présidence de Cristina Kirchner, Dieter Meier s’est retrouvé avec des containers de viande bloqués dans le port de Buenos Aires, voire déjà dans des avions. «Tout d’un coup, on m’a signifié que je n’avais plus le droit d’exporter de la viande. Je me suis donc trouvé obligé de la vendre sur le marché local. Il y a eu aussi des périodes de rétention durant lesquelles la production agricole était taxée à hauteur de 35 ou 40%. En définitive, il est très compliqué de développer l’agriculture et toutes sortes d’affaires en Argentine, car on ne sait pas ce qui se passera le lendemain», déplore l’entrepreneur.

Selon lui, la recette de son succès n’est pas une formule toute faite. Il estime avoir une capacité à écouter les gens. Son éducation par des parents habitués à explorer de nouveaux domaines dans leur profession a aussi joué un rôle. «Cela constitue toujours un risque et je suis prêt à en prendre. Mais cela n’a pas toujours fonctionné. Dans les années 1990, j’ai investi dans une console numérique pour la musique, mais ce produit était trop en avance sur son temps. Je n’ai pas eu suffisamment d’argent pour la promotion et le marketing et j’en ai perdu beaucoup durant dix années avant de vendre l’entreprise à un prix très bas», témoigne l’entrepreneur. Son prochain défi: une fabrique de chocolat révolutionnaire en Suisse.


Après les vins et la viande, Dieter Meier mise sur le chocolat

Le Zurichois a acquis une technologie de production novatrice. Il construit actuellement une fabrique.

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L’homme d’affaires est actuellement en discussion pour vendre ses chocolats dans les enseignes Starbucks.
© J.Khakshouri

Dieter Meier est tombé dans le chocolat presque par hasard. En 2014, Tilo Hühn, professeur à la Haute Ecole de sciences appliquées de Zurich, le contacte pour lui proposer de développer un chocolat basé sur une technologie novatrice. «Il l’avait présentée à toutes les grandes entreprises de l’industrie, mais elles n’étaient pas intéressées. En revanche, j’ai été fasciné par sa méthode d’extraction à froid qui permet de préserver les arômes du cacao. J’ai décidé d’acheter son brevet et sa technologie. Ensuite, il m’a fallu longtemps pour développer une fabrique pilote. J’ai dû ensuite prouver le concept à l’échelle industrielle, puis faire des tests avec des clients dans un petit magasin que j’ai à Zurich pour savoir si ce type de chocolat plaisait à la clientèle. Désormais, après cinq ans, je construis une plus grande fabrique pour pouvoir produire 10 000 tonnes de chocolat par an», se réjouit l’entrepreneur lors d’une interview en Argentine fin février.

Les fèves de cacao viennent du Guatemala, du Pérou, de Cuba, ainsi que de Côte d’Ivoire et du Ghana. Dieter Meier souligne qu’il prête une attention toute particulière au cacao qu’il achète en Afrique. «Il y a de l’esclavage avec les enfants, tout comme les adultes. Par conséquent, au Ghana et en Côte d’Ivoire, je collabore avec des personnes qui acquièrent les fèves de cacao dans la région depuis trente ou quarante ans. Ils savent exactement quelles fèves sont propres. Je continuerai d’acheter en Afrique uniquement si je suis certain à 100% que cette activité n’implique pas l’esclavage des enfants», martèle l’homme d’affaires, qui est actuellement en discussion pour vendre ses chocolats dans les enseignes Starbucks.


Dieter Meier en 10 dates

  • 1945 Naissance à Zurich.
    1973 Premier voyage en Argentine.
    1985 Sortie du titre à succès «Oh Yeah» du groupe Yello avec son compère Boris Blank.
    1996 Acquisition d’une ferme et d’un terrain en Argentine.
    1997 Création de l’entreprise Ojo de Agua.
    2002 Les premières vignes sont plantées.
    2006 Première récolte de raisins en Argentine.
    2008 Inauguration du restaurant gastronomique Bärengasse à Zurich.
    2012 La production de vin est centralisée à Agrelo, dans l’ouest de l’Argentine.
    2019 Construction d’une fabrique de chocolat basée sur un système révolutionnaire.