Il n’y a pas que le Bordelais ou la Bourgogne sur la carte des vignobles qui valent le détour: dans la cour du désormais très populaire tourisme œnologique, Lavaux possède indéniablement une carte à jouer. Encore timide et souvent délaissé par les marcheurs autochtones, l’œnotourisme existe pourtant bel et bien. En témoignent les grappes de visiteurs qui se succèdent autour d’un verre au Lavaux Vinorama. Signe que les temps changent, même des vignerons bordelais sont venus fouler la terre argileuse de la région il y a peu.

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Depuis son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2007, ce morceau de vignoble en terrasses de 18 km de long et de 3,5 km de large attire certes d’abord les foules pour ses points de vue à couper le souffle sur le Léman et les Alpes, mais aussi pour son terroir. Haut lieu du chasselas, la région offre la possibilité d’allier marche et dégustation dans un décor de carte postale. Suivez le guide, pour une balade qui vous mènera de Chexbres à Cully.

14h34 Arrivée en gare de Chexbres. Toile bleue de ciel d’automne traversée de rares traces blanches d’avions, pots de géraniums roses et rouges vous accueillent sur le quai de la gare. Le périple, qui vous mènera à Cully en passant par Rivaz et Epesses, commence sur les hauteurs, à l’orée de la zone inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Une courte montée, un virage sur la gauche et vous voici dans le décor des vins de Saint-Saphorin. Devant vous, la pente plonge sur les toits du village de Rivaz, le Léman en arrière-plan. Sur les parchets en terrasses, les vendanges battent leur plein en ce jour d’octobre dans une odeur de raisin pressé. Distribués au hasard du chemin, des monceaux de rafles, résidus de la presse, témoignent du récent passage des vendangeurs.

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Au Mur Blanc, chez Constant Jomini et son épouse, à Chexbres.
© DR

14h45 La capite de Constant Jomini. Entamez la descente le long de la route bétonnée, avec vue sur les Alpes. Un virage plus bas, on tombe sur un groupe de touristes asiatiques qui se pressent pour admirer la vue. Vous voici au Mur Blanc, chez Constant Jomini, vigneron à Chexbres, dont la parcelle abrite 85% de chasselas et 15% de pinot noir et de gamay, plants pour certains parrainés par des particuliers. L’endroit est aussi connu pour abriter l’une des plus belles capites de la région, ces cabanes de bois typiques de Lavaux qui servaient autrefois de remise pour les outils des vignerons. Elles sont aujourd’hui réhabilitées en lieux de dégustation, et plusieurs producteurs proposent d’y venir découvrir leurs crus.

15h Le Conservatoire mondial du chasselas. La descente se poursuit en direction de Rivaz à travers la vigne jusqu’au pittoresque Conservatoire mondial du chasselas. Mis sur pied en 2008 à l’initiative de l’incontournable vigneron culliéran Louis-Philippe Bovard, alors inquiet de la disparition de la biodiversité du chasselas, ce musée à ciel ouvert, sis juste au-dessus de l’entrée du village de Rivaz, compte 19 variétés du fameux cépage. Car il y a bien plus que le fendant roux, le vert de La Côte, le giclet, la blanchette et le bois rouge, exclusivement cultivés jusqu’au début du XXe siècle. Les grappes, qui passent du rose flamboyant au jaune profond à cette période de vendanges, prennent des noms aussi divers que tokay angevin ou rose parfumé, toutes membres de la célèbre famille. Prenez le temps de lire les panneaux explicatifs et vous découvrirez que certaines variétés se retrouvent aussi bien en Europe de l’Est qu’au Chili ou encore en Turquie.

15h15 Un verre au Lavaux Vinorama. Quelques minutes plus tard, vous atteindrez Rivaz et ses toits coiffés de dômes où l’on stockait autrefois échalas et récolte agricole afin de gagner de la place. On entre par le chemin de la Plantaz avant d’obliquer dans l’étroite ruelle En Bons-Voisins. Le trafic se fait plus dense et l’on rase ce jour-là les parois des maisons vigneronnes pour laisser passer les camionnettes chargées de grappes. A la sortie du village, la route donne l’impression de se confondre avec le lac et les montagnes, comme si le marcheur allait en quelques pas rejoindre l’eau et les cimes. Longez le muret de pierres en direction d’un arbre posté derrière quelques voitures garées en pente, puis quittez la route par une ouverture percée dans le mur et coupez ainsi à travers vigne.

Des généticiens ont établi en 2009 que le chasselas serait bien originaire de ce coin de terre.

Une fois en bas, vous découvrirez, accolée à la cascade du Forestay, la silhouette de bunker contemporain du Lavaux Vinorama. L’œnothèque a vu le jour sur les ruines d’un ancien moulin et se présente comme l’un des passages obligés pour qui veut se familiariser en peu de temps avec la diversité du vignoble. Un petit film propose également de suivre le quotidien d’une famille vigneronne sur une année. Prenez le temps de vous arrêter dans ce caveau, certes un peu sombre, pour découvrir l’un des quelque 300 crus proposés par les 140 vignerons de la région, dont sept travaillent en biodynamie, disposés dans les casiers de bois qui tapissent les murs. Le chasselas y est bien évidemment majoritaire, mais il côtoie viognier, chardonnay, pinot noir, syrah, plant robert et assemblages.

16h Cap sur les grands crus. Trois quarts d’heure plus tard, vous voici sur le point de gravir les échelles du Forestay. Mollets frileux et talons aiguilles s’abstenir, car ici ça grimpe sec. On se hisse au son du brouhaha de la cascade du Forestay revigorée par quelques jours de pluie pour rejoindre la route. Un dernier coup d’œil sur la plaine du Rhône depuis le replat où l’on peut faire halte et pique-niquer et vous voici prêts à traverser les deux appellations grand cru du vignoble: Dézaley et Calamin, terroirs aux notes plus minérales et argileuses que leurs voisins.

On s’engagera ensuite sur le large chemin des Grands Crus Dézaley en direction du clos des Abbayes et du clos des Moines, aujourd’hui propriétés de la ville de Lausanne. La route est presque déserte, et hormis quelques vendangeurs descendus des vignes alentour, nulle âme qui vive à l’horizon. Alors que l’on avance, un hélicoptère équipé d’une nacelle pendant au bout d’un long câble tourne au loin tel un moustique. L’engin est chargé de ramener les récoltes des coins trop pentus. Il est vrai qu’avec ses 43%, la pente affiche la plus forte déclivité du vignoble, et il n’y a qu’à lever les yeux sur les lettres blanches géantes «Dézaley» qui se détachent de la roche au-dessus de nos têtes pour s’en rendre compte.

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Dans la vinothèque Les 11 Terres, quelque 60 crus locaux peuvent être dégustés.
© D.Tonatiuh.ch

16h30 Au cœur d’Epesses. On quitte le chemin de Dézaley pour celui de Calamin, au sud d’Epesses, avant d’entamer la montée en direction du village. Situé sur les hauteurs, le cœur de la commune se distingue lui aussi par son architecture typique du vignoble. Les places se font placettes, les ruelles étroites, et mieux vaut se balader à pied qu’en voiture. Connu loin à la ronde, le célèbre banc des blagueurs sur la place du village est une véritable institution. Dès le printemps, des barriques transformées en tables accueillent anciens et nouveaux à l’heure de l’apéro. Au centre du bourg, à côté de la belle demeure patricienne du clos de La République, ne manquez pas la vinothèque Les 11 Terres (photo), où le comptoir invite à déguster quelque 60 crus locaux proposés par des vignerons de la région.

17h Cully et ses caveaux. Il est temps de laisser les hauteurs pour rejoindre la plaine. Descendre par le chemin de l’Ouchette en direction de la gare d’Epesses, au bord du lac. Un passage sous voies vous amène de l’autre côté et vous voici au bord de l’eau foulant les galets, face à quelques rares nageurs venus braver la fraîcheur automnale. Mais l’heure tourne et on se dirige le long des rives, le port de Cully en ligne de mire, à un bon quart d’heure de marche. Encore un détour par la place du Temple, où l’on découvre la jolie vitrine de Mélanie Weber, l’une des rares vigneronnes de la région. Elle est absente ce jour-là pour cause de vendanges, mais, c’est sûr, on reviendra.


Le chasselas, ce Vaudois

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L’histoire du chasselas est intimement liée à celle de Lavaux.
© R. Perraudin

L’histoire du chasselas est intimement liée à celle de Lavaux. Connu sous divers noms, dont le célèbre fendant valaisan ou le tokay, le cépage roi du bassin lémanique serait bien originaire de ce coin de terre. Les sources divergent toutefois quant à son apparition dans la région, certaines la faisant remonter à 2000 ans, d’autres au XIIe siècle, lors du défrichement de Dézaley, d’autres encore assurant que c’est au XVIIe siècle qu’apparut le chasselas sous le nom de Lausannois, de Luzannois ou de Fendant. Mais en 2009, des généticiens de l’Université de Neuchâtel ayant comparé le profil ADN du chasselas avec plus de 500 cépages dans le monde ont établi que son origine se trouvait à la croisée entre la Suisse, la France et l’Italie, plus probablement dans l’Arc lémanique, et plus précisément dans le canton de Vaud.


Pratique

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Lavaux: un vignoble en terrasse de 18 km de long et 3,5 km de large.
© DR
  • S’y rendre: En train jusqu’à Chexbres pour une balade en pente douce en direction de Cully ou en sens inverse pour un itinéraire plus sportif. Durée: 1h45 sans arrêt, de 2h30 à 3h avec des haltes.
  • Itinéraire: suivre les panneaux jaune et vert «Terrasses de Lavaux» et son envie. D’autres itinéraires sur www.montreux-riviera.com et sur le site de l’association Lavaux Patrimoine mondial. Avec smartphone via l’application Vaud: Guide, sous Balade œnotouristique de Lavaux Unesco.
  • Difficulté: facile.
  • Pour déguster du vin:
    - Constant Jomini: Chexbres, www.jomini-vins.ch
    - Lavaux Vinorama: Rivaz, www.lavaux-vinorama.ch
    - Bacchus Vinobar: Rivaz (ouvert d’avril à novembre)
    - Les 11 Terres: Bourg-en-Lavaux (Epesses), www.11terres.ch
    - Plusieurs caveaux proposent des dégustations. Pour connaître les heures d’ouverture: www.vignerons-lavaux.ch et www.lavaux-unesco.ch

 

VM
Viviane Menétrey