La route qui mène au sport d’élite est une odyssée, «un projet de vie» souvent familial. Ce chemin incertain a un coût réel, qui varie fortement d’une discipline à l’autre, et un coût humain, qui réunit tous les sportifs et leur famille dans un sens du sacrifice rare. Avant d’évaluer la facture de leur rêve, les interlocuteurs de cet article ont tous spontanément parlé de l’investissement émotionnel. Ce n’était pas une réserve, juste une clé de lecture. Presque un hommage.

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Evaluer les coûts de formation d’un sportif d’élite en Suisse est un exercice de contorsion. A l’âge de 12 ans, un footballeur très prometteur dépense environ un millier de francs par année (700 fr. de cotisation dans son club, 300 fr. de matériel) alors que la plus talentueuse des patineuses coûte plus de 50 000 fr. à sa famille. Comment faire le tri parmi ces inégalités, surtout lorsque la durée de formation et la probabilité d’un réel retour sur investissement sont pareillement inégales?

Le foot, sport économique par excellence

Pour tenter d’obtenir une image la plus nette possible, il convient d’identifier les critères qui pèsent sur le prix de formation. S’agit-il d’un sport d’équipe ou individuel? Les besoins en infrastructure et en matériels sont-ils légers ou lourds? Quel est le poids économique de la fédération du sport concerné? La visibilité de la discipline permet-elle d’envisager un soutien privé?

Sport d’équipe, simple à pratiquer et puissant économiquement, le football apparaît logiquement en tête des sports bon marché. «C’est notre force, un constat qu’il faut défendre à tout prix: tout le monde peut faire carrière en Suisse, insiste Laurent Prince, directeur technique à l’ASF. Nos clubs font des efforts pour garder des cotisations bon marché et, hormis ses chaussures, le jeune ne paie rien. De plus, un talent genevois qui serait, par exemple, engagé au FC Bâle se verrait offrir sa formation et son logement. J’estime qu’une saison ne coûterait pas plus de 2000 fr. à sa famille.»

Par sa structure clubiste, ses infrastructures légères et sa fédération puissante, l’athlétisme ressemble au football. A la différence notoire que l’émancipation professionnelle est tardive, voire incertaine. Laurent Meuwly, entraîneur en chef du sprint à Swiss Athletics, résume l’équation. «De 6 à 12 ans, un gamin ne paie que sa cotisation, deux paires de chaussures et quelques habits (1000 fr. l’année). Dès 12 ans, vous pouvez ajouter un camp au printemps et quelques séances spécifiques. Mais les compétitions restent proches du domicile et chaque délégation officielle est prise en charge.» Jusqu’à la majorité, le coût d’une saison ne dépasse pas les 3000 fr.

Des contrats «pay back» en tennis

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«A Brigue, nos jeunes skieurs doivent débourser entre 18 000 et 40 000 fr. par an pour payer tous leurs frais.» Hugues Anzermoz, Chef du Centre de performance
© Urs Lindt/freshfocus

A cette formation bon marché se substitue toutefois une professionnalisation coûteuse. «Entre les camps d’entraînement (en Afrique du Sud), les compétitions, les compléments alimentaires, les soins, chaque athlète qui travaille avec moi paie 50 000 fr. par année (son salaire est à la charge de la fédération, ndlr).» Un effort conséquent lorsque l’on sait qu’en Suisse, «six athlètes mettent un peu d’argent de côté et une trentaine équilibre péniblement un budget en finançant une attitude professionnelle».

Ce rappel renvoie à la puissance médiatique d’un sport et, par conséquent, aux opportunités de financement privé. Le tennis, par exemple, permet des contrats «pay back»: une académie ou un investisseur prend en charge l’ensemble des coûts, en échange d’un pourcentage sur les gains futurs. Cette méthode fut notamment appliquée à Belinda Bencic, dont la formation «cinq étoiles», financée par un riche ami de la famille, est estimée à 1,5 million de fr. «Selon un schéma plus classique, emprunté par Simona Waltert par exemple, un espoir qui débute dans une académie partenaire (8 à 14 ans) et poursuit au Centre national (15 à 20 ans) coûte à ses parents environ 400 000 fr. sur quinze ans, calcule Alessandro Greco, directeur du sport d’élite à Swiss Tennis. Une somme en partie amoindrie par les aides (Swiss Olympic, Swiss Tennis) et les sponsors (Fromm).»

Cette dernière précision renvoie à un élément décisif: pour progresser à moindre coût, mieux vaut être fort au bon moment. Par exemple, l’escrime: la discipline n’est pas bon marché pour les enfants (1500 fr. d’équipement, environ 1000 fr. de cotisation), mais le tout reste abordable jusqu’à l’adolescence. «Swiss Fencing prend en charge l’intégralité des frais de déplacement à partir du cadre U20, explique Sophie Lamon, responsable de l’élite et de la relève. Mais pour se qualifier, il faut disputer six compétitions du circuit européen U17 à ses frais. Or, cette année, elles ont lieu à Cracovie, Budapest ou Bratislava. De cet investissement lourd, entre 15 et 17 ans, peut dépendre une carrière. Car dès le niveau «élite», la fédération prévoit un système de remboursement aux résultats qui soulage l’athlète. «Mais en Suisse, seul Max Heinzer a réussi à faire de l’escrime un business», tempère l’ancienne médaillée olympique.

Appel à l’Aide Sportive Suisse

Principale «bouée de sauvetage» financière à disposition des familles, l’Aide Sportive Suisse a soutenu 885 athlètes en 2016 à hauteur de 4,9 millions de francs (de 2500 à 36 000 fr. annuels par projet). Des sommes qui peuvent devenir décisives, surtout pour les disciplines dont les coûts infrastructurels sont élevés (sports de neige et de glace). «A Brigue, nos jeunes skieurs (16-20 ans) doivent sortir entre 18 000 et 40 000 fr. par an pour payer l’entraînement, les compétitions, le matériel et éventuellement l’internat», souligne Hugues Ansermoz, chef du Centre de performances.

Après une préformation (10-16 ans) estimée à 12 000 fr. par an, ces quelques saisons au prix fort représentent un investissement décisif. Car elles peuvent ouvrir les portes des cadres Swiss Ski. «Dès les cadres C, l’athlète ne paie plus que ses besoins privés. Swiss Ski prend à sa charge les coaches, le déplacement, le matériel, la préparation des pistes, le logement, indique le chef alpin Stéphane Cattin. Un cadre coûte de 140 000 à 220 000 fr. par an à la fédération. Des sommes qui ne sont toutefois pas synonymes de luxe, surtout quand on prend en compte le transport de 5 tonnes de matériel pour un camp outre-Atlantique, à 8 euros le kilo en avion!» Dans le ski, l’investissement est lourd, mais circonscrit à une période définie. Et la puissance de sa fédération permet de cibler l’investissement.

Tout le contraire du patinage artistique où les coûts d’un athlète aux portes des JO s’empilent vite. Entre la location de la glace, le coach, la chorégraphe, les patins, les robes, les cours de ballet, la préparation physique et les voyages, son budget annuel dépasse les 60 000 fr. sans que la fédération ne puisse en soulager au moins une partie. Ici plus qu’ailleurs, le «projet de vie» n’a pas de prix. 


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Le meilleur joueur de tennis de tous les temps a pu compter sur la structure très organisée de Swiss tennis pour le début de sa carrière.
© DR

ROGER FEDERER, TENNIS 19 TITRES DU GRAND CHELEM

Comme tous les phénomènes, Roger Federer a brûlé les étapes – économisant de l’argent au passage. Son parcours jusqu’à l’autonomie financière peut se découper en trois phases: sa préformation dans son club des Old Boys Bâle (5 à 13 ans), sa formation au Centre national d’Ecublens (VD) (14 à 16 ans), puis ses premiers pas professionnels au Centre national de Bienne jusqu’à son entrée dans le Top 100, à l’été 1999 (17-18 ans).

Combien la famille Federer a-t-elle dépensé durant ces quatorze années? Entre 1980 et 1990, une structure fédérale forte (club, cadre cantonal, cadre régional) rendait la préformation moins onéreuse qu’aujourd’hui. Pour ces neuf premières années, une somme de 37 000 fr. semble réaliste. Lors de la deuxième phase, celle de l’exil en Suisse romande, le calcul est plus précis. En sa qualité de «cadre national», Roger Federer ne paie pas l’entraînement ni les frais de déplacement à l’étranger. Son budget mensuel comprend donc la participation aux frais de la famille d’accueil, les repas de midi et les tournois en Suisse (inscription, hôtel, etc.). Un total auquel il faut ajouter un abonnement de train annuel et les frais de matériel que ses premiers contrats ne couvrent pas (1500 fr./an). Une année à Ecublens lui a coûté approximativement 16 000 fr.

La phase trois, celle du virage pro et de l’arrivée à Bienne, peut s’estimer à environ 25 000 fr. sur deux ans. «Roger ne payait rien sur le circuit junior et, pour les Satellites (circuit pro), il bénéficiait d’un contrat pay back», se souvient son colocataire Yves Allegro. En d’autres termes, Swiss Tennis lui fournissait un coach (Peter Lundgren) et avançait ses frais dans l’attente d’un remboursement qui arriverait très vite.

Au total, le coût de formation pris en charge par les parents du plus grand joueur de l’histoire n’a pas dépassé les 100 000 fr. (sur 14 saisons). Presque vingt ans plus tard, les gains en tournois viennent de passer la barre des 110 millions de dollars.

Mathieu Aeschmann


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Le hockey coûte relativement cher aux parents de jeunes joueurs prometteurs, environ 100'000 francs.
© PETER SCHNEIDER

MARK STREIT, HOCKEY SUR GLACE, 786 MATCHS EN NHL 

Peu importe le lieu de résidence ou l’identité du club formateur: les parents des hockeyeurs suisses qui se sont taillé un poste en NHL ont tous déboursé au minimum 100 000 francs pour que leurs fils puissent concrétiser leur rêve. Les trajets constituent la majeure partie de l’addition. Car en Suisse, les patinoires restent relativement rares, sinon confinées en milieux urbains.

Dans le cas d’un Mark Streit, né à Englisberg (BE), il faut compter plus de 2000 fr./an pour les seuls entraînements. Les matches à l’extérieur et les stages en équipe de Suisse (dès l’âge de 13 ans) alourdissent la note: ajoutez 2000 autres francs. Ces stages, souvent organisés à Davos ou à Kreuzlingen (TU), pèsent également sur le budget ménage: «Les parents se retrouvent souvent dans des pensions à proximité de la patinoire», rapporte le père d’un actuel hockeyeur de NHL, tout en chiffrant ce poste à «5000 francs par an».

A ces dépenses courantes, il faut ajouter la cotisation annuelle auprès du club formateur, six cannes par saison à 350 fr. l’unité, les patins (souvent deux paires par exercice) à 600 fr., l’inscription à un camp d’été, les sommes engagées pour les inévitables skateathlon et autres lotos du club. Le tout a coûté 100 000 francs aux parents de Mark Streit, avant que le jeune homme ne gagne le premier de ses 45 millions de dollars en NHL.

Emmanuel Favre


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Le père de Xavier Margairaz estime à 30'000 francs les dépenses liées à la formation de son footballeur de fils.
© Toto Marti

XAVIER MARGAIRAZ, FOOTBALL 18 SELECTIONS EN EQUIPE DE SUISSE

Le football est certainement très bon marché par rapport aux autres sports. «En tout cas, cela n’a pas impacté mes finances au quotidien, même si mes deux fils sont devenus professionnels», évalue Michel Margairaz, père de Xavier (Lausanne, ex-Sion, Zurich, etc.), mais aussi de Sacha (ex-Lausanne).«Nous venons de Valeyres-sous-Rances, un petit village du Nord vaudois. Je leur achetais une paire de chaussures par année, à environ 150 frs. Une paire de protège-tibias, 30 fr. Les deux ont commencé le football dans le groupement local, où la cotisation était de 50 fr. par gamin.

Ensuite, à Yverdon Sport, le montant est passé à 200 fr. Xavier est alors parti en sport-études à Lausanne, où tout est pris en charge, y compris les repas.» Le plus gros poste, confie Michel Margairaz, ce sont les trajets en voiture pour les amener à l’entraînement, soit environ 5000 fr. par année. «Après, je n’étais pas obligé de le faire, mais j’ai aimé les accompagner partout en Suisse et en Europe. Je me souviens par exemple d’un tournoi de l’équipe de Suisse M17 en Angleterre. Cela m’avait coûté entre 500 et 1000 fr. pour y encourager Xavier. Mais ces dépenses-là, c’était pour mon plaisir, elles n’étaient pas indispensables.»

Tim Guillemin


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Le ski est l'un des sports les plus chers pour les jeunes champions.
© JEAN-CHRISTOPHE BOTT

MELANIE ET LOÏC MEILLARD, SKI ALPIN, MEMBRES DU CADRE NATIONAL DE SWISS SKI

Frère et sœur, Loïc (21 ans) et Mélanie (19 ans) Meillard, les deux plus sûrs espoirs du ski alpin suisse, ont chaussé leurs premières lattes à l’âge de 2 ans. «D’eux-mêmes, sans que j’aie eu à les pousser», précise d’emblée leur père Jacques. Ils ont ensuite rejoint un Ski-Club, celui d’Hérémence, avant d’être progressivement intégrés dans les structures tentaculaires de Ski-Valais, puis de Swiss Ski. «On peut situer le moment où ils sont devenus autonomes financièrement, en étant pris en charge par la fédération, lorsqu’ils ont commencé à évoluer en Coupe d’Europe ou en Coupe du monde, soit vers 18 ans», confirme Jacques Meillard.

Avant ce soutien institutionnel, il est «difficile de chiffrer les dépenses que nous avons consenties. Tout dépend comment l’on compte, si le temps consacré peut se convertir en francs. Entre mon épouse et moi-même, c’était presque un boulot à plein temps!» La préparation des skis et du matériel, les déplacements et les hôtels: pour ne citer que les postes les plus importants, Jacques Meillard estime «avoir investi, en moyenne, entre 10 000 et 13 000 francs par année et par enfant». Et ce, sur une dizaine d’années.

«Heureusement que les bons résultats de nos enfants ont rapidement permis d’obtenir gratuitement du matériel. Sinon, à coups d’une dizaine de paires de skis par année, on pourrait facilement ajouter, sur la longueur, plusieurs dizaines de milliers de francs.»
A noter que pour parer à d’éventuels «coups durs», Loïc et Mélanie avaient d’ailleurs entrepris un apprentissage et obtenu un CFC.
Blaise Craviolini

MA
Mathieu Aeschmann