Passer 21 jours sans se plaindre, c’est le défi que souhaitent relever Christian Chenaux, directeur de Securitas Direct, et huit de ses collaborateurs. Ils s’associent ainsi à un mouvement qui rassemble déjà plus de dix millions de personnes dans le monde. L’idée de faire une sorte de «carême des rouspétances» a été lancée en 2007 aux Etats-Unis par le conférencier Will Bowen. Elle a rapidement créé le buzz sur les réseaux sociaux, avant d’être reprise et adaptée dans une centaine de pays, dont la Suisse. Securitas Direct serait la première entreprise romande à tenter ce challenge, selon la formatrice d’adultes Diane Masmejan-Borcard, à Bulle, dans le canton de Fribourg. 

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Un carême des rouspétances

Les personnes qui se lancent dans cette aventure sont faciles à reconnaître: elles arborent un bracelet en silicone coloré qu’elles changent de poignet dès qu’elles se mettent à se plaindre ou à critiquer. L’objectif est réussi lorsqu’elles l’ont porté du même côté pendant 21 jours. Mais, avant de faire démarrer le chrono, Christian Chenaux et ses collaborateurs ont suivi une formation en quatre modules intitulée «21 jours pour s’épanouir au travail». Le principe de base est simple et très philosophique: si vous n’aimez pas quelque chose, changez-le. Si vous ne pouvez pas le changer, changez votre attitude, mais ne vous plaignez pas!

La première session est consacrée à un état des lieux: se plaindre est une habitude profondément ancrée dans nos cellules. «Nous avons été entraînés à voir tout ce qui va de travers», explique Diane Masmejan-Borcard. A force, on ne s’en rend même plus compte. «C’est comme la mauvaise haleine, nous sommes incommodés par les plaintes qui viennent de la bouche des autres, mais pas de la nôtre», dit-elle. Or, se plaindre ne permet jamais d’obtenir ce qu’on veut, en revanche, les plaintes contribuent certainement à perpétuer ce qu’on ne veut pas. Reste à définir ce qu’est la plainte. «C’est une parole qui se distingue par l’énergie négative qu’elle transmet.» Il y a plusieurs critères: le ton de la voix, geignard ou agressif; le positionnement par rapport à l’autre, soit comme victime, soit comme bourreau; le choix des mots, qui sont forcément blessants. La plainte n’est jamais émise dans le but de trouver une solution au problème abordé: elle sonne plutôt comme un reproche, une accusation ou un jugement. Mais qu’on ne s’y méprenne pas: «Certaines personnes croient que cesser de se plaindre revient à porter des lunettes roses, ils pensent qu’il faut être intransigeant pour se faire respecter. J’essaie de leur expliquer que la bienveillance n’est pas la naïveté et que le positivisme n’empêche pas de voir les choses en face. Signaler un problème à quelqu’un, par exemple, ce n’est pas se plaindre.»

Jusqu’à cinquante fois par jour!

Les deux modules suivants permettent aux participants de se familiariser avec certains outils de développement personnel comme la communication non violente et la psychologie positive. Il s’agit d’aller un peu plus loin dans la prise de conscience du pouvoir qu’ils peuvent exercer sur leur propre comportement. En filigrane, il y a l’idée que le bonheur repose en bonne partie sur la décision consciente de vouloir le meilleur pour soi-même. Le dernier module est réservé au plat de résistance: le défi sur 21 jours. C’est là que les choses se corsent. «A chaque fois que vous râlez, vous recommencez au jour 1. Je vous conseille donc de tenir un journal, pour savoir où vous en êtes. Comme l’individu moyen se plaint jusqu’à cinquante fois par jour, ne vous étonnez pas si vous devez souvent changer de poignet au début et qu’il vous faut une semaine pour arriver au jour 2. Vous pouvez aussi mettre ce bracelet dans une poche, ou le déposer sur un côté de votre bureau, pour le changer de place si vous râlez. Ce bracelet est un rappel: le fait d’associer un geste à un exercice aide à ancrer une nouvelle habitude.»

Pourquoi 21 jours? D’après les recherches en neurologie, c’est le temps qu’il faut pour changer durablement un réflexe. «Disons que c’est plutôt un nettoyage, car le but est de se débarrasser de quelque chose dont on ne veut pas, indique Diane Masmejan-Borcard. Il ne s’agit pas d’être parfait. Le but est d’essayer de faire de son mieux en espérant s’améliorer un peu chaque jour.»

Y a-t-il des astuces pour tenir le coup? Oui, dit-elle. «Vous pouvez pester intérieurement; seules les plaintes et les critiques exprimées à haute voix sont comptabilisées.» Si vous n’arrivez pas à vous empêcher de vous énerver dans un contexte particulier, vous pouvez limiter le challenge à une partie de la journée ou à un moment de la semaine. Vous êtes donc libre de mettre votre bracelet sur «pause» avant de prendre le volant, par exemple. Enfin, il y a un truc tout simple qui peut vous sauver la mise quand vous n’avez rien de constructif à dire: garder le silence. Attention, il y a des étapes, prévient Diane Masmejan-Borcard. «Au début, on est souvent un peu euphorique. En fait, on n’a tout simplement pas encore bien mesuré le défi. On traverse ensuite une phase très délicate, parce qu’on réalise à quel point on est mal barré. Beaucoup de gens disent qu’ils découvrent à ce moment-là qu’ils râlent beaucoup plus qu’ils ne l’imaginaient. Le côté positif des rechutes, c’est qu’on assimile à chaque fois un peu mieux une autre façon de fonctionner. C’est un processus.» A noter qu’il faut généralement entre quatre et huit mois pour boucler le défi.

A la fin de la formation, même si les appréhensions sont perceptibles, tous les participants s’annoncent partants, à commencer par Christian Chenaux, qui tient à préciser: «Il est important que chacun décide pour lui-même et programme librement son défi.» «Je vais me lancer tout de suite, mais sans me mettre la pression, déclare Stéphane, l’un des participants. Ce que je retiens de cette formation, c’est qu’il ne sert à rien de se plaindre. D’ailleurs, j’ai fait une expérience intéressante en famille le week-end dernier. Le vendredi soir, j’ai réuni tout le monde à table pour proposer qu’on s’abstienne de râler jusqu’au lundi matin. Au début, on devait se reprendre toutes les deux minutes et demander des temps morts. Ensuite on a commencé à réussir à faire autrement et, le dimanche soir, toute la famille était supercontente. Mais le lundi matin, on était de retour à la case départ! Comme quoi il faut vraiment de l’exercice et de la volonté pour y arriver.»


Bien-être et travail: les mentalités évoluent

  • En 2008, quand Annika Månsson a fondé à Genève Happy at Work pour promouvoir l’épanouissement personnel au travail, la coach, formatrice et conférencière se sentait un peu seule. «On me faisait remarquer que les gens ne vont pas au travail pour être heureux, mais pour travailler!» Depuis, les mentalités ont beaucoup changé. Annika Månsson croule sous les demandes d’interventions ponctuelles dans les entreprises de toutes tailles pour «insuffler l’optimisme» et favoriser l’empowerment des collaborateurs.
  • Parmi les livres, citons notamment Etre patron sans perdre son âme, de Marie-Christine Bernard, La stratégie de la bienveillance, de Juliette Tournand, ou encore Power Patate, de l’ex-journaliste et «professeur de bonheur» autoproclamée Florence Servan-Schreiber. L’apparition des «Chief Happiness Officers» témoigne également de cette évolution. Une chaire d’étude du bien-être au travail a même été créée en 2012 à l’Ecole de management de Grenoble.
  • «Le problème, c’est que la bienveillance relève d’une posture intérieure et qu’il n’existe pas d’outil spécifique pour mesurer une intention profonde», affirme le directeur de la chaire, Dominique Steiler. «Les indicateurs de performance sont en définitive toujours liés au rendement», regrette Olivier Baud, secrétaire général de la Fondation officielle de la jeunesse à Genève. «Il faut faire les choses avec bienveillance parce qu’on estime que c’est juste, et non pour en attendre une récompense: agir selon sa conscience est le principal bénéfice», conclut Dominique Steiler.
FS
Francesca Sacco