Mi-mars, Ludesco, le plus grand rassemblement de jeux en Suisse, invitait les entreprises à entrer dans la partie à La Chaux-de-Fonds. «Le festival offre une vision à 360 degrés sur l’industrie du jeu, mais sans les jeux d’argent ou vidéo, explique Thomas Junod, président de l’organisation. Et pour la première fois, le jeu en tant qu’outil de ressources humaines, de formation et de marketing est abordé autour d’une table ronde.»

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La gamme des possibles est vaste: serious game – entendez approche ludique avec un objectif pédagogique clair –, jeu de rôle, escape room, jeu de piste, jeu digital ou plateau traditionnel. «Le jeu est un outil multiforme et plurifonctionnel, observe Marc Bersier, fondateur de PsychoStratégie à Lausanne. Il permet de mettre à l’épreuve des stratégies, de repousser ses limites, de tenter des actions décalées, d’expérimenter ce qu’on n’oserait peut-être pas essayer autrement, et cela, en terrain neutre.»

Une meilleure cohésion d’équipe
Alors, concrètement, comment joue-t-on en entreprise? Très souvent, c’est sous forme d’activité de team building que le jeu passe la porte des sociétés, avec une orientation désormais forte vers les modèles collaboratifs. «Certains adultes n’aiment pas jouer de peur de perdre, relève Loïc Hans, directeur d’Entrée de Jeux. Or la tendance actuelle est d’agir en groupe dans les entreprises, l’idée étant de favoriser la cohésion d’équipe. La communication est donc un élément essentiel des défis. Par ailleurs, il est intéressant de voir comment le leadership se met en place.» Les meilleurs éléments seront ceux qui sont capables de revêtir n’importe quel rôle dans ces jeux, se muant en meneur, médiateur ou exécutant, pour servir au mieux la dynamique du groupe. Selon les entreprises, un débriefing poussé de l’animation est prévu avec un psychologue.

Dans le même ordre d’idées, et au demeurant franchement drôle, la société fribourgeoise Une-bonne-idée.ch, précurseur dans ce secteur, propose notamment Leader’Sheep, une séance en extérieur dans laquelle les employés se retrouvent à devoir gérer un troupeau de moutons, de vrais ongulés à quatre pattes. «Les collaborateurs doivent leur faire passer des obstacles, les rassembler autour d’un élément central et ainsi de suite, explique Joël Reinhard, codirecteur d’Une-bonne-idée.ch. Nous utilisons beaucoup la métaphore dans nos activités. Si l’ensemble n’est pas soudé et ne communique pas de manière claire et rapide, les moutons iront gambader n’importe où.» Le parallèle avec la vie d’entreprise saute aux yeux et cette proposition fait partie des best-sellers en Suisse romande.

La gestion de crise ou de tout bouleversement ayant lieu dans une société, que ce soit sur l’outil de production ou dans la direction, est également l’un des axes privilégiés par les serious games. La méthode Lego est une option parmi d’autres et elle est encadrée par un facilitateur. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit de représenter, par exemple, l’image que son équipe de travail donne à l’extérieur, cela, d’abord de manière individuelle, puis collective. Le processus peut se terminer par une nouvelle construction reflétant l’image qu’on aimerait donner les prochains mois. Le Lego, le puzzle et d’autres jeux aideraient à aborder une problématique du quotidien professionnel.

Ne pas contraindre les employés
Une autre possibilité est celle pratiquée en Valais, dans le cadre scolaire, pour sensibiliser aux addictions. Un escape game est mis en place dans la salle de cours. Les élèves doivent aborder toutes les thématiques de l’addiction, via une tablette. «Ce type de développement ciblé est de plus en plus demandé par les entreprises, note Joël Reinhard. Ces dernières ont cependant des informations ou de la documentation en lien à livrer, pour qu’on puisse ensuite créer la mécanique de jeu.» Marc Bersier, qui utilise le jeu comme un laboratoire de vie, notamment dans la restructuration des processus, se montre toutefois prudent: «En phase aiguë de crise, le jeu n’est peut-être pas la bonne solution, car il ne résout pas tout. Par ailleurs, certaines personnes trouvent ça puéril et il est inutile de les contraindre, même si c’est un excellent moyen de développer certaines aptitudes individuelles ou de groupe.»

En cas de profonde crise dans l’entreprise, le jeu ne résout pas tout.

Marc Bersier, fondateur de PsychoStratégie

Autre emploi des jeux: en tant qu’outil des recruteurs. Il n’est plus l’apanage de quelques sociétés avant-gardistes et vise à déceler plus rapidement des profils de personnalité: le meneur, le créatif, le fonceur, l’émotif… Dans les faits, on invite, par exemple, les quatre derniers candidats à un même poste à collaborer les yeux bandés pour construire un puzzle ensemble. Ils doivent entre autres décrire leurs pièces et montrer leur habileté à communiquer en étant sous stress. Une-bonne-idée.ch a imaginé ce concept, qui a été éprouvé avec succès.

«C’est quelque chose de très prometteur et qui permet de faire gagner du temps dans le processus de recrutement, confirme Loïc Hans. J’ai moi-même été testé, à l’époque, au travers d’un jeu de rôle individuel. C’était pour une société de promotion supracantonale, rien à voir avec la gamification. Je devais vendre l’entreprise qui m’engageait à un partenaire réfractaire. J’avais reçu le concept la veille au soir. Cette approche permet de voir comment le candidat se présente face à un client, comment il évalue son potentiel employeur et aussi comment il réagit au stress.»

Bientôt un module de formation
Avantage également souligné par de plus en plus de pédagogues, on assimile mieux en jouant. La société Groupe E Connect a, notamment, fait développer un jeu de piste pour former ses collaborateurs. Elle n’est pas un cas isolé. Les formations ludiques se multiplient, ciblant les apprentis, la production ou les cadres. «Les couteaux Wenger avaient besoin d’un outil récréatif pour aider leurs vendeurs à l’étranger à assimiler rapidement les valeurs de l’entreprise, mentionne le directeur d’Entrée de Jeux. Avec deux historiens, nous avons créé un jeu au contenu fouillé sur la société elle-même.»

Suivant ce même principe pédagogique, l’employeur nyonnais de Thomas Junod – qui ne souhaite pas être cité – expérimente régulièrement les processus de gestion des événements sous forme d’exercices de simulation. Par ailleurs, un système de gamification avec des points à collecter a été mis en place entre les départements. «On parle d’un taux de mémorisation de 5% des informations reçues lors d’une formation classique, mais celui-ci grimpe rapidement dès que la personne vit la situation», estime-t-il.

Si le groupe n’est pas soudé, les moutons iront gambader n’importe où.

Joël Reinhard, codirecteur, Une-bonne-idée.ch

Marché ultra-concurrentiel, l’industrie du jeu est désormais dans le viseur des équipes commerciales qui souhaitent utiliser les codes de cette communication à haute valeur ajoutée. Le jeu devient clairement un vecteur marketing. Derniers-nés d’Entrée de Jeux, trois défis organisés dans la brasserie BFM à Saignelégier. «Ça a été un tour de force de créer un jeu de rôle, qui tient en une heure, dans les locaux de l’entreprise. L’objectif est de valoriser l’histoire de la société et ses personnages, tout en amenant des groupes à venir dans la brasserie, explique Loïc Hans. Sous ce format, c’est une première pour nous, même si nous avons développé des activités similaires pour des musées tels que la Croix-Rouge à Genève.»

Les idées foisonnent. On voit également apparaître des plateaux de jeu traditionnels sur une entreprise ou un secteur d’activité qui sont ensuite distribués aux clients, servant ainsi à la promotion. Cette tendance a poussé la HEG-ARC à proposer, dès cet automne, un nouveau module, «Le jeu comme outil de promotion et de communication». Les inscriptions ont démarré en février. «Rien de tel n’existe en Suisse, souligne Michael Perret, chargé de cours. Il y a une volonté grandissante de mettre en place le jeu en entreprise et d’avoir des collaborateurs qui sont capables d’offrir cela en interne.»