Mesurer les compétences de manière objective? Impossible, selon Olivier Sibony, professeur à HEC Paris et ex-associé senior du cabinet McKinsey. Dans son livre Vous allez commettre une terrible erreur!, il explique combien les biais cognitifs faussent les décisions des dirigeants, y compris dans le cas des recrutements. La moitié de la décision repose sur… l’interaction, soit la tête du client.

Pour un candidat, outre apporter la meilleure image de soi, ce qui compte, c’est aussi et surtout créer un climat de confiance et faire passer son message. Pour un recruteur, il importe de savoir dépasser les apparences. Conseils pratiques.

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1- Prenez les commandes

C’est un classique, mais avant de rencontrer quelqu’un, tâchez d’en savoir le plus possible sur lui. Le conseil vaut pour le candidat comme pour le recruteur. «Je lis, j’écoute, je regarde tout ce que je peux trouver du travail de cette personne pour comprendre les éléments importants de son histoire», conseille Terry Gross, intervieweuse américaine de renom dans un entretien au New York Times. Plus on dispose de ressources sur lesquelles s’appuyer, plus il est possible de rebondir dans la conversation. Venir impréparé entraîne un risque: perdre la maîtrise de la conversation et vous laisser entraîner là où le souhaite votre interlocuteur.

2- Créez la confiance

Ce n’est pas un mythe: «Synchroniser sa posture avec son interlocuteur permet de créer un climat de confiance», explique Anne-Marie Perri, directrice et formatrice au Collège romand de PNL (programmation neuro-linguistique). Nul besoin de tomber dans un mimétisme parfait, mais «observez votre interlocuteur de manière fine: sa posture, ses gestes, et synchronisez-les», conseille l’experte. Pourquoi cela rassure? «Notre inconscient a tendance à fuir ce qui est différent, car cela fait peur et nous éloigne. Au contraire, tout ce qui nous ressemble nous rapproche. Créer cette similitude donne confiance.» Voilà de quoi mettre votre interlocuteur à l’aise, quel que soit le côté où vous vous trouvez. Observer le langage corporel peut être utile: pour le candidat, afin de déceler tout signe d’ennui; pour le recruteur, afin de débusquer toute incohérence entre parole et action.

3- Cherchez les incohérences

Le but d’un entretien: démasquer des ambiguïtés. Entre une fiche de poste et la réalité du terrain (pour un candidat), entre une personnalité «présentée» et un parcours passé (côté entreprise). Ici, prêtez en particulier attention à la voix, à l’intonation, au ton… «Une personne peut dire ‘J’étais le meilleur des managers’ mais chercher longuement ses mots, placer l’accent au mauvais endroit ou encore manquer de conviction dans sa voix», pointe Anne-Marie Perri. Des détails à ne pas laisser au hasard: profitez-en pour demander des précisions factuelles: pourquoi avancez-vous cela? Disposez-vous de chiffres? L’objectif, in fine, est de comprendre la différence entre le «dit» et le «vécu».

4- Surveillez votre langage

«Lorsque nous transmettons des informations, nous parlons tous avec trois structures linguistiques, indique Anne-Marie Perri. Les omissions, les généralisations, les distorsions.» Ces trois outils d’expression révèlent la manière dont s’organise notre pensée. La première est une manière d’éviter de dire les choses de manière précise, ce qui peut engendrer des malentendus. La seconde («il faut que», «c’est indispensable», etc.) est souvent une forme d’autolimitation, selon l’experte. Le danger? Avoir affaire à une personne qui soit un frein à chaque projet. La troisième est une manière de présenter les faits mais en y ayant déjà apporté une interprétation: «Je suis restée six ans à ce poste, ce qui signifie que…» Le risque de manipulation est évident.

Pour ne pas se laisser entraîner dans la dynamique mentale engendrée par la parole de son interlocuteur, l’idéal est de disposer d’outils de PNL. Ils permettent de comprendre quelle structure de langage est utilisée et d’anticiper les pièges, les défis, les risques induits. A défaut, conseille Anne-Marie Perri, posez des questions. «Il faut oser interroger longuement pour clarifier le message, s’assurer qu’on a bien compris ce qui est ‘vendu’, et vérifier l’information.» Notre parole reflète qui nous sommes, dit Grégoire Sommer, cofondateur du Laboratoire d’études en rhétoriques. Ainsi, utiliser des phrases courtes, rapides, fortement ponctuées et dotées de verbes d’action révèle une personnalité dynamique.

5- Une petite dose de storytelling

Utiliser une histoire ou une anecdote pour convaincre? La méthode peut s’utiliser pour les recruteurs comme pour les recrutés, assure Jean-Marc Guscetti, formateur en entreprise et cofondateur de l’Ecole romande de rhétorique. «Pour un candidat, il s’agit de souligner un moment de vie ou de parcours professionnel où l’on s’est révélé face à un obstacle, une situation difficile, un défi que l’on a réussi à surmonter.» Mettre en avant sa vie privée n’est pas rédhibitoire dans ce cadre, explique ce spécialiste de storytelling. «La séparation entre vie privée et vie professionnelle a tendance à s’effacer et, aujourd’hui, on cherche des personnalités plutôt que des carrières, donc des aptitudes, du courage, de l’empathie, de la volonté.» C’est ce que doit refléter votre histoire.

Une entreprise aussi doit savoir résumer son histoire ou son mythe fondateur sous forme de court récit, assure Jean-Marc Guscetti, qui a notamment travaillé pour Nestlé. «Une bonne story comporte deux aspects. Des émotions: joie, peur, tristesse. Et une dimension cohérente, rationnelle. On a besoin des deux, il faut que l’information soit crédible et vérifiable.»

6- Connaître ses limites

On vous entraîne sur un terrain qui vous dérange? La manière la plus efficace de déjouer ce piège est évidemment d’avoir organisé vos propres idées auparavant, ce qui vous évitera le pire: un blanc ou des bégaiements. Pour l’Américaine Terry Gross, refuser de répondre à une question doit rester une arme de dernier recours. Mais en pareille situation, elle recommande de jouer la carte de l’honnêteté: «J’ai de la peine à trouver une réponse précise à votre question», ou encore: «Ma réponse pourrait heurter, ce que je préfère éviter.»

7- L’enjeu: convaincre

C’est l’enjeu de tout échange dans le cadre d’un recrutement, en particulier pour un candidat. Grégoire Sommer appelle cet exercice «greffe d’opinion en milieu hostile». L’expert détaille trois phases pour réussir l’exercice. «D’abord, une création de consensus, pour créer un univers commun.» Il donne l’exemple d’une scène du film La liste de Schindler, où le personnage principal veut convaincre son interlocuteur de ne pas tuer quelqu’un.

Ici, l’univers commun est l’évocation de la notion de pouvoir. Les deux personnages en discutent et Schindler reprend l’argumentation de son adversaire: le pouvoir, c’est de tuer. «Il faut ensuite créer un paradoxe, une dissociation, on ouvre le monde.» Schindler développe alors son idée: le pouvoir, c’est de tuer, certes, mais c’est surtout de tuer arbitrairement qui procure le pouvoir. Il faut ensuite greffer son idée avec des arguments de causalité.

Reprenant l’exemple du film, Grégoire Sommer indique que «puisque c’est l’arbitraire qui fait le pouvoir, et non le fait de tuer, sauver une vie, tout aussi arbitrairement, n’ôte en rien le fait d’avoir du pouvoir, mais le renforce».

8- Pas d’humour? Misez sur l’énergie

Pour créer un climat de confiance et de détente, rien de mieux que l’humour et la répartie. Ce n’est pas dans votre nature? Pas forcément grave, dit Terry Gross, qui rappelle qu’«une pensée bien structurée, la concision et l’énergie» restent des éléments suffisants pour laisser une forte impression.

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Par Camille Andres