Donner du feed-back améliore la performance. Si ce point semble acquis, moins de la moitié des salariés disent recevoir un retour régulièrement, selon une étude d’Oxford Economics. C’est également le constat que dressent trois spécialistes du domaine en Suisse: Carole Warlop, cofondatrice de Coaching Square Swiss et éprise de management bienveillant, Jérôme Oguey, fondateur de Inlead qui promeut un management inclusif, et Corinne Martino, formatrice en entreprise dans le cadre du centre de formation continue en management et ressources humaines CRPM, experte en management d’équipe.

également interessant
 
 
 
 
 
 

Quant à Nils Frei, navigateur expérimenté et double vainqueur de la Coupe de l’America avec Alinghi, il nous livre son expérience en matière de cohésion d’équipe en milieu ultra-compétitif.

On parle souvent de la culture du feed-back, mais dans la réalité des entreprises, on est plus dans une approche corrective...

«Le feed-back est un cadeau, il ne devrait être ni positif ni négatif, contrairement aux idées reçues. La meilleure approche est de donner un feed-back d’appréciation, pour encourager un comportement à se répéter, ou un feed-back de développement, quand un travail n’est pas satisfaisant. Pour être performante, une organisation devrait avoir un ratio de trois à quatre feed-back d’appréciation pour un de développement», mentionne Carole Warlop, citant le psychologue Marcial Losada, qui a mené des travaux sur le développement des équipes de haute performance. «Or, c’est plutôt l’inverse qui se produit en Europe.»

A l’opposé, aux Etats-Unis, le ratio serait de six remarques d’appréciation pour une de développement. Un tel ratio ne fonctionnerait pas en Suisse, car personne n’y croirait, estime la spécialiste. Un juste milieu est à trouver. La ligne à suivre est donc plutôt loin de ce qui se pratique au quotidien dans les entreprises. Un constat relayé également par Jérôme Oguey: «Que ce soit dans les PME ou dans les grandes organisations, on se concentre trop souvent sur les manquements au lieu de valoriser le collaborateur et de lui permettre d’améliorer son implication.»

Dès lors, comment donner un feed-back correctement?

Ça se prépare. Un feed-back doit être formulé dans le «je». «C’est très difficile, car on est vite dans l’émotionnel et on lance ce qui ne va pas, avec le «tu» qui tue, illustre Carole Warlop. Une bonne méthode est celle du «DESC»: description, émotion, solution, conséquence.» Décrire un fait et exprimer son ressenti par rapport à ça, puis l’impact que ce fait a sur nous. Ensuite, proposer une solution, un dialogue, nommer son besoin, pour finalement préciser la conséquence visée par cette solution.

Stephen Shedletzky, du mouvement Start With Why, évoque sur son blog la formule «FBI»: feeling, behaviour, impact. Partager ses émotions de manière cadrée permet au destinataire «de s’approprier le feed-back et de comprendre l’expérience de quelqu’un d’autre à son égard», dit-il. On peut dire par exemple: «Lorsque vous êtes arrivé en retard à notre réunion, je me suis senti frustré et trahi. La conséquence est que je suis moins susceptible de vous recommander pour le projet à venir, car ma confiance en vous a diminué.» Ne manque que la solution.

Justement, quel est l’ingrédient qu’on oublie dans le feed-back?

«La notion de confiance est essentielle, estime Nils Frei, aujourd’hui coach et marin de l’équipe Alinghi. Par exemple, lors d’une course passée, l’un des membres de l’équipe météo était un jeune de 18 ans avec peu d’expérience. Il avait vu un changement de vent et cette information était décisive. Le tacticien a dû lui faire confiance. Mais pour cela, il faut une culture d’ouverture d’esprit très ancrée.»

Corinne Martino pointe, à son tour, un élément souvent délaissé: «On oublie les collaborateurs dans leurs tâches quotidiennes, qui ne sont pas valorisées. Bien sûr, les employés sont rémunérés, mais s’ils ne sont pas reconnus, ils vont se désengager peu à peu. Il ne s’agit pas de les encenser, mais d’être factuel: «Ton dossier de ce matin était excellent car il décrivait les impacts positifs et négatifs du projet.» Ainsi, cette personne sait précisément ce qu’on attend d’elle et continuera dans ce sens.»

Alors, pour instaurer une culture du feed-back, par quoi commence-t-on?

«Il est important que chacun puisse parler et se sentir vraiment écouté, souligne Nils Frei. On vit d’interactions, surtout sur un bateau, et on est obligé de comprendre les soucis de l’autre pour progresser ensemble. Le feed-back est indispensable et il est la base de la culture Alinghi. Nous l’avons mis en place bien avant la première Coupe de l’America, ça prend du temps et on insiste là-dessus. Sinon, notre équipe ne fonctionnerait pas aussi bien, car on est un groupe très hétérogène avec des cultures, des langues et des profils différents.»

De plus en plus de dirigeants se forment pour apprendre à donner un retour à leurs collaborateurs, y compris dans les PME. «C’est une démarche inclusive qui signale aux collaborateurs qu’ils existent, souligne Jérôme Oguey. Il faut une véritable envie de la part de la direction, elle doit prendre du temps et s’ouvrir au collaborateur pour savoir comment il préfère développer ce feed-back.» Autre proposition concrète: libérez une à deux heures par semaine durant lesquelles les collaborateurs savent qu’ils peuvent venir dialoguer et recevoir une vraie attention.

Très souvent, le manager se retrouve face à des individualités très différentes. Comment adapter le feed-back?

La diversité est justement la ressource avec laquelle travaille Jérôme Oguey. «Imaginons un collaborateur plus âgé et un manager de 35 ans qui doit instaurer des changements. L’employé qui a déjà vécu dix réorganisations est logiquement moins enthousiaste. Il faut inclure son historique dans la démarche. Le but est de lui montrer qu’il peut amener une pierre à l’édifice. D’où l’importance d’être proche de ses collaborateurs. Cela ne veut pas dire savoir ce qu’ils font le week-end, mais connaître leurs talents et ce qui est important pour eux: la sécurité de l’emploi, un cahier des charges clair…» En fonction de ces informations, on peut donner un meilleur feed-back.

En complément, Carole Warlop signale l’étude Aristote de Google: «Les équipes qui fonctionnent le mieux sont celles où il règne une sécurité psychologique. Indépendamment de sa culture ou de son background, une personne a besoin d’être pleinement reconnue et de pouvoir se situer dans une organisation. Précisons qu’on ne donne pas un feed-back devant tout le monde. Cela peut faire des dégâts.»

Tous les managers ne sont pas à l’aise pour donner un feed-back. Comment améliorer cela?

«Le directeur doit sortir de sa zone de confort, car il y a un besoin des employés. Le feed-back est un outil pour renforcer leur engagement, rappelle Jérôme Oguey. Parfois, le feed-back est là pour recadrer un salarié. Ce n’est pas agréable, mais il faut le faire.»

Il y a par ailleurs la peur de donner du feed-back, y compris positif, de crainte de voir son interlocuteur se braquer ou à l’inverse s’enorgueillir et demander une augmentation. «Le manager doit se positionner et être orienté solution sur des points précis. De la même manière, valoriser une tâche concrète, pour laquelle le salarié est payé, pose les limites», indique Corinne Martino.

A quelle fréquence donner un feed-back et par quelle voie?

Dans la Harvard Business Review, on découvre que près de 60% des millennials interrogés souhaitent un feed-back mensuel. Plus surprenant: la tranche d’âge supérieure attend elle aussi des retours réguliers, mensuels (40%) ou trimestriels (40%). «Tous les canaux sont bons de nos jours, surtout avec des équipes de plus en plus mobiles, relève Carole Warlop. Donnez du feed-back, avec une vraie écoute, régulièrement et en pensant au ratio de Losada.»

TB
Tiphaine Bühler