La société suisse Interiman Group, basée à Lausanne, a bouclé l’exercice 2019 sur une croissance de son chiffre d’affaires de 12%, à 365 millions de francs. Une performance bien au-dessus de la moyenne de la plupart de ses concurrents, selon l’indice de référence du secteur Swisstaffing, qui s’est inscrit en recul de près de 4,5%.

Loin du triomphalisme, Robin Gordon, CEO et associé du groupe, considère que ces résultats ne sont que le début du chemin qui pourrait mener Interiman à la place de numéro un suisse dans six ans. Rencontre.

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Quels ont été les faits marquants pour votre groupe en 2019?

Interiman Group poursuit un développement constant depuis plusieurs années et 2019 a confirmé une croissance endogène, avec l’ouverture de nouvelles agences à Montreux, Nyon, et Saint-Gall. Notre stratégie est basée sur une progression également au sein des équipes et l’ouverture d’agences de proximité (65 agences sont actives, ndlr). Le nombre de collaborateurs internes est passé de 260 à 310 en 2019. Enfin, le renforcement des capacités dans les domaines du marketing et du digital est devenu essentiel pour soutenir notre croissance.

Comment cela se traduit-il en chiffres?

Nous sommes fiers d’afficher plus de 20 000 collaborateurs temporaires. Ils réalisent chaque année plus de 95 000 missions auprès de 4000 clients, PME, entreprises multinationales et collectivités publiques.

Votre entreprise, fondée en 1998, évolue dans un domaine où l’on ne compte pas moins de 1800 agences en Suisse. Ce marché va-t-il se consolider?

Le top 5 dont nous faisons partie détient 25% du marché. De toute évidence, beaucoup de petites structures vont avoir toujours plus de peine à survivre. Nous recevons en moyenne une proposition de rachat par semaine. Mais ces sociétés ne valent souvent plus rien sans leur patron, qui incarne la marque auprès des clients.

Vous fonctionnez par le biais de filiales spécialisées, quel est l’objectif de cette segmentation?

Nous disposons de 15 marques spécialisées. La stratégie veut qu’elles se concentrent dans leur domaine de prédilection, qu’elles rayonnent dans leur écosystème et profitent de leurs expériences pour satisfaire les clients. Nous venons par exemple d’ouvrir une nouvelle filiale, Syentec, dédiée aux sciences de la vie, à la pharma et à l’ingénierie. Le but est de répondre à une demande toujours plus forte en personnel spécialisé dans ces secteurs.

Les petites équipes semblent légion chez vous. C’est peu courant...

C’est intentionnel. Nous avons constaté que les petites équipes fonctionnent de manière plus volontaire et productive. Dès qu’elles deviennent trop grandes, nous les dédoublons afin de maintenir leur dynamisme. Il faut ajouter que les bonus sont distribués par équipe en fonction de leurs résultats propres, cela peut faire la différence sur un marché agressif.

Parlez-nous du marché suisse du travail temporaire. En quoi a-t-il évolué ces dernières années?

De nouveaux produits font sans cesse leur apparition. Le portage salarial en est un exemple. Je pense que c’est un modèle de travail qui va exploser dans le monde des indépendants en col blanc. C’est une déclinaison très pratique de l’offre en travail temporaire, totalement en lien avec la Loi sur les Services de l’Emploi. Sinon, dans le cadre de la digitalisation, il faut souligner l’apparition des démarches ESG (les approches socialement responsables), notamment à travers la dématérialisation des dossiers de candidature et de leur suivi.

Vous êtes membre du comité exécutif de l’association faîtière Swissstaffing et chef de la délégation des employeurs dans le cadre des négociations de la CCT du travail temporaire. Il a toujours existé une sorte de défiance à l’égard de votre domaine d’activité, comment l’expliquer?

Les syndicats ont clairement un mot d’ordre: museler le travail temporaire bien qu’il ne représente que 2,5% de la population active. Mais tous nos collaborateurs bénéficient d’une CCT étendue et sont parfaitement assurés.

Les jeunes sont parfois difficiles à gérer, impatients et très vite frustrés. Ils ont besoin de projets et le font savoir.

Quels sont vos sentiments concernant le marché du travail suisse en 2020?

Le marché du travail est devenu un peu volatil. Mais nous constatons que tous les secteurs ont bien fonctionné en 2019, la force de résilience des PME helvétiques est impressionnante. Lorsque l’économie ralentit, nous sommes les premiers à le constater car les missions des travailleurs temporaires sont raccourcies ou prennent fin. Le travail temporaire est ainsi un coussin de sécurité. A contrario, les premiers engagements sont des collaborateurs temporaires lors des reprises conjoncturelles. Je fais preuve d’un optimisme moyen en ce qui concerne cette année.

Le chômage est en légère hausse en ce début d’année. Est-ce un mauvais signe?

Il est toujours difficile de prévoir l’évolution des chiffres du chômage en Suisse, fortement dépendants de l’exportation. Les sous-traitants suisses du secteur automobile ont souffert du ralentissement allemand.

Le vote sur l’immigration aura lieu en mai. En quoi cela impacte-t-il véritablement le monde du travail?

Ce vote est crucial. Si l’on ne peut pas engager à l’étranger, de nombreux secteurs clés vont rencontrer de gros problèmes. Dans le médical, il manque près de 7000 infirmiers. Dans la construction non plus, on ne trouve plus de personnel en Suisse. Il manque aussi des informaticiens ou des ingénieurs hautement qualifiés. Le phénomène est européen. Dans le médical, la Suisse puise dans le vivier français, qui à son tour se sert en Espagne, pays qui lui-même engage au Maroc! Mais il est vrai que cette votation nous inquiète pour des raisons pragmatiques.

Vous considérez la Suisse comme étant en décalage avec les changements sociétaux en raison de l’absence du congé paternité et de la situation des femmes. Quelles seraient les solutions?

Je suis un militant du congé parental, nous sommes très en retard à ce sujet en Suisse. Le modèle actuel ne laisse aucun choix aux parents. Ils doivent absolument pouvoir décider qui travaille et qui reste à la maison lors des naissances, comme le modèle suédois le propose, par exemple. En ce qui concerne l’inégalité salariale qui touche les femmes, le véritable problème réside dans les interruptions de carrière ou les temps partiels, généralement dus à l’éducation des enfants. C’est un frein à l’accès aux postes de cadres et donc aux avancées salariales.

Il semble exister un fossé générationnel sur le marché du travail aujourd’hui. Quelle est votre analyse?

Aujourd’hui, les cadres sont de plus en plus jeunes. Je pense que les actuels dirigeants de société qui ont la trentaine, par exemple, rechignent souvent à engager des personnes plus âgées qu’eux pour des raisons générationnelles. Il existe en effet une barrière psychologique. En ce qui concerne les jeunes, on constate une évolution drastique des comportements. Ils sont paniqués à l’idée de ne bénéficier que de quatre ou cinq semaines de vacances; cela les paralyse littéralement. En outre, ils sont parfois difficiles à gérer, impatients et très vite frustrés. Ils ont besoin de projets et le font savoir. Pour ces raisons, nous allons vers une société où le travail sera beaucoup plus flexible et où il n’existe plus de plan de carrière.

Qu’attendez-vous de 2020?

Nous sommes leaders en Suisse romande, nous visons la croissance en priorité en Suisse alémanique. Mais la culture y est très différente et c’est un vrai challenge de grandir dans cette région. Notre but est de devenir le numéro un en Suisse dans six ans. C’est une ambition qui appartient à tout le groupe. La digitalisation sera l’élément phare. De nouvelles solutions digitales sont déployées en afin d’accélérer notre réactivité.

EdouardBolleter
Edouard Bolleter