Le 12 janvier, le comité économique qui combat la révision de la loi sur le CO2 a remis plus de 100 000 signatures à la Chancellerie fédérale. Ce comité, réuni sous le slogan «Rester raisonnable», est constitué de représentants des secteurs automobile, aéronautique, des transports, du bâtiment ainsi que de la branche pétrolière. Il a reçu le soutien du Centre patronal et de l’UDC. Les PME sont également appelées à s’intéresser au sujet. Mais pourquoi des petites et moyennes sociétés devraient-elles se soucier de l’impact du politique sur leurs activités? Quels sont les enjeux d’une adhésion à un groupe d’intérêts?

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«Défendre une cause»

Au total, près de 60 organisations sont accréditées comme lobbys au parlement. Contrairement à l’image de secret et de puissance entourant le lobbying, elles ne représentent pas uniquement les intérêts de multinationales peu soucieuses du bien commun. La fédération des entreprises agricoles biologiques suisses, Bio Suisse, regroupe par exemple surtout des indépendants, soit quelque 7300 agriculteurs et horticulteurs. Quant à Suissetec, l’association de la technique du bâtiment, elle comprend plus de 3000 PME membres.

Le travail de ces lobbys, qu’on appelle également groupes d’influence, vise avant tout à faire connaître un secteur d’activité auprès de toute personne ayant un pouvoir de décision. Une vaste tâche en Suisse, où l’avenir d’une loi peut se trouver entre les mains des citoyens comme des parlementaires fédéraux et cantonaux.

Maxime Freymond, PAC'info.

«Les PME doivent s'intéresser à la loi sur le CO2, qui représente environ 1,5 milliard de francs de retombées économiques.»

 

Maxime Freymond est directeur du bureau technique valaisan spécialisé dans les énergies renouvelables PAC’info. Il s’investit comme représentant romand du Groupement professionnel suisse pour les pompes à chaleur (GSP), représentant plus de 500 entreprises dans le pays, et de Géothermie Suisse, qui comptabilise plus de 200 sociétés. Pour lui, faire partie d’une association de branche, cela équivaut notamment à «défendre une cause». «Nous souhaitons diffuser la connaissance aux professionnels et au grand public sur les pompes à chaleur et la géothermie en tant qu’alternatives crédibles aux énergies fossiles», explique-t-il.

Pour convaincre, les associations professionnelles agissant comme groupes d’intérêt organisent des événements, entretiennent des relations avec la presse – qui vont de l’envoi d’un communiqué à des contacts directs avec des rédactions –, organisent des campagnes d’affichage, etc. Ces activités se renforcent à l’approche d’une votation si le sujet concerne les membres.

Le GSP fait par exemple partie de la quinzaine d’organisations à l’origine de l’association Economie suisse pour la loi sur le CO2. «Les PME doivent s’y intéresser, car, rien que dans le bâtiment, cette loi représente environ 1,5 milliard de francs de retombées économiques supplémentaires», dit Stefan Batzli, directeur de la faîtière de l’économie des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (AEE Suisse). Si la loi entre en vigueur, les bâtiments devront, dès 2023, rejeter moins de 20 kilogrammes de CO2 par m2. Cela supposera d’entreprendre des travaux d’isolation (correspondant aux normes des années 2000 environ) ou de passer à un chauffage à énergie renouvelable. Une alliance similaire avait atteint son objectif en 2017 en soutenant la stratégie énergétique 2050 de la Confédération.

Les intérêts du vélo

Autre exemple, le secteur du vélo s’est mobilisé pour défendre l’arrêté fédéral sur les voies cyclables en 2018, accepté par 73,6% de la population suisse. L’association Pro Velo Suisse s’est notamment beaucoup engagée dans cette campagne. A la suite de ce succès, elle a décidé avec cinq autres organisations – 2roues Suisse, Swiss Cycling, TCS, ATE et Velosuisse – de créer en septembre dernier Cycla, l’alliance suisse du vélo. «L’objectif est clair: nous voulons être plus actifs au parlement pour influencer les décisions liées au développement du vélo en Suisse et défendre ce secteur économique», résume Martin Platter, directeur de Velosuisse. L’association des fournisseurs et fabricants de bicyclettes représente les intérêts de plus de 2700 marchands, d’environ 6500 employés, pour un chiffre d’affaires estimé à 2 milliards de francs.

Des petites et moyennes entreprises se réjouissent que le secteur du vélo ait davantage de poids. Philippe Albertano, membre de la direction de Scott Suisse, qui emploie 26 employés à Givisiez (FR), salue l’alliance Cycla comme une opportunité «de regrouper tous les différents acteurs du vélo afin de parler d’une même voix vis-à-vis du monde extérieur». Il estime toutefois qu’elle «aura besoin de temps pour grandir, trouver sa place et devenir un interlocuteur incontournable». Philip Ravn, gérant du magasin Hot Point à Genève (six collaborateurs), n’écarte pas l’inscription de sa société anonyme à l’alliance Cycla et pense qu’il faut «arrêter de stigmatiser la pratique du vélo en fonction de l’un ou l’autre camp politique, et simplement toucher un maximum d’utilisateurs».

Des subventions aux effets réels

Plusieurs secteurs économiques ont besoin de subventions pour se développer, voire, dans le cas de l’agriculture, pour survivre. Il est alors crucial pour ces domaines d’entretenir des relations directes avec les élus ou les services administratifs chargés de ces incitations. Les associations professionnelles actives dans le secteur de l’efficience énergétique et des énergies renouvelables ont par exemple plusieurs lobbyistes inscrits officiellement au parlement. Elles comptent également dans leurs comités aussi bien des membres du législatif que de l’exécutif, au niveau cantonal comme fédéral.

Le 12 janvier, 100 000 signatures ont été déposées contre la révision de la loi sur le CO2 par un comité économique. La veille, les milieux activistes de la Grève du climat recueillaient 7000 signatures.

© André Springer

C’est le cas du GSP, pour lequel l’application des lois cantonales sur l’énergie et du Programme Bâtiments de la Confédération est très importante. Le rejet de la loi bernoise sur l’énergie par le peuple en février 2019 fut un échec, mais les subventions en faveur des pompes à chaleur dans les cantons romands du Valais, de Vaud, de Genève et de Fribourg ont dynamisé ce secteur. «En Suisse romande, on est passé d’environ 18 000 nouvelles pompes à chaleur installées par année, en moyenne, avant 2015 et les incitations, à près de 23 000 aujourd’hui, relève Maxime Freymond de PAC’info. Ces subventions ont un effet intéressant si elles sont généreuses.»

A Vouvry (VS), Jean-Carlo Cornut est à la tête d’une entreprise de 11 collaborateurs qui porte son nom, spécialisée dans l’installation et la maintenance de chauffages. C’est un membre historique du GSP. Il a vu un réel effet des aides accordées pour les pompes à chaleur dans les cantons de Vaud et du Valais. «Le groupement nous interroge régulièrement en tant qu’installateur, explique Jean-Carlo Cornut. Cela permet de donner son avis sur des décisions politiques ou administratives qui ont un impact sur notre activité. Tous ensemble, techniciens, installateurs, vendeurs, nous avons ensuite plus de poids. On peut faire remonter notre avis jusqu’aux Chambres fédérales, où nous avons des parlementaires qui nous soutiennent.»

La PME, qui paie une cotisation de 500 francs par année au GSP (les cotisations dépendent du nombre d’employés ou du nombre de forages de sondes géothermiques pour les foreurs), apprécie aussi l’information sur les nouveautés techniques ainsi que l’offre en formation continue.

Des détails techniques qui ont leur importance

Dans le secteur du vélo, les organisations suivent aussi de près les aides directes aux cyclistes. Le canton de Genève, par exemple, offre trois types de subventions: pour l’achat d’un vélo-cargo, pour suivre une formation et pour tester un vélo électrique. Le premier bilan chiffré de l’opération montre qu’en 2019 la subvention vélo-cargo a injecté plus de 85 500 francs dans le secteur genevois des deux-roues, comme l’explique Fabienne Peracino, du Département des infrastructures. Auparavant, «le canton avait déjà subventionné l’achat de près de 18 000 vélos électriques, équivalant à un montant de plus de 4,3 millions de francs». Comme tous les marchands genevois, le gérant du magasin Hot Point, Philip Ravn, a remarqué une augmentation des ventes de l’électrique. Il voudrait toutefois des subventions indirectes en pourcentage sur achat «afin qu’elles soient proportionnelles, et donc plus importantes pour un vélo cher».

Martin Platter, Velosuisse.

© Martin Platter

«Nous voulons être plus actifs au parlement pour influencer les décisions liées au vélo en Suisse.»

 

L’impact du politique sur les PME se cache aussi dans ce qui semble être, pour les néophytes, de simples détails réglementaires. L’association Swiss Medtech, qui représente 600 membres, dont deux tiers de petites et moyennes sociétés, l’a bien compris. «Nous ne sommes pas directement actifs au parlement, mais nous répondons aux procédures de mise en consultation des lois, où nous prenons en compte les craintes et les souhaits de nos PME, souligne Daniel Delfosse, directeur des affaires réglementaires au sein de l’association. Nous prenons également officiellement position sur des votations, comme lors de l’initiative populaire «Pour une immigration modérée», rejetée en septembre.»

Les cotisations annuelles à Swiss Medtech oscillent entre 1000 et 25 000 francs en fonction du nombre d’employés. Les droits de vote varient également en fonction de la taille de l’entreprise. Swiss Medtech surveille l’élaboration actuelle de l’ordonnance sur les dispositifs médicaux. «Nous étudions le projet de l’Office fédéral de la santé publique, en sondant les PME membres. Nous alertons l’administration si le texte entraîne des surcoûts trop importants ou des problèmes. En l’occurrence, il y a un risque que les importateurs suisses ne puissent plus se fournir en dispositifs médicaux à l’étranger si on introduit des lois suisses qui vont au-delà de l’équivalence avec des lois européennes.»

Propriétaire et directeur de Mecaplast, à Botterens (FR), Jean-Marc Jaccottet suit de loin ce qui se passe à Berne et se félicite de pouvoir déléguer cette mission à Swiss Medtech. Le secteur médical représente 80% de l’activité de cette PME de 80 collaborateurs spécialisée dans l’injection plastique. «C’est très important pour nous de suivre les réglementations sur les dispositifs médicaux et de savoir qu’on peut également poser nos questions à une association professionnelle.» Pour le chef d’entreprise, l’association est utile pour créer un réseau, surtout pour une société B2B comme la sienne. «J’ai également participé à des foires avec eux, mais je n’exploite pas tout le potentiel de cette adhésion par manque de temps. Il y aurait certainement plus à faire.»


Flou législatif

«Le cadre légal concernant le lobbyisme reste aujourd’hui encore flou», explique Odile Ammann, docteure en droit à l’Université de Zurich et spécialiste de la question. Seule la loi sur le parlement oblige les élus fédéraux à signaler leurs intérêts (art. 11). Chaque député peut donner un accès aux parties non publiques du Palais fédéral à deux personnes de son choix. Les «invités» – parfois permanents et lobbyistes – font l’objet d’une inscription dans un registre accessible au public, établi par les Services du parlement (art. 69, al. 2).

En 2015, le Neuchâtelois Didier Berberat, encore conseiller aux Etats, a déposé une initiative parlementaire (15.438) pour une réglementation destinée à instaurer de la transparence en matière de lobbyisme au parlement fédéral. La Commission des institutions politiques du Conseil national a accepté le projet en juillet 2020. Or aucune loi ne légifère précisément la pratique et aucune sanction n’est prévue. La Société Suisse de Public Affairs (SSPA) a établi un code de déontologie pour l’interprofession, mais les lobbyistes n’ont toutefois aucune obligation de s’affilier à l’association. Un rapport de Transparency International a notamment dénoncé ce «flou législatif» en février 2019.