Une expérience traumatique: c’est ce que ressentent nombre de sportifs professionnels en évoquant ces derniers mois de crise pandémique mondiale et son cortège de mesures sanitaires. Un sentiment qui fait écho à ce que vivent d’autres personnes actives dans divers secteurs de l’économie. Préserver son mental est donc plus que jamais une nécessité. L’étude «Swiss Corona Stress Study» fait d’ailleurs état d’une forte augmentation du nombre de dépressions en Suisse. La proportion de la population présentant des symptômes dépressifs graves est passée de 3% avant la pandémie à 18% en novembre dernier.

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Pour les sportifs de haut niveau, tout l’enjeu consiste à trouver des ressources, à conserver la motivation et à rester performants alors que les obstacles sont légion: confinements répétés, compétitions annulées, lieux d’entraînement peu accessibles. Certains d’entre eux ont passé plus de 40 tests PCR ces derniers mois tout en multipliant les quarantaines!

Quatre mois avant les Jeux olympiques de Tokyo – contre lesquels certaines voix s’élèvent aujourd’hui –, Lea Sprunger, double championne d’Europe sur 400 m et 400 m haies, Nino Schurter, champion olympique de VTT, et leurs entraîneurs plusieurs fois récompensés, respectivement Laurent Meuwly et Nicolas Siegenthaler, nous racontent ce qu’ils ont mis en place pour garder le cap. Avec pudeur et empathie, ces pros du sport évoquent ce qui les a aidés et ce qui les fait tenir.

1| Identifier les leviers de motivation

Les athlètes n’ont pas tous réagi de la même manière face au manque de perspectives, a pu constater Laurent Meuwly tout au long de l’année 2020. «Pour les compétiteurs qui ont déjà des médailles, ne pas avoir de but autre que le prochain entraînement, c’est très frustrant, note le Fribourgeois. Lors de l’annulation des Championnats d’Europe ou durant chaque fermeture des stades, j’étais prêt, avec une solution. Il faut montrer que le coach a déjà rebondi, ne pas laisser le temps aux athlètes ou aux collaborateurs de trop réfléchir.»

De son côté, Nino Schurter est revenu aux bases. «C’est sûr qu’on peut se demander pourquoi s’entraîner encore alors qu’il n’y avait plus de compétitions, interroge-t-il. Pour moi, c’est avant tout le plaisir d’aller dehors, tout simplement. J’ai mis en place une routine personnelle et tenté d’être créatif avec mon entourage.»

2| S’inspirer de la méthode Target

Pour accompagner sa douzaine d’athlètes, Nicolas Siegenthaler s’est inspiré notamment de la méthode Christian Target, préparateur mental de champions. «Target met la motivation et la confiance en soi au même niveau, commence le Biennois. Or la crise actuelle engendre une perte de confiance pour tous, y compris pour les athlètes qui ne peuvent plus faire ce qu’ils font habituellement. Il est donc logique qu’ils doutent et se demandent s’ils seront encore capables d’exploits.»

Le modèle Target est transposable au monde de l’entreprise. La motivation et la confiance sont portées par trois piliers: l’énergie, l’estime et l’émotion. Pour l’énergie, cela passe par l’alimentation, le sommeil, le soleil (pour la vitamine D), le mouvement. Cela semble anodin, mais depuis plusieurs mois, qu’on soit sportif ou employé, ces aspects sont quelque peu négligés. En ce qui concerne l’estime de soi, les tests comparatifs, les exercices spécifiques, les bilans ou les jeux peuvent aider.

Le troisième axe, celui de l’émotion, est plus délicat à encadrer. «Ne vous laissez pas prendre par l’émotion, poursuit le préparateur. Oui, les athlètes vivent un choc traumatique global. Mais ils ne sont pas les seuls. On doit être capable de relativiser, car on est tous dans le même bateau. Il ne faut surtout pas attendre que les choses reviennent comme avant, mais plutôt développer des solutions alternatives pour booster sa confiance.» En d’autres termes, fortifiez votre psychisme!

3| Chercher les clés pour booster sa confiance

Comment faire, dès lors, pour alimenter sa confiance? «Ce qui m’a aidé, c’est que les JO de Tokyo n’étaient pas annulés, mais reportés, souligne Lea Sprunger. Même si cela restait hypothétique, c’était une source de motivation. Je me suis dit que j’avais davantage de temps pour me préparer. J’ai saucissonné mon calendrier jusqu’à l’été 2021, avec de plus petits objectifs, plus précis, inhabituels parfois, avec des plans à court terme.» Le challenge des 13 foulées entre deux haies, soit une amplitude de 2 m 45 à chaque enjambée, réussi en juin 2020, fait partie de cette quête de motivation. La hurdleuse est devenue la première femme au monde à réaliser un tel exploit.

Nicolas Siegenthaler est admiratif de l’ingéniosité des athlètes, mais reste circonspect face à des solutions miracles. «C’est très difficile de s’entraîner sans savoir où on en est physiquement, ni où on va. Pour celui qui n’a pas de plaisir, c’est foutu, dit-il. C’est peut-être du côté de l’ego que la stimulation viendra. L’arrivée d’une nouvelle génération qui n’a pas encore gagné peut être une source de motivation pour les plus expérimentés.»

4| Générer de la motivation autour de soi

S’investir différemment, une bonne piste. «Normalement, pour un sportif, il est facile de trouver des buts motivants. Mais quand les compétitions ont été tout à coup annulées, c’était le vide, reconnaît Nino Schurter. J’ai pris davantage de temps pour les autres, pour mes sponsors, en créant des vidéos d’entraînement sur Instagram (573 000 followers) ou en réalisant des projets qui ne sont pas en lien avec le VTT. Le but est de trouver des activités qui vous rendent heureux, vous et les autres, car faire du bien, c’est aussi très motivant.» Nino Schurter a notamment multiplié les actions solidaires pour des associations caritatives (Laureus.com) et profite de passer son permis d’hélicoptère.

La capacité de chacun à gérer la crise est aussi une source de motivation pour son entourage professionnel. Avec la pandémie, on éprouve des baisses de régime et avoir un coéquipier pour échanger est un plus. Laurent Meuwly l’a bien compris. «Limité dans les entraînements en groupe, je formais des binômes différents chaque jour. Comme ça, les athlètes partageaient davantage. Ça a amené une émulation et une attente, chaque soir, pour savoir avec qui on s’entraînerait le lendemain.» Il a aussi mis en place des challenges internes entre sportifs, même à distance. «Cela leur donnait un marqueur et permettait de garder le cap au fil des mois, ajoute-t-il. Autre idée: je trouvais des lieux de préparation très attractifs, dans la forêt, sur des chemins de campagne, pour montrer qu’on peut s’entraîner partout.» Un ensemble de micro-stimulations qui, mises bout à bout, motivent et font avancer.

Nino Schurter, champion olympique de VTT, s’impose une routine personnelle.

5| Trouver des parades pour supporter l’isolement

Régulièrement en quarantaine, privés de rassemblements sportifs, les athlètes ont appris à vivre la solitude. «Je me suis retrouvée pendant plusieurs mois sans équipe, ni stade, ni entraîneur. J’étais livrée à moi-même, très souvent seule.  Il n’y avait personne pour me donner des feed-back directs, alors que j’avais la volonté de maintenir mon niveau. J’ai donc dû apprendre à analyser mes propres entraînements. Les salles de fitness étant fermées, j’ai fait avec les moyens du bord, en utilisant les chaises et les bancs de la cuisine», explique Lea Sprunger.

Un confinement qui a été encore plus strict en France, rappelle Nicolas Siegenthaler, qui suit un coureur de Versailles. «Il ne pouvait pas quitter son domicile au début. Pour s’entraîner, il sortait quand même et s’est retrouvé à faire des courses poursuites avec la police à moto. Il a ensuite reçu l’autorisation de rouler, mais cela a pris du temps, déplore-t-il. Beaucoup ont trouvé leur solution. Pour pouvoir continuer à rouler, un triathlète alsacien a pris un job de coursier à vélo. Il amenait les repas et faisait ainsi ses 150 kilomètres!» L’isolement accentue cependant le risque de se surentraîner, voire de se blesser, constatent les coachs. Le maintien d’un contact à distance avec un encadrement, aussi fréquent que possible, est donc essentiel.

6| Coacher ou se faire coacher, même à distance

«L’important est de faire en sorte que personne ne se sente oublié, insiste le technicien fribourgeois. Il s’agit de souligner les accomplissements, même ceux qui ne sont pas directement liés à des résultats.» Nicolas Siegenthaler a fait face à la démotivation d’une de ses protégées, alors en Afrique du Sud. «Avec la distance, il faut avoir encore plus d’empathie, estime-t-il. Une de mes athlètes a laissé son vélo de côté pendant plusieurs semaines. Lui mettre la pression ne servait à rien. J’ai écouté et proposé des objectifs à la baisse. Pour recommencer la compétition, plusieurs de mes coureurs ont participé à des courses moins difficiles. Car même si ce n’est pas une Coupe du monde, une victoire reste une victoire. Elle fait du bien pour la motivation.»

7| Se libérer mentalement des restrictions

Pour avancer, Lea Sprunger fait attention de ne pas se laisser submerger par des éléments sur lesquels elle n’a pas d’emprise. «C’est sûr que la logistique est devenue très lourde, avec des tests PCR parfois tous les trois jours. Cela a un coût et c’est pénible, concède la Vaudoise. Mais si ça permet d’assurer la sécurité de tous et de faire des compétitions, il faut le faire. Ce n’est peut-être pas ce que les gens veulent entendre, mais c’est actuellement la seule option.»

Une attitude qui a l’avantage de préserver son énergie, comme le confirme son entraîneur: «Le nombre d’obstacles que les sportifs doivent surmonter avec le covid les touche mentalement. C’est un traumatisme et je ne peux pas en dire les effets à long terme. Chaque voyage implique des quarantaines et plusieurs tests, en plus des contrôles antidopage. Cela pour trois jours de compétition. Et à l’arrivée, il faut performer. Alors oui, il faut être très motivé. Mon message est toujours le même: cette période permet de combler son retard sur les autres qui vivent aussi une crise. C’est l’occasion de se montrer plus fort encore.»

8| Rester performant, même en solitaire

Privés de public, les athlètes doivent également faire avec cette nouvelle donne. «Avoir des spectateurs qui crient à votre passage, ça vous pousse à aller plus loin. Ils vous transmettent de l’énergie. Mais c’est la même chose pour tout le monde», regrette Nino Schurter. Une triste réalité également pour la championne d’Europe: «Courir dans des stades vides quand on est habitué à une foule de spectateurs, c’est difficile. En plus, certaines compétitions ne servaient à rien, entre guillemets, car elles n’étaient pas qualificatives. J’ai eu de la peine à me transcender. Il a fallu apprendre à faire monter l’adrénaline autrement. Je me suis alors fixé des défis personnels ou techniques.»

Touchée par le Covid-19 à Noël, Lea Sprunger a décidé de ne pas s’apitoyer sur son sort. «Je gardais à l’esprit que par rapport à beaucoup de monde, je n’ai pas perdu mon emploi et que je peux faire ce que j’aime. C’est naturel de passer par des hauts et des bas. Il faut l’accepter. Mon fil rouge cette année a été d’apprendre à modifier mes plans et à trouver d’autres chemins pour arriver à mes objectifs»

9| Oser parler de ses doutes

Et si être motivé, c’était aussi oser évoquer ses doutes? Porter des équipes, alors que les perspectives sont réduites, c’est le pensum de nombreux managers aujourd’hui. La démotivation ne guette pas que les collaborateurs. Les dirigeants en sont également victimes, même si cette problématique est beaucoup plus taboue. Laurent Meuwly en est très conscient et partage ses propres questionnements. «Je prêche par l’exemple, insiste-t-il. J’explique régulièrement à mes athlètes que la situation me touche aussi. Ça aide tout le groupe à se projeter, à trouver des ressources et à mettre en place des étapes pour sortir de cette crise, ensemble.» Une approche très humaine qui fonctionne, puisque le Fribourgeois et ses talents ont trusté les podiums européens et mondiaux en 2020.