L’essentiel en trois points
  • La crise climatique, imputable aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, est étroitement liée à notre dépendance aux énergies fossiles, qui contribuent à plus de 80% aux émissions mondiales.
  • La transition vers les énergies renouvelables et l’électrification des activités humaines sont cruciales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais elle est confrontée aux défis de la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans un contexte géopolitique tendu.
  • Pour affronter simultanément la crise climatique et la crise énergétique, l’efficience énergétique et la sobriété joueront un rôle prépondérant pour équilibrer les besoins en énergie avec les moyens de production.
Le carbone au cœur de la crise climatique

La crise climatique que nous connaissons a démarré à l’ère industrielle et va en s’intensifiant en raison des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux activités humaines (voir graphique ci-après). Parmi ceux-ci, les deux principaux sont le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4), ce qui fait du carbone l’élément-clé de ces processus. En parallèle de l’augmentation des émissions, la destruction des puits de carbone à travers le monde, notamment par la déforestation et la dégradation des sols, empêche encore davantage d’absorber le carbone présent dans l’atmosphère. Cela renforce ainsi son accumulation et l’effet de serre associé.

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Les conséquences du changement climatique sont multiples et parfois irréversibles : perturbation du cycle de l’eau (sécheresses et inondations), fonte des glaciers et calottes glaciaires, disparition de milieux naturels, contribution à l’effondrement de la biodiversité, etc.

Quel rôle pour la Suisse dans la crise climatique ?

À l’échelle mondiale, malgré sa petite taille, la Suisse a une responsabilité et un pouvoir d’action important, comme le montre un rapport publié en 2022 par economiesuisse et le WWF (economiesuisse, 2022). Avec un peu moins de 50 Mt CO2-éq (équivalent CO2), les émissions domestiques suisses ne représentent que 0.1% des émissions mondiales. Pourtant, en tant que place économique et financière mondiale, la Suisse dispose d’un levier de décarbonisation plus de 25 fois supérieur à ses émissions nationales, par ses importations, ses activités commerciales à l’étranger, et les investissements de la place financière helvétique à l’étranger.

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© Romande Energie
Le défi de décarboner en temps de crise

Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris fixés en 2015 et limiter le réchauffement mondial moyen à +1.5°C par rapport à l’ère préindustrielle, une réduction massive des émissions de gaz à effets de serre est nécessaire. Or, plus de 80% des émissions mondiales de GES proviennent du CO2 émis par la combustion de charbon, de pétrole et de gaz fossile (voir graphique ci-dessous). Ces énergies fossiles forment aujourd’hui encore une part considérable du mix énergétique mondial, et sont toujours au fondement des activités économiques humaines.

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La décarbonisation de l’économie cache donc celle de la production d’énergie, qui passera par un développement massif des énergies renouvelables. Celui-ci pousse à son tour à une électrification à large échelle de la société et des activités humaines.

Or, le contexte géopolitique et économique actuel a rappelé la vulnérabilité du système énergétique, en Europe comme en Suisse. On citera notamment l’arrêt des importations de gaz russe associé à la guerre en Ukraine, l’arrêt en 2022-2023 de la moitié des réacteurs du parc nucléaire français, sans parler des sécheresses record qui affectent aussi la production hydroélectrique. La nécessaire transition du système énergétique se fait donc dans un contexte de forte pression sur l’approvisionnement en énergie, et la menace de pénurie est devenue bien réelle. La crise énergétique s’installe et demande d’agir avec une perspective globale de l’énergie, impliquant la production, mais aussi et surtout l’efficience et la sobriété.

Vers une Suisse neutre en carbone

Aujourd’hui, malgré le développement progressif des énergies renouvelables, la consommation d’énergie en Suisse est encore largement tributaire des sources fossiles. En 2022, environ 59% de la consommation d’énergie était couverte par des agents énergétiques fossiles (OFEN, 2023). Qui plus est, depuis le boom des trente glorieuses, la consommation d’énergie reste aujourd’hui à un niveau très élevé (voir le graphique ci-après).

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Pour répondre aux enjeux climatiques dans le domaine de l’énergie, la Suisse a voté en 2017 sa « Stratégie énergétique 2050 », qui vise une réduction progressive des émissions de CO2 pour arriver à 0 émission nette en 2050. Dans ce sens, les objectifs suivants ont été posés :

  • promouvoir le développement des énergies renouvelables en Suisse;
  • réduire la dépendance aux énergies fossiles importées ;
  • baisser la consommation d’énergie ;
  • augmenter l’efficacité énergétique.

Basées sur différents scénarios technologiques et sur cet objectif de 0 émission nette en 2050, les Perspectives énergétiques 2050+ de l’OFEN publiées en 2020 montrent que cette transformation est possible et économiquement viable. L’Association des entreprises électriques suisses (AES) a par ailleurs également publié une étude allant dans ce sens en 2022 (AES, 2022).

Développer massivement les énergies renouvelables

En termes de production, le développement des énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien) doit donc être drastiquement renforcé pour s’affranchir des énergies fossiles, et assurer au maximum la sécurité de l’approvisionnement, compte tenu de l’arrêt progressif de la production nucléaire suisse.

En septembre dernier, le Parlement a fixé des objectifs plus ambitieux que le Conseil fédéral. Au moins 35 TWh d’électricité issue d’énergies renouvelables devront être produits en 2035 (hydraulique non compris), et 45 TWh en 2050, contre les 17 TWh et 39 TWh proposés par le Conseil fédéral.

Dans cet objectif, une étude menée par l’UNIGE et l’EPFL a récemment exploré les scénarios de développement de la production pour atteindre les 35 TWh renouvelables en 2035, soit cinq fois plus que la production actuelle (sweet-edge, 2024). Le scénario misant sur la diversité technologique aura le plus de chances d’aboutir. Avec l’hydroélectricité comme socle de la production, différentes sources complémentaires devront être développées : installations solaires sur les toits et façades des bâtiments, parcs éoliens dans le Jura et énergie issue de la biomasse.

Les défis de l’électrification

Ce développement des énergies renouvelables devra se faire en parallèle d’une électrification massive dans différents domaines, transports et bâtiment en tête. Selon une étude sur la production d’électricité en 2050 menée par le Swiss Competence Center for Energy Research (SSCER-SOE, 2021), la demande en électricité augmentera ainsi de 30 à 50 % d’ici à 2050, en raison notamment de l’électrification des domaines du chauffage des bâtiments et du transport.

Les défis concernent aussi le réseau électrique lui-même. Celui-ci devra être développé pour absorber et distribuer cette nouvelle production décentralisée, constituée des multiples unités de production (solaires et éoliennes notamment) réparties dans le territoire. À ce titre, l’OFEN a également étudié des scénarios sur les effets de l’électrification sur les réseaux de distribution (OFEN, 2022). Il en ressort notamment que les besoins d’extension du réseau dans le scénario d’une forte électrification du système énergétique (scénario ZERO base) sont 2 à 2,5 fois plus élevés que dans le scénario d’une poursuite de la politique actuelle (PPA). De même, la consommation serait de 70% plus élevée.

Finalement, le stockage de l’énergie électrique devra également être développé pour tenir compte de la variabilité saisonnière et journalière de la production des sources renouvelables (voir l’article du 8 août 2022).

Efficience et sobriété en avant dans un contexte incertain

La transformation à opérer pour atteindre les objectifs fixés est d’une très grande ampleur, et sera contrainte par la raréfaction des matériaux nécessaires à la fabrication des installations techniques. Aussi, malgré les gains d’efficience de l’électrification (un moteur électrique est plus efficient qu’un moteur thermique), la question de la sobriété et de la réduction de la consommation reste primordiale. Si la pénurie a pu être évitée lors des deux derniers hivers, le besoin de réduire la consommation d’énergie n’en reste pas moins nécessaire. À ce titre, les communes et les acteurs privés ont aussi un rôle à jouer pour accompagner ces changements de société et de modes de vie aux différentes échelles.

Mathieu Pochon
© Romande Energie

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental

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