La durabilité se résume-t-elle principalement à la transition énergétique dans l’esprit des chefs d’entreprise avec qui vous échangez? 

Jean-Philippe Bonardi: Les deux questions sont évidemment très liées. La dimension énergétique est sans doute plus concrète; c’est d’ailleurs la préoccupation principale pour beaucoup de PME. Mais les entreprises doivent avoir une vision plus large et lier la question de la transition énergétique à une réflexion globale sur un modèle d’affaires durable. Cette approche permet aussi une réflexion sur les bénéfices non énergétiques des investissements, en envisageant la question de la transition énergétique de l’entreprise non seulement en lien avec les coûts, mais aussi avec les risques et la proposition de valeur (lire encadré). Dans notre centre E4S*, nous travaillons sur des outils qui permettront aux entreprises d’évaluer ces différents facteurs et de les intégrer concrètement dans leur démarche d’investissement.

Quels sont les axes prioritaires pour amorcer la transition énergétique d’une entreprise?

Un audit énergétique permet d’abord de savoir d’où l’on part et d’identifier les investissements qui pourraient être faits. Il est ensuite intéressant de mener une réflexion sur les bénéfices non énergétiques de ces investissements et sur la manière dont ils peuvent soutenir, voire pousser plus loin, la stratégie de l’entreprise. De là peut découler une réflexion sur la pertinence d’un nouveau modèle d’affaires dépassant la question énergétique; c’est une vraie démarche d’innovation. Le stade ultime est de réfléchir à un modèle d’affaires allant dans le sens d’une économie circulaire.

 

«Les PME doivent lier la question de la transition énergétique à une réflexion globale sur un modèle d’affaires durable.»

 

Les patrons de PME romandes ont-ils conscience de l’intérêt d’engager leur entreprise dans un modèle d’affaires plus durable? 

Oui. Mais, quelle que soit la taille de l’entreprise, on observe que ces questions restent très cloisonnées dans certains services ou départements, et finalement assez peu évoquées au niveau stratégique. Or, il est nécessaire que les questions de durabilité soient considérées au plus haut niveau de décision! Et il y a surtout beaucoup de risques à ne pas le faire; la dimension risques est d’ailleurs souvent un moteur du changement pour les entreprises.

Précisément, quels sont les risques pour les entreprises de ne pas entamer une transition énergétique?

D’abord des risques réglementaires: la volonté politique pousse les entreprises à se décarboner, à travers des mesures fiscales et des normes de plus en plus strictes en matière de pollution. Un outil de production vétuste expose par ailleurs les entreprises à des risques d’accident ou d’interruption de la production. Sans compter les risques en termes de réputation lorsque le service ou le produit devient incompatible avec les valeurs environnementales.

Quels sont les bénéfices non énergétiques pour les entreprises ?

Se pencher sur les bénéfices non énergétiques des investissements en faveur de la transition énergétique permet de pousser plus loin la stratégie de l’entreprise, grâce à une réflexion globale, au profit de la création de nouvelles opportunités. En ce sens, l’équipe de recherche E4S identifie trois points clés à prendre en considération:

  1. Les coûts: baisse des coûts de l’énergie grâce à des équipements moins gourmands, hausse de la productivité et moindre besoin d’équipements grâce à des systèmes plus performants, ou encore baisse des coûts d’élimination des déchets et baisse des coûts de maintenance.
  2. Les risques: diminution des risques réglementaires, des risques de réputation et des risques d’interruption de la production.
  3. La proposition de valeur: augmentation de la qualité des produits, hausse de la flexibilité des processus de production et de la capacité de production ou encore augmentation de la satisfaction des employés

Iriez-vous jusqu’à dire que les entreprises qui n’empoignent pas la question vont rater le coche? 

Elles vont certainement manquer des opportunités intéressantes et donc, à terme, être moins concurrentielles. D’où l’importance d’intégrer dans la réflexion tous les bénéfices potentiels.

Vers qui les patrons de PME peuvent-ils se tourner pour se faire accompagner dans leur démarche?

On peut toujours chercher de l’aide à l’extérieur, mais je suis persuadé que les compétences sont dans les entreprises elles-mêmes: il faut simplement provoquer la discussion et soulever les bonnes questions. Comme dans toute démarche stratégique, il faut d’abord se repenser soi-même en mettant autour de la table ceux qui font l’entreprise. Il est également essentiel d’aller au-delà des attentes de la clientèle pour prendre en considération toutes les parties prenantes afin de (re)construire la stratégie. Je pense ici aux salariés ou futurs salariés qui ne souhaiteraient plus travailler pour une entreprise jugée trop polluante. Ou encore à des activistes ou à des critiques sur les réseaux sociaux qui mettraient à mal la réputation de l’entreprise en raison de son impact sur l’environnement.

Les entreprises sont-elles suffisamment sensibilisées à ces enjeux?

Nous voyons en tout cas à travers E4S que les entreprises s’y intéressent. Nous discutons actuellement avec la CVCI pour imaginer ensemble comment diffuser l’information et proposer une méthode afin d’aider les entreprises dans leurs démarches de durabilité. Tout cela est très nouveau et on a besoin d’intelligence collective! L’un des buts du centre E4S est d’ailleurs de créer un écosystème pour réfléchir aux problématiques de durabilité, en intégrant les entreprises de toutes les tailles. Je suis également ravi d’avoir pu intervenir sur ces questions dans le cadre des «Rendez-vous des entrepreneurs», organisés par la BCV

* Enterprise for Society (E4S) est une initiative commune de l’Université de Lausanne, de l’IMD et de l’EPFL. La BCV a signé en 2021 un partenariat avec E4S.

 

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