«La panne de réveil. Hier soir, j’ai fini de composer dans mon studio à 3 h 30. Je n’ai pas entendu sonner ce matin. Après un premier café, la voix est bonne et les idées sont claires. C’est l’essentiel. Pas facile de se raconter; de se replonger dans mon enfance lunaire à Genève, de ma descente aux enfers à l’âge adulte, qui m’a fait côtoyer la rue, jusqu’à la renaissance et ma vie d’aujourd’hui. Celle d’un geek mélomane de 38 ans, passionné par les jeux vidéo qui compose pour les Studios Disney. Parfois, je ne vois plus le lien. Pourtant il existe. Mais par où commencer?

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Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été passionné de musique. Vers 7 ans, mes parents m’ont inscrit aux Cadets de Genève, une école de musique dans laquelle on me demandait de choisir un instrument. J’ai choisi le cor. J’aurais pu prendre la batterie, le tambour ou la guitare. Tout m’intéressait. Mais il fallait un instrument. Je n’ai jamais aimé les carcans. J’étais dans ma bulle, timide, sans trop de copains. Enfin, quelques-uns, avec qui j’ai monté plusieurs groupes de hard rock et de métal vers 13-14 ans.

J’aimais la musique, mais je n’ai jamais suivi d’école pour obtenir un diplôme. Je me suis lancé dans la vie sans filet. Là, j’ai 26 ans. J’ai ma vie tranquille et j’ouvre mon cybercafé. J’adore les jeux vidéo et les univers alternatifs qui nous font rêvasser. J’étais dans mon élément, mais l’affaire a pécloté assez vite. En parallèle, j’animais un podcast sur World of Warcraft. Il n’existait pas de musique libre de droit. Alors je composais. C’était pas mal suivi. Je postais les musiques sur SoundCloud, une plateforme de distribution audio.

Puis les problèmes me rattrapent. Je dois fermer le cybercafé, ma vie sociale s’effondre, je perds mon appartement. En octobre 2011, la rue devient mon domicile. Plus précisément ma voiture. Je vais de parking en parking. J’allume le chauffage toutes les heures pour dormir un peu. Je me rase dans le rétroviseur. Me lave à la fontaine. Je développe un TOC sur le niveau d’essence. Je ne mange pas tous les jours. Mais j’ai toujours mon ordinateur portable que j’alimente dans les cafés ou sur la batterie de ma voiture quand il y a du jus. Alors je compose.

Cette période va durer neuf mois. C’est encore très flottant dans ma tête. C’est comme si je n’étais pas là. J’avais touché le fond. Je ne pouvais que rebondir. Mes parents, qui ignoraient ma situation, ont fini par le savoir. Ils m’ont directement accueilli chez eux. Quel bonheur de ne pas avoir été jugé et de dormir dans un vrai lit! J’ai continué de composer et j’ai trouvé un travail dans les soins. J’y suis resté dix-huit mois.

J’ai alors 27 ans. On me propose un premier petit contrat pour composer la musique d’un jeu vidéo indépendant. C’était chouette, mais très mal payé. J’apprends par la bande que j’ai été repéré sur SoundCloud. Mes podcasts musicaux ont totalisé 400 000 écoutes. Les contrats (un peu mieux payés) s’enchaînent. Puis je rencontre Jean-Gabriel, mon associé, aujourd’hui chez Unique Horns Studios. Lui bossait dans la librairie TV, c’est-à-dire l’habillage musical des spots, séries, films. On est devenu potes et on a décidé de travailler ensemble. J’avais 33 ans.

Très vite, une première demande de musique commandée tombe. C’était pour la bande-annonce du remake de Casse-Noisette de Disney. Notre proposition musicale de Tchaïkovski passe. On a touché 50 000 francs. Après ça, tout s’est enchaîné pour nous. Les commandes, les placements de musique pour les jeux vidéo, le cinéma et les productions animées: Buzz l’Eclair, Batman 5, Star Wars, Les Indestructibles, Dumbo, Aladdin, Ça, Spider-Man. Mais aussi le studio de jeux vidéo Wolcon (League of Legends de Riot Games), l’enregistrement de l’Orchestre philharmonique de Prague, celui de Vienne… Et depuis là,
je me dis que tout est possible.»

Mehdi-Atmani
Mehdi Atmani