«Enfant, mon père m’a offert le plus beau cadeau qui soit: une profonde confiance en moi. A 12 ans, j’étais passionné de sciences. Chaque jour, le postier qu’il était m’écoutait dans notre cuisine familiale de Sion lui expliquer ce que j’avais compris en dévorant mes 12 volumes de vulgarisation scientifique. Sa qualité d’écoute m’a porté jusqu’ici. A l’époque, la science générait espoirs et fascination.

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Mes intérêts m’ont naturellement poussé vers une thèse en microbiologie à l’Université de Lausanne, puis sur un postdoc à Harvard, une expérience désinhibitrice qui m’a fait réaliser la qualité de ma formation suisse. Dans les années 1990, les premiers génomes complets de divers microbes, bactéries et virus ont été découverts, et notamment par la première start-up spécialisée que j’avais fondée. Ces découvertes m’ont permis de poser les bases de ce qui deviendrait ma start-up actuelle.

Le décodage génétique m’a obligé à passer d’une biologie de laboratoire à une biologie computationnelle. Je me suis mis à étudier le data mining, l’intelligence artificielle ou encore le machine learning, jusqu’à accumuler les fatidiques 10 000 heures de travail qui, selon la théorie de Malcolm Gladwell, permettent d’atteindre un niveau de compétence clé dans un domaine donné. Lorsque je voulais vulgariser mes recherches sur l’ADN auprès de mes collègues, je prenais des extraits de véritables textes pour rendre mes explications plus claires. Cela a finalement déclenché une révélation: pourquoi ne pas utiliser ces techniques pour authentifier des textes?

A l’occasion d’un changement hiérarchique, mes recherches ont été mises sur la touche à l’Unil. J’ai lancé OrphAnalytics en 2014, à 53 ans. J’ai choisi d’installer ma société dans l’incubateur valaisan The Ark. Notre objectif: transposer les techniques aiguisées en séquençant des génomes à la stylométrie, une sous-discipline de la linguistique dédiée à l’analyse des écrits et à leur authentification. OrphAnalytics, désormais basée à Verbier, se propose de répondre à une question simple: «Qui a vraiment écrit un texte donné?»

Nous utilisons des algorithmes capables de mesurer la syntaxe d’un texte et de la comparer à d’autres écrits. Cela permet de débusquer rapidement des plagiats ou des comptabilités truquées, mais aussi d’identifier le recours à des ghostwriters, d’authentifier des œuvres musicales, des tableaux ou encore de livrer des expertises judiciaires. Quarante amis et collègues m’ont aidé au financement de mon projet en investissant un total de 200 000 francs. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de biologistes, mathématiciens, physiciens ou informaticiens à travailler pour OrphAnalytics. Sans le covid, nous aurions atteint la rentabilité il y a deux ans, mais nous y parvenons aujourd’hui.

Notre mandat dans l’affaire Grégory nous a offert une formidable mise en lumière. Il s’agissait d’établir si les lettres anonymes envoyées aux parents de la petite victime avaient bien été écrites par un unique corbeau. Nous y sommes parvenus, mais le secret de l’enquête m’empêche d’en dire plus… Fin 2020, nous avons pu révéler que le mouvement complotiste QAnon n’était pas l’œuvre d’un unique fonctionnaire fédéral américain, comme l’affirmait la légende, mais d’au moins deux. Cela nous a valu une importante médiatisation, avec notamment un article dans le New York Times en février qui confirmait l’identification des deux auteurs de QAnon.

Ainsi, en 2021, nous avons été mandatés sur une dizaine d’expertises, soit autant qu’au cours de toutes les années précédentes. Notre outil multilingue intéresse diverses polices et administrations et pourrait aussi attirer des pays moins recommandables, mais nous tenons à le garder ancré dans nos valeurs de vérité, d’honnêteté intellectuelle et d’humanisme. Actuellement, nous nous concentrons sur des enjeux de cybersécurité et nous travaillons aussi à prévenir les dérives sur les réseaux sociaux, notamment les manipulations survenant parfois en période électorale.»