En Suisse, ils seraient environ 360 000 à se partager entre deux emplois. Une tendance en hausse puisque, il y a dix ans, on comptabilisait 289 000 «slasheurs» ou pluriactifs dans notre pays. Et le phénomène ne concerne pas que les indépendants ou les petits revenus. De plus en plus d’employeurs se retrouvent confrontés à cette demande lors des entretiens d’embauche, avec des candidats qui aspirent à un emploi fixe tout en ayant du temps pour développer un autre projet professionnel en parallèle. Témoignages.

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Ariane Scheidegger
Gérante d’un manoir et agente de voyages

Impossible pour Ariane Scheidegger de choisir entre son goût pour les voyages et la gestion du manoir familial de l’Oselière, bâtisse datant de 1890 dans le Val-de-Ruz (NE) transformée avec son mari. Passionnée d’escapades exotiques et de découvertes d’autres cultures, elle est agente de voyages IATA et s’occupe en parallèle de son bed and breakfast de haut standing (avec espace wellness privatif, sauna, hammam et spa) aux Hauts-Geneveys.

«Au début, c’était l’agence de voyages qui fonctionnait le mieux. Les gens pouvaient partir sans souci et suivre des circuits sur mesure au Myanmar, en Malaisie ou ailleurs. J’adore organiser des voyages et je travaille avec des agences locales dans chaque destination, note-t-elle. Créer un tour personnalisé prend du temps, mais ça me fait voyager toute l’année. Mais avec la pandémie, les chambres d’hôte du manoir et notre wellness ont pris le dessus.»

La demande pour les pays lointains ayant repris cet été, Ariane Scheidegger envisage désormais de fonder deux sociétés différentes. «Je suis en raison individuelle pour le manoir, mais c’est un peu risqué pour l’agence de voyages, ajoute-t-elle. Je vais donc créer une Sàrl pour cette activité, d’autant que la clientèle n’est pas non plus la même.»

Ce mode de vie apporte à Ariane Scheidegger la liberté dont elle a besoin. Acheteuse pendant dix-sept ans chez Johnson & Johnson, elle avait perdu son emploi lors de la délocalisation de son service à Prague. Devenue sa propre patronne, la Neuchâteloise apprécie de pouvoir gérer son emploi du temps. «Lorsque je veux partir en vacances, je ferme le manoir et cela ne m’empêche pas de continuer à organiser des voyages pour mon autre clientèle. C’est une sécurité, observe la Neuchâteloise. Financièrement, les revenus sont fluctuants, mais complémentaires, et je travaille toute l’année car le spa attire beaucoup de monde en hiver.»


Dominic Caso
Garagiste et apiculteur

Pour l’heure, Dominic Caso travaille à 80% pour le garage et consacre 40% de son temps à sa miellerie. Son but est de parvenir à du 50/50 à l’avenir.

© David Marchon

Pendant son adolescence révoltée, Dominic Caso rêvait déjà de saveurs fines. Ayant hérité du garage familial, dont il est l’un des trois associés, il vend des voitures depuis trente-quatre ans. L’homme aime la vente, un peu moins la pression de ce marché. Après un burn-out il y a dix ans, il se passionne pour l’apiculture dès 2017 et développe peu à peu un commerce de produits en lien avec les abeilles: la Miellerie des 3 Lacs. Aujourd’hui, le Vaudois possède 45 ruches dans le Vully, dont une partie chez un arboriculteur qui lui fournit des fruits pour confectionner des gelées, qu’il revend. Il fabrique également son nougat au miel et œuvre en outre comme éleveur de nuclei (des jeunes colonies avec une reine), un savoir-faire très recherché avec la disparition des abeilles.

«Je travaille à 80% au garage et à 40% pour la miellerie, mais mon but est de parvenir à du 50/50, explique Dominic Caso. J’en avais marre d’être dans un «métier à la con» avec un rythme où tout le monde exige des choses pour hier. L’apiculture me permet de me vider la tête. Je n’y connaissais rien. C’est passionnant, tant pour le suivi des abeilles que pour les questions légales et sanitaires. Je travaille en circuit court et c’est pour moi un véritable accomplissement personnel.»

Dominic Caso sait qu’il ne pourrait pas vivre complètement des revenus de l’apiculture, mais poursuivre à 100% dans la vente de voitures n’aurait pas été possible non plus pour son équilibre personnel. Ses associés ont tout de suite été informés de son choix et, pour eux, c’est un changement qu’ils considèrent comme positif.

«C’est quelque part une perte financière au début, mais je préférais être bien dans ma tête. Je suis beaucoup plus efficace au garage, ajoute le double patron. Ma deuxième activité grandit bien. Je vends 600 kilos de miel par an dans quatre points de vente et j’ai créé il y a deux ans une gamme de pâtes bios aux farines locales.» Dominic Caso a d’ailleurs d’obtenu le label d’or d’Apisuisse et continue à se former pour passer le brevet fédéral d’apiculteur, le stade ultime après la formation de deux ans auprès de la Fédération vaudoise d’apiculture.


Virginie Dolder
Entre mécanique et froufrous

En 2010, la Neuchâteloise reprend la Cordonnerie du Château, à Colombier, et imagine sa collection de sacs V-Dolder.

© David Marchon

Virginie Dolder a deux visages: celui de responsable des ventes dans une PME industrielle et celui de fondatrice d’une boutique d’accessoires de mode pour femmes et de maroquinerie. «Ce sont deux univers diamétralement opposés, l’un très masculin et l’autre très féminin, s’amuse-t-elle. C’est un bon équilibre.» 

Chez BBN Mécanique, fabricant de broches pour l’industrie, elle s’occupe des offres, de l’information à la production et des clients, dans un domaine aussi technique que la mécanique. Il y a douze ans, elle a lancé sa marque de sacs V-Dolder et ouvert le concept store Trois marches au-dessus à Colombier (NE) avec deux amies.

Sur le papier, elle partage son temps entre un 70% chez BBN et un 30% pour sa boutique. Sur le papier seulement, car le week-end permet de répondre aux sollicitations en lien avec son commerce. Un mode de vie qu’elle pratique depuis dix ans, parfois sept jours sur sept et sans jour de congé fixe. «La mécanique me permet de m’ouvrir sur un tissu économique énorme, avec des clients en Suisse et en Europe et des connaissances en ingénierie pointues. Les broches de BBN sont au cœur de nombreuses machines qui sont vendues ensuite partout sur le Vieux-Continent, se passionne-t-elle. A l’inverse, je me ressource dans ma boutique; c’est un microcosme, c’est plus créatif, le stress est différent. Surtout, c’est mon entreprise, mes décisions et un circuit court et simple à gérer.» Un grand écart très enrichissant dont elle ne pourrait se passer aujourd’hui.

Financièrement, les enjeux ne sont pas les mêmes non plus. Virginie Dolder trouve rassurant d’avoir un salaire fixe en tant qu’employée. Une sécurité qui lui permet de faire évoluer son affaire sans pression et de dégager un complément intéressant avec sa boutique. «Se lancer dans l’entrepreneuriat n’implique pas forcément de tout arrêter. On peut cumuler deux activités en parallèle. En tout cas, c’est un modèle que je recommande», conclut-elle.

TB
Tiphaine Bühler