Au printemps dernier, l’Espagne était le premier pays d’Europe à valider un avant-projet de loi prévoyant l’introduction d’un congé menstruel. Payé par l’Etat, il permettrait aux femmes de s’arrêter de travailler durant plusieurs jours en cas de règles douloureuses et handicapantes. La présidente des Jeunes socialistes suisses, Ronja Jansen, souhaite que Berne emboîte le pas au gouvernement ibérique. Aline Bœuf, doctorante en sociologie à l’Université de Genève et auteure de l’étude «Vivre son cycle menstruel dans le monde professionnel», analyse l’efficacité d’un tel congé, ainsi que le tabou des règles au travail.

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L’Espagne songe à introduire un congé menstruel, comme cela existe déjà au Japon, en Indonésie ou en Zambie. Toutefois, certaines craignent que cela ne stigmatise les femmes dans le monde professionnel.

Aline Bœuf: Pour ses partisanes, ce congé introduit une différence de traitement entre les femmes et les hommes, mais c’est une forme de discrimination positive, afin que la santé féminine et le cycle menstruel soient mieux respectés dans le monde du travail. Toutefois, je comprends celles qui craignent que ce congé ne devienne une source de stigmatisation. Dans l’histoire, les règles ont en effet servi de prétexte au rejet des femmes des activités professionnelles. Le sang menstruel était vu comme quelque chose de toxique, il fallait éloigner les femmes des denrées alimentaires, par exemple.

Vous avez interrogé dans le cadre de votre étude, en 2019, un panel de femmes actives en Suisse romande à ce sujet. Qu’ont-elles répondu?

La plupart ont trouvé le congé menstruel intéressant, tout en expliquant qu’elles ne le prendraient pas. Elles le trouvaient souvent inadapté car les douleurs des règles ne les concernaient pas ou parce qu’elles ressentaient des troubles (de l’humeur, de l’énergie) à d’autres moments de leur cycle. Elles jugeaient aussi ce congé en inadéquation avec la réalité professionnelle. Elles ne voyaient pas comment «lâcher leur équipe» ou bouleverser leur planning pour cela, surtout dans des secteurs comme celui des soins. Tout congé maladie était vu comme une sorte de dernier recours.

Le sujet divise aussi le monde médical…

Oui, certains médecins estiment qu’il est normal d’avoir un peu mal et de se reposer. D’autres jugent que le congé menstruel pourrait cacher des pathologies graves qui nécessiteraient une prise en charge. De plus, l’OMS reconnaît déjà les douleurs des règles comme des troubles pouvant justifier un congé maladie classique; un congé spécifique pourrait être redondant. Davantage qu’une mesure socialement et médicalement efficace, le congé menstruel est avant tout symbolique et politique.

Le congé menstruel aurait donc le mérite de mettre en lumière un problème?

Il permet en effet aux femmes de mieux prendre conscience de leurs propres expériences menstruelles et de faire exister ce sujet dans le monde professionnel, où tout cela est encore très tabou. Le sujet pourrait être davantage traité dans le domaine de l’ergonomie ou de la médecine du travail, par exemple, à l’instar d’autres thématiques récentes comme les maux de dos ou les troubles de la concentration. On adapte bien les horaires quand il fait trop chaud ou trop froid dans le secteur de la construction, pourquoi ne pas parler des règles?

D’autant plus que votre recherche a montré à quel point le cycle menstruel avait une importance dans le quotidien des femmes au travail…

Oui, les femmes que j’ai interrogées ont développé diverses tactiques pour mieux vivre ces variations de leurs cycles, au travers de la gestion de leur emploi du temps ou du choix des activités, par exemple, ce qui d’ailleurs est plus facile dans le secteur tertiaire. Elles essaient aussi de pratiquer le télétravail quand elles ont leurs règles, afin d’aménager des temps de repos, notamment. Elles prennent des antidouleurs, bien sûr, et se confient parfois à des collègues, surtout si ce sont des femmes.