Monsieur Normand, il y a une guerre en Europe, une crise énergétique et de l'inflation. La durabilité a-t-elle encore sa place?

Beaucoup de choses ont changé au cours des cinq dernières années. Il y a eu un grand déplacement des intérêts. Il y a cinq ou six ans, lorsque je parcourais la Suisse, les CEO me disaient: «La durabilité? C'est un bon projet.» Mais ce n'est justement pas un projet, car un projet peut échouer. La durabilité est quelque chose qui doit être intégré dans la stratégie de l'entreprise.

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Il faut donc un changement de mentalité dans notre économie globale?

Absolument. Le modèle de concurrence sur lequel nous avons construit l'économie au cours des 400 dernières années vise à maximiser les profits à court terme au détriment des ressources. Il est déconnecté des défis mondiaux. Ce système n'offre aucune réponse aux questions sociales et environnementales urgentes telles que l'inégalité des richesses, le changement climatique et les troubles sociaux.

De la shareholder value à la stakeholder value, comme le demandait déjà la Business Roundtable?

Exactement. Auparavant, il s'agissait toujours de maximiser les bénéfices, maintenant c'est l'impact qui est au premier plan. Et c'est là que nous intervenons avec le B Movement.

Comment exactement?

Chez B Lab, nous soutenons les entreprises, notamment avec la certification B Corp. Avec le B Impact Assessment, nous leur fournissons un instrument qui leur permet de mesurer et d'améliorer la durabilité dans l'entreprise.

Et comment B Lab vérifie-t-il que ce que les gens inscrivent est effectivement vrai?

Le B Impact Assessment contient déjà une obligation de rendre des comptes. Parallèlement, nous avons plus de 200 analystes qui auditent et vérifient le processus. Lorsqu'elles sont invitées à le faire, les entreprises doivent fournir des preuves pour certains critères. 

Mais si je regarde la liste des B Corporations certifiées en Suisse, il s'agit en majorité de petites entreprises. Est-il plus facile pour elles d'atteindre les objectifs?

En moyenne, une PME a besoin de six à huit mois pour obtenir une certification. A titre de comparaison, Nespresso a eu besoin de trois ans, sur la base de la vérification de 14'000 enregistrements. Pour une PME moyenne, il y en a environ 150 à 240.

Y a-t-il d'autres grands acteurs qui cherchent à obtenir une distinction B Corp?

Il y en a beaucoup: Patagonia, Danone, Nespresso. Récemment, Givaudan a également exprimé son intention de devenir une B Corp. Mais avec 19 000 collaborateurs dans 15 pays, cette certification prendra nettement plus de temps.

Y a-t-il un secteur qui compte le plus de B Corp?

Jusqu'à présent, nous couvrons 158 secteurs industriels différents. De la pêche à la transformation du bois en passant par les entreprises financières. De ce point de vue, non. Il n'y a pas un seul secteur.

Les entreprises évoluent au fil du temps. Comment gérez-vous cela?

Chez nous, il n'y a pas de tampon «B Corp certifiée» et c'est tout. Les entreprises doivent toujours s'améliorer. C'est pourquoi notre certificat a une date d'expiration: les entreprises doivent se soumettre tous les trois ans au processus de recertification.

Cela permet aux entreprises de communiquer régulièrement sur leur engagement en faveur du développement durable.

Nous voulons que les entreprises s'inspirent les unes des autres. La communication en fait partie.

Dans quelle mesure cette communication est-elle également motivée par des considérations politiques?

Aujourd'hui, la durabilité n'est pas seulement ancrée dans la communication, elle est intégrée dans la stratégie. L'opinion politique en fait également partie. En fin de compte, les membres des C-Levels devraient également être des activistes. Comme l'entreprise américaine Patagonia: le propriétaire Yvon Chouinard a toujours fait du lobbying pour ses thèmes et a influencé la politique. 

Cela signifie que les C-Levels doivent aujourd'hui s'exprimer politiquement, que la discrétion suisse appartient au passé?

Le monde de l'économie a changé. Les CEO doivent aujourd'hui être publics. S'ils ne le sont pas, ils ne savent pas ce qui se passe. C'est la nouvelle normalité. Les entreprises jouent aujourd'hui un rôle important dans la résolution des problèmes sociaux et environnementaux.

Et gagnent en plus en renommée et en prestige?

C'est aussi le cas. Mais en même temps, elles gagnent aussi un meilleur accès au marché. De meilleures affaires et de meilleures opportunités.

Donc, en fin de compte, c'est la maximisation des bénéfices qui est en jeu?

Je ne suis pas un évangéliste en la matière. Il s'agit de pragmatisme. Il s'agit de changer la manière dont les entreprises fonctionnent. De changer le comportement, la structure et la culture du capitalisme. Si cela génère un bénéfice, tant mieux, car la durabilité est aussi une opportunité commerciale. Et les entreprises saines et durables ont un impact positif sur notre monde.

Et le monde a aussi besoin de cela.

Oui, absolument. En tant qu'ancien mathématicien, je suis choqué à la lecture des chiffres et des faits concernant le climat. Il est temps que nous fassions entendre la voix des scientifiques. Au début, nous ne les avons pas beaucoup écoutés. Mais maintenant, avec toutes ces canicules, ces inondations et ces incendies de forêt, les gens se réveillent. Et pourtant, il ne se passe toujours rien! Pourquoi? En raison des intérêts économiques.

Et que peut faire la Suisse, pays relativement petit?

La Suisse compte de nombreux grands négociants en matières premières et est une grande place financière. Si la Suisse change les règles du jeu et introduit la durabilité, elle aura une influence mondiale sur son développement. La Suisse ne doit pas se contenter de parler, elle doit prendre des mesures. C'est la seule voie vers un avenir durable.

Tina Fischer
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Lena Madonna
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