Au printemps dernier, Elon Musk a dit… Pardon, j’interromps, parce que déjà, j’adore cette phrase. Avant, on citait Lao Tseu, Khalil Gibran, Nietzsche, Churchill ou Albert Camus, maintenant on cite un vendeur de voitures. Bref, Elon Musk a dit… enfin non, il n’a pas dit parce qu’on ne dit plus rien, aujourd’hui on envoie un mail ou on tweete et dans la foulée tant qu’à faire, on rachète Twitter. Donc on reprend, on va y arriver, Elon Musk a envoyé un mail à son personnel avec comme objet «Le télétravail n’est plus acceptable», suivi du texte suivant: «Toute personne qui souhaite travailler à distance doit être dans le bureau pour un minimum de 40 heures par semaine ou partir de chez Tesla.» Certains ont fait remarquer que le travail en présentiel au bureau était un concept dépassé. Réponse du chef d’entreprise: «Ils devraient faire semblant de travailler ailleurs.» Wow, avec la fusée, ils sont peut-être entrés dans l’espace, mais ils ne sont pas sortis de l’auberge.

également interessant
 
 
 
 
 
 

La question qui sous-tend ces propos provocateurs est: y a-t-il des gens qui profitent du télétravail pour glander? La réponse est oui, évidemment, tout comme il y a des gens qui profitent de glander au bureau. Des personnes qui n’en foutent pas une, il y en a toujours eu et il y en aura toujours un nombre incompressible. Que ce soit au bureau, à la maison, au coworking, au bistrot, dans le train et surtout dans leur tête. Certains développent même une vraie science de la glande, je me souviens d’un collègue (c’était il y a trente ans, il y a prescription) qui arrivait bruyamment vers 9 h 30 afin que tout le monde constate qu’il était là, qui s’affairait un moment, remuait les affaires sur son bureau, laissait sa veste sur la chaise, ce qui laissait croire qu’il était dans la maison, et… se barrait pour la journée. Revenant le soir tout aussi bruyamment pour signifier que le dur labeur se terminait, et se finissait tranquillou à l’apéro sur une terrasse voisine. Moi je dis respect.

Mais sérieusement, comment définir la paresse au travail? La personne qui est en costume-cravate, au bureau, et qui surfe sur Insta toute la journée, bosse-t-elle mieux que moi qui suis en pyjama avec mon chat sur les genoux? L’employé qui est au taquet dès qu’il y a une séance avec des chefs et qui envoie des mails à 23 heures pour montrer qu’il est sur le pont jour et nuit, mais qui n’en fiche pas une brique le reste du temps se contentant de relayer le boulot des autres (très tendance le reporting), est-il plus profitable à l’entreprise qu’un employé qui produit à fond six heures par jour au lieu de huit, et qui profite des deux autres heures pour s’occuper de son enfant ou faire du sport?

Le débat se pose désormais frontalement puisque nous assistons, en particulier chez les jeunes générations, au phénomène du quiet quitting, en français «démission silencieuse». A savoir, faire uniquement ce que prévoit son descriptif de poste, et rien de plus. Désormais, lorsque l’on demande: «Est-ce que tu pourrais…?», on entend beaucoup la réponse: «Ce n’est pas dans mon cahier des charges.» Les gens se barrent à 17 h 30 et ne se culpabilisent pas si on leur dit, comme on le faisait avec nous: «Tu prends ton après-midi?» C’est une forme de désengagement, une manière de quitter mentalement son travail et de signifier qu’il n’y a pas que le boulot dans la vie.

J’avoue que je peux comprendre. Quand on voit que des entreprises virent les parents de 55 ans après trente ans de boîte, et engagent les enfants de 25 pour des stages non payés, on se dit: «Bon, on va pas se mettre en burn-out pour ça.» Qu’il faille sortir du rapport névrotique et dévorant au travail et rééquilibrer sa vie, c’est une évidence. Le problème, c’est comme en amour: sans passion, à terme, on risque de s’ennuyer un peu. Et puis imaginez, vous avez un accident et vous espérez ou plutôt vous attendez qu’on vous sauve la vie. Si on vous répond: «Ah! j’ai fini mon horaire» ou: «Ah! c’est pas dans mon cahier des charges», c’est quand même un peu emmerdant.

Il faut donc trouver quelque chose que nous connaissons et pratiquons fort bien: un compromis helvétique. Oui, un truc hybride. Mmmh... mais ça, ça devrait plaire à Elon Musk.