Lauréate du Veuve Clicquot Bold Future Award, une distinction reçue en septembre dernier à Zurich devant un parterre d’entrepreneuses, la Chaux-de-Fonnière Fanny Queloz est l’incarnation de ces femmes combattantes. Tomber ne lui fait pas peur. Diriger dans un monde aussi masculin que l’horlogerie non plus. Elle a su ne pas faire cas des critiques et des remarques déplacées pour se relever à chaque fois, en empruntant d’autres voies. Une résilience qu’elle a acquise en hippisme lorsqu’elle pratiquait le saut d’obstacles au plus haut niveau, un univers également très masculin. A son actif: cinq participations au prestigieux CHI-W de Genève.

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Reprise de l'entreprise familiale

Une force de caractère bien utile dans l’horlogerie de luxe. Avec son frère Julien, elle a cofondé Arts & Design, une manufacture qui décore, grave et peint des montres de très haute complication. Titane, or, bois précieux, météorite, nacre ou saphir passent entre ses mains expertes et celles de son équipe, des heures durant. Un métier d’art qu’elle a appris dans l’entreprise de ses parents, Opal Créations. «A 18 ans, j’effectuais mes premiers stages, plutôt dans l’administratif, mais très vite ce sont les ateliers et la gravure qui m’ont intéressée», se souvient la jeune femme de 32 ans. Elle complète sa formation par des études en gemmologie, ayant ainsi toutes les cartes en main pour sublimer bijoux et garde-temps des plus grandes maisons horlogères.

Cependant, comme la vie est rarement un long fleuve tranquille, la société de ses parents subit les revers d’une clientèle parfois versatile. Erreur de gestion et manque de liquidités les poussent à la faillite. En 2019, Fanny Queloz et son frère ne peuvent se résoudre à tourner la page de cent ans d’histoire. «Ces savoir-faire, ces emplois, une vingtaine à l’époque, on devait agir!» lâche-t-elle avec la spontanéité qui la caractérise.

La jeune femme crée une nouvelle société avec un troisième actionnaire, Valérien Jaquet, de Concepto Holding, PME d’une centaine de collaborateurs fabriquant des mouvements et avec laquelle les synergies sont nombreuses. «Il a fallu expliquer la situation aux clients, aux fournisseurs, les fidéliser ou regagner leur confiance, poursuit-elle. On a sauvé dix emplois, dont celui de la personne qui m’a appris à graver. Il est là depuis trente ans. Juste après, il y a eu le covid. Par chance, les commandes ont été maintenues. Aujourd’hui, on est dans un pic de demandes, c’est presque affolant.» Certains clients souhaitent des personnalisations uniques sur la carrure, le verre, la boucle… La majorité des œuvres nécessitent plusieurs semaines de travail, entièrement à la main.

Dans l'ombre des grandes marques horlogères

Cette récompense, c’est donc à la sous-traitance horlogère que Fanny Queloz la dédie. En participant à ce concours, sous l’impulsion de l’entrepreneuse Babette Keller Liechti, ancienne lauréate du Prix Veuve Clicquot, la graveuse d’art a voulu mettre à l’honneur les artistes de la haute horlogerie. «Nos métiers sont dans l’ombre des grandes marques horlogères, pointe-t-elle. On ne peut généralement ni prendre en photo ni signer nos créations. Nous sommes tenus à la confidentialité. Ce prix est une manière de les mettre tous en lumière.»

Au quotidien, un soin particulier est apporté à chaque pièce. La concentration est intense, avec le binoculaire, pour sculpter une aiguille ou pour déposer sur un mouvement une microgoutte de peinture, à l’aide d’un pinceau à un seul poil. Les mains habiles de l’équipe d’Arts & Design sont polyvalentes et capables de magnifier n’importe quel élément d’une montre. «Nous avons développé en 2021 des outils pour graver le saphir, encore plus dur que le titane, glisse Fanny Queloz. Nous avons également collaboré avec l’Ecole du bois de Bienne pour créer un bois densifié venant de nos régions. Il a été breveté. Ce matériau écoresponsable extrêmement dur et stable peut ensuite être gravé à la perfection.»

Jeu de techniques et de matières, l’art centenaire du design horloger est au-devant de la scène, un instant. Si Fanny Queloz est désormais plutôt en contact avec la clientèle, elle continue à créer, une manière de se ressourcer pour elle. En ce moment, elle décore un mouvement d’un système solaire à la micropeinture. «Je suis plutôt hyperactive, avoue l’entrepreneuse. Mais quand je suis à l’établi, je rentre dans une sorte de méditation et je ne vois pas les heures passer.»

 

TB
Tiphaine Bühler