A l’origine, il s’agissait de se faire un coup de pub. Au Salon de l’auto de Genève 2016, les Ouboter et leur entreprise Micro Mobility Systems, inventeurs de la trottinette pliable à la fin des années 1990, exposaient le prototype de la Microlino, un quatre-roues électrique, en clamant haut et fort: «Ceci n’est pas une voiture!» Surpris par l’enthousiasme général et par les encouragements d’un Alain Berset de passage sur leur stand, Wim, le père, et ses deux fils se sont rapidement rendus à l’évidence: «Nous avons identifié presque par hasard un besoin auquel il s’est agi de répondre», racontent Merlin, 27 ans, et Oliver, 28 ans, désormais aux commandes du projet.

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Six ans plus tard, quelques dizaines de véhicules roulent enfin sur les routes suisses et 200 devraient être livrés d’ici à la fin de l’année, avant de passer à un rythme plus soutenu – l’entreprise annonce 5000 véhicules pour 2023 et quelque 10 000 à 12 000 en 2024. Si tout se déroule comme prévu. Car le développement et la mise en production du véhicule en forme de bulle n’ont pas, jusqu’ici, été une sinécure.

L'Isetta, de BMW, source d'inspiration

Les deux frères nous reçoivent à Meilen (ZH), dans un atelier où l’on produisait autrefois du sirop et qui leur sert désormais de show-room. On aperçoit l’Isetta, le véhicule emblématique de BMW, mi-voiture, mi-moto, produit dans les années 1950 et qui a servi d’inspiration à la Microlino, comme d’ailleurs d’autres voiturettes en forme de bulle datant de cette époque. Dans un coin du local, plusieurs versions du véhicule électrique des Ouboter sont exposées, à commencer par le premier prototype, mais aussi un modèle de démonstration avec lequel Merlin nous conduira à la gare après notre entretien.

On voit aussi les autres produits de l’entreprise, à commencer par les trottinettes pliables emblématiques qui, dans les grandes années, se vendaient par millions avec des pics à 80 000 pièces fabriquées chaque jour! Des produits qui constituent la plus grande part des 80 millions de chiffre d’affaires annuel. Ce qui permet à la famille Ouboter de financer intégralement le développement de la Microlino, mais aussi la chaîne d’assemblage du véhicule à Turin, chez son partenaire Cecomp, sur laquelle travaillent actuellement une cinquantaine d’ouvriers. Un chiffre appelé à doubler ces prochains mois.

Les deux frères, qui vivent dans le même appartement au centre de Zurich, forment un tandem inséparable. Oliver, l’aîné, a étudié à l’Université de Saint-Gall, mais il a interrompu son cursus après son bachelor pour se consacrer à 100% au projet Microlino. Merlin, le cadet, a commencé une formation en management du design à l’Université de Lucerne, mais il a très vite renoncé à ses études. Au grand dam de Madame Ouboter mère, par ailleurs directrice des finances de l’entreprise. «Je l’ai encouragé dans cette décision, confesse Wim Ouboter. Ce n’est pas habituel venant d’un père, mais je pensais qu’il fallait qu’il soit partie prenante du projet dès les débuts. Surtout que l’aventure Microlino lui tenait vraiment à cœur.»

«C’est d’abord leur projet. Je ne suis pas du genre à jouer les patriarches. La manière dont la transmission de l’entreprise se passe me rend infiniment heureux.»

Oliver est plus spécialement chargé des opérations et des affaires juridiques. «Il sait garder la vue d’ensemble et possède un indubitable talent pour la diplomatie, indispensable dans les affaires», raconte le père. Merlin, lui, s’occupe du marketing et de la négociation avec les distributeurs (en Suisse, AMAG). Il n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis et à aller de l’avant. «Ce que je respecte beaucoup. Il est très entier et ne lâche jamais. Dans les discussions, il vaut mieux être de son côté», poursuit Wim Ouboter, qui ajoute: «C’est d’abord leur projet. Je ne suis pas du genre à jouer les patriarches. La manière dont la transmission de l’entreprise se passe me rend infiniment heureux.»

La famille Outboter dans les premières années de l'aventure Micro Mobility Systems.

La famille Ouboter dans les premières années de l'aventure Micro Mobility Systems.

© DR

Mais revenons un peu en arrière. L’aventure Microlino aura été la meilleure (et la plus dure) des formations, on peut le dire. A l’origine, c’est la lecture de l’étude sur la mobilité 2025 de l’Université de Zurich qui va encourager les Ouboter à persévérer dans ce qui peut paraître un projet un peu fou. Et les deux frères de citer quelques données moyennes en appui de leur vision: en ville, les voitures traditionnelles ne transportent que 1,2 passager par véhicule, elles roulent à 30 km/h et ne dépassent pas la plupart du temps une distance de déplacement de 35 kilomètres. Conclusion: on peut, pour répondre aux besoins de mobilité des citadins, parier sur des véhicules beaucoup légers, plus écologiques et moins gourmands en espace. Et d’ajouter un chiffre: à elle seule, la batterie des gros SUV électriques omniprésents dans les rues de Zurich pèse plus que le poids de la Microlino. Y compris deux passagers. CQFD.

Un véhicule qui «n’est pas une voiture»

A l’automne 2019, alors que l’aventure semble bien partie, Micro Mobility Systems est pratiquement dépossédée de son projet par le patron de l’entreprise automobile allemande Artega, qui vient de mettre la main sur l’entreprise TMI, le partenaire italien des Ouboter. Une affaire digne d’un polar et qui va considérablement ralentir le lancement de la Microlino. Après une bataille judiciaire épique, les Zurichois trouvent un arrangement et reprennent presque à zéro le développement de leur véhicule, rebaptisé Microlino 2.0. Ils en profiteront pour l’améliorer et pourront, pour ce faire, compter sur Peter Müller, un vétéran de l’industrie automobile passé par Porsche et BMW et désormais directeur technique de l’entreprise. «Sans lui, confie les Ouboter, rien de cela n’aurait été possible.»

Si, avec ses 435 kilos (sans la batterie) et une motorisation qui limite sa vitesse à 90 km/h, la Microlino peut paraître frêle, si elle se présente comme un véhicule qui «n’est pas une voiture» et pour lequel un permis moto suffit, le châssis tout d’une pièce en alu et en acier est, lui, réalisé avec les mêmes techniques que celles utilisées pour une automobile traditionnelle – présentant donc les mêmes avantages de sécurité. Toutefois, ce bijou au design irrésistible a son prix. Le produit de base coûte 14 900 francs. Il est équipé d’une batterie d’une autonomie de 91 kilomètres. «Les modèles commandés et produits jusqu’ici, une série limitée baptisée Pioneer, sont vendus, eux, 21 000 francs», précise Merlin. Ils permettent d’atteindre 177 kilomètres sans recharge grâce à une batterie de 10,5 kWh.  «L’an prochain, avec une batterie plus puissante, nous pourrons garantir une distance de 230 kilomètres.»

«Pour aller à la montagne ou pour de plus longs déplacements, les transports publics, le car sharing ou la location feront amplement l’affaire.»

A titre de comparaison, l’Ami de Citroën coûte, lui, quelque 8900 francs. Mais justement, rétorquent les Ouboter, il ne se classe pas dans la même catégorie de véhicule. Avec une vitesse maximale de 45 km/h, une carrosserie en plastique, il peut, en France, être conduit sans permis. Les Ouboter, eux, se positionnent dans une catégorie supérieure (L7e pour les experts) et ils ne visent pas seulement un marché dit premium. Ils veulent aussi cocher toutes les cases en matière de durabilité: «Les propriétaires d’une Microlino pourront la garder sans problème pendant dix ou quinze ans», promet Merlin.

Wim Ouboter, l'inventeur de la trotinette pliable, adore travailler en famille. Ici avec ses deux fils.

Wim Ouboter, l'inventeur de la trotinette pliable, adore travailler en famille. Ici avec ses deux fils.

© DR

Les frères Ouboter sont bien conscients de s’attaquer à un marché de niche. Mais, dans leur vision de la mobilité, il ne fait aucun doute que ce type de véhicule est appelé à être vendu en masse. Il faut simplement que les mentalités évoluent – les conditions-cadres aussi. Dans un premier temps, donc, la grande majorité des clients de la Microlino l’achèteront sans doute comme deuxième «voiture». A plus long terme, les Ouboter parient sur une dynamique de remplacement, puisque les véhicules électriques légers répondront à plus de 90% des besoins des habitants de la ville et des zones périurbaines. «Pour aller à la montagne ou pour de plus longs déplacements, expliquent Oliver et Merlin, les transports publics, le car sharing ou la location feront amplement l’affaire.» Et à des coûts inférieurs à ceux d’une voiture traditionnelle en propriété.

Une analyse partagée par le professeur Vincent Kaufmann, spécialiste des transports et directeur du Laboratoire de sociologie urbaine à l’EPFL, qui relève au passage ce paradoxe: «On observe une sacrée vitalité de l’innovation en matière de mobilité électrique urbaine. Et un manque cruel de dynamisme dans tout ce qui touche aux transports de longue distance.»

Mais, pour que leurs véhicules deviennent mainstream, il faudrait que les pouvoirs publics leur accordent les mêmes soutiens qu’aux voitures électriques de poids et de taille standard. Les Ouboter dénoncent volontiers une inéquité de traitement dans un pays comme l’Allemagne, qui subventionne actuellement l’achat d’une automobile électrique jusqu’à hauteur de 6000 euros. Encore faudrait-il que cette nouvelle catégorie de véhicule ait une existence propre. C’est ce que la conseillère nationale zurichoise PLR Regine Sauter souhaite souvenir dans une interpellation parlementaire récente. Un geste politique que Merlin et Oliver applaudissent des quatre mains. Leur conviction:  la Microlino est promise à un grand avenir.

Bio express
  • 1994 et 1995 Naissance d’Oliver puis de son frère Merlin, à Zurich. Leur père, Wim Ouboter, est l’inventeur, en 1997, de la trottinette pliable.
  • 2015 Genèse du projet Microlino, qui prend véritablement forme après le Salon de l’auto de Genève 2016. 
  • 2022 Livraison des premières Microlino,  Actuellement une vingtaine de véhicules sont produites par semaine. Objectif pour 2023: 5000 véhicules.
Weisses Viereck
Alain Jeannet