Statistiquement, ce n’est qu’un petit pas. Symboliquement, c’est une grande avancée. Désormais, le métier de peintre attire davantage de jeunes femmes que de jeunes hommes en Suisse. Ce constat, qui ressort de discussions avec plusieurs responsables de la formation professionnelle au sein et à l’extérieur de la branche, est étayé par les résultats de la dernière édition du concours SwissSkills: en 2022, sur les 13 jeunes qui concouraient dans la catégorie «peintres», 12 étaient de sexe féminin.

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En soi, que des métiers traditionnellement masculins se féminisent n’est pas nouveau. Depuis quelques années déjà, les chiffres montrent que les campagnes visant à casser les barrières de genre dans certaines branches professionnelles commencent à porter leurs fruits; la part des adolescentes et des jeunes femmes se lançant dans la mécanique, l’électronique, l’ingénierie, la viticulture ou encore la police – pour ne citer que quelques exemples – augmente. Mais ce qui est marquant dans le cas des peintres, c’est le renversement de vapeur: de métier «de mecs», il est devenu un métier «de nanas».

Décloisonnement des professions

Interrogé sur les raisons de ce «shift», un enseignant dans une école professionnelle technique bernoise commente: «Grâce aux campagnes spécifiques mais aussi aux changements sociétaux, de nombreuses adolescentes se décomplexent et refusent de se laisser imposer un type de métier plutôt qu’un autre; je constate notamment un intérêt grandissant pour les métiers du bâtiment.» Reste que «les jeunes femmes ont tendance à privilégier ceux d’entre eux qui sont physiquement un peu moins pénibles, peinture en tête».

Déléguée jurassienne à l’égalité entre femmes et hommes, Angela Fleury se réjouit de cette évolution vers un décloisonnement des professions. Dans son canton, «le tissu industriel particulièrement dense a besoin de tout le savoir-faire technique qu’il peut trouver», rappelle-t-elle. Depuis une dizaine d’années, son service s’investit très activement pour la promotion des «métiers techniques au féminin», à travers de nombreuses actions et campagnes. Un engagement qui montre déjà des résultats.

La tendance «Nous observons notamment que, depuis quelques années, davantage de filles s’inscrivent aux formations dans l’informatique, la polymécanique et la micromécanique.»

Selon Angela Fleury, l’avènement de l’industrie 4.0 a rendu un sacré service aux promoteurs de l’égalité sur le terrain professionnel. «Prenons l’exemple de la mécanique: avant, ce domaine était considéré comme ‘sale’ par de nombreuses jeunes femmes; désormais, on peut l’associer à la digitalisation, ce qui lui donne une tout autre connotation auprès des adolescentes.» Par expérience, la spécialiste sait néanmoins que ce qui marche le mieux en matière de sensibilisation aux métiers traditionnellement masculins, ce sont les modèles. «Et ces ‘filles qui parlent aux filles’, nous en manquons encore.»

La précarisation des métiers féminins

Convaincue elle aussi de l’efficacité des rôles modèles pour faire tomber les stéréotypes de genre dans le monde professionnel, Andrea Delannoy a fondé en 2018 MOD-ELLE. Le concept est simple: en partageant leur parcours professionnel avec les jeunes – notamment lors de visites dans les classes de l’école obligatoire –, des femmes les inspirent et «les incitent à considérer un éventail de carrières plus large», explique la présidente de l’association.

Si elle constate une lente augmentation des effectifs féminins dans certaines branches jusque-là dominées par les hommes, Andrea Delannoy avertit néanmoins: «Pour qu’on puisse parler de réelle progression vers l’égalité, il faut que la hausse soit qualitative et pas seulement quantitative.» Et de préciser: «Si la ‘féminisation’ d’une profession entraîne sa dévalorisation et donc sa précarisation, comme c’est notamment le cas dans le care, alors on n’aura rien gagné du tout.» La fondatrice de MOD-ELLE rappelle par ailleurs que, dans de nombreuses entreprises, le plafond de verre – soit la difficulté pour les femmes à dépasser un certain niveau hiérarchique – demeure une triste réalité. «Et lorsqu’elles y parviennent, bon nombre d’entre elles se sentent obligées de ‘diriger comme un homme’ pour être respectées, ce qui renforce encore le système patriarcal.»


La parité peine à s’imposer

  • Statistiques Dans un rapport publié en automne 2022 et intitulé «50/50 – les chiffres de l’égalité», Statistique Vaud et le Bureau vaudois de l’égalité compilent une série de données récentes «qui reflètent, pour la plupart, des tendances qu’on peut extrapoler à l’ensemble de la Suisse», fait remarquer Andrea Delannoy. Il ressort notamment de ce document que dans la voie scolaire prégymnasiale – qui constitue un bon indice de l’orientation choisie pour la suite des études – les filles sont surreprésentées dans les options italien (77%) et latin (68%); à l’inverse, elles sont sous-représentées en mathématiques et physique (38%). L’option économie et droit est la plus paritaire (53%).
  • Formation A la fin de la scolarité obligatoire, 32% des filles et 52% des garçons se lancent dans une formation professionnelle. Sur les 30 formations les plus populaires, peu sont paritaires. C’est le cas des professions d’employé·e de commerce et de gestionnaire du commerce de détail (avec 47% de filles). Alors que les métiers d’assistante socio-éducative, assistante en soins et santé communautaire, assistante en pharmacie, assistante dentaire et assistante médicale attirent entre 82% et 95% de filles, ceux d’installateur-électricien, électricien de montage et automaticien en séduisent moins de 4%.
  • Représentation A noter encore que, en 2020, une femme sur cinq (21%) travaillait dans la santé et l’action sociale, tandis que les hommes étaient présents dans la même proportion dans l’industrie et la construction. Dans les activités spécialisées et scientifiques, les genres étaient représentés de manière égale. Par contre, les femmes étaient surreprésentées dans l’enseignement et le commerce de détail, mais sous-représentées dans l’information et communication.

 

PM
Patricia Michaud