Face aux turbulences, les collaboratrices et collaborateurs sont toujours plus nombreux à se tourner vers leur responsable pour obtenir un soutien. Les attentes sont grandes, d’autant que les managers, plus que tout autre facteur, conditionnent la performance de leur équipe. Ils sont aussi la première raison qui explique le départ d’un salarié.

Diriger une équipe n’a jamais été facile. En ce début d’année 2023, l’exercice tient carrément de la gageure. «Entre la «grande démission», la pandémie persistante de covid, la flexibilité réclamée par les plus jeunes, l’explosion des problèmes de santé mentale, le climat de récession et l’incertitude générale, les personnes qui travaillent n’ont jamais été aussi fragilisées», écrit Erica Keswin dans la Harvard Business Review.

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Face aux turbulences, les collaboratrices et collaborateurs sont toujours plus nombreux à se tourner vers leur responsable pour obtenir un soutien. Consultante et autrice de best-sellers, la spécialiste ajoute: «Malheureusement, les managers ne sont pas préparés à faire face, car leur formation est terriblement insuffisante.» Par ailleurs, surchargés de travail, les chefs d’équipe doivent néanmoins maintenir l’attitude exemplaire que l’on attend des individus placés dans une situation de modèle. Voilà pour le contexte.

Quant aux enjeux, ils sont décisifs pour l’entreprise. Comme le rappelle une étude de référence du bureau de conseil Gallup (2013), les managers – plus que tout autre facteur – conditionnent la performance de l’équipe. Quelque 70% de la variance de l’engagement des collaborateurs est déterminée uniquement par l’attitude du responsable. En même temps, le chef est aussi la première raison qui explique le départ d’un salarié dans huit cas sur dix. Voilà pour les défis. Pour ce dossier, nous avons sollicité des experts qui livrent, en dix points, des conseils pour surmonter les principaux obstacles. Et aussi pour éviter de partir soi-même en burn-out.

1. L’autoritarisme ne passe plus

Psychologue clinicienne et consultante en ressources humaines (RH), Jacqueline Chorand constate: «Pendant longtemps, on a nommé à des postes à responsabilité des collaborateurs qui se distinguaient par leurs compétences techniques, sans se soucier de leurs aptitudes managériales. C’était d’ailleurs le seul moyen d’avoir une promotion au sein des entreprises. Souvent dépourvus de compétences relationnelles, ces cadres se réfugiaient dans l’autoritarisme, une attitude qui aujourd’hui ne passe plus du tout. Cette attitude débouche alors sur toutes sortes de conflits, dont des différends générationnels.» Un manager aujourd’hui non préparé à la gestion d’équipe aura tendance à surcontrôler ses collaborateurs, en évitant de communiquer et de déléguer.

Absurdité du monde professionnel

Autrice d’un guide récent*, Jacqueline Chorand objecte: «Il est faux de dire que la génération Z ne veut plus s’investir dans le travail. Ce dont ces jeunes ne veulent plus, c’est la dureté et l’absurdité du monde professionnel dans lequel ont évolué leurs parents. Ces collaborateurs veulent être considérés comme des personnes à part entière et entretenir une relation individuelle avec leur manager.» De nos jours, lorsque l’employé reçoit un ordre qui n’a pas de sens, comme se rendre sur son lieu de travail alors qu’il n’y a pas de tâche à effectuer (c’est arrivé à de nombreux endroits durant les confinements liés au covid), l’individu ne va plus le supporter.

Directrice chez Michael Page Genève, Marine Moncozet détaille: «Le rôle du manager a beaucoup évolué ces dernières années. Il n’est plus le chef qui contrôle l’activité et les chiffres de son équipe. Le chef est avant tout un bon communicant qui sait déléguer et clarifier la mission de chacun. En même temps, il lui faut assurer la cohésion de son équipe, son organisation et l’évolution professionnelle de ses collaborateurs.»

2. Donner l’envie d’avoir envie

Fondateur d’ECC Emmenegger compétences conseils, Steeves Emmenegger constate: «Face à une main-d’œuvre en raréfaction, le rôle du manager n’est plus de sélectionner les collaborateurs mais de les séduire. Il doit convaincre de nouveaux éléments de rejoindre la firme et d’adhérer à son projet.» Le cadre se retrouve dans l’obligation de donner aux salariés l’envie de s’investir dans leur travail. Malheureusement pour les responsables, cette compétence ne s’apprend pas. Ce sont les collaboratrices et collaborateurs qui décident si leur chef a un vrai leadership ou pas.

L’importance des valeurs  

«Dans une telle configuration, il est inutile d’imposer d’emblée des exigences à l’employé. Le degré de ce qu’on peut lui demander dépend de la relation qui le lie à l’entreprise. Plus le lien est fort, plus les attentes peuvent être élevées.» Cet engagement relationnel et affectif a des conséquences positives évidentes pour la firme. La personne qui se sent impliquée dans un projet et auprès de ses collègues fournira un meilleur travail et évitera l’absentéisme.

«Lors du recrutement, le plus important, ce sont les valeurs. Si les compétences peuvent toujours s’acquérir, les valeurs n’évolueront pas, car elles appartiennent au caractère du collaborateur.» Selon Steeves Emmenegger, des valeurs essentielles sont par exemple l’intérêt relationnel et l’orientation client. Il existe des évaluations psychométriques qui permettent de sonder un individu à ce niveau, par le biais de questionnaires.

3. Taper dans l’œil de la génération Z

Fondatrice du cabinet Brodard Executive Search, Nathalie Brodard explique: «Aujourd’hui plus qu’hier, les salariés veulent travailler pour des organisations qui correspondent à leurs valeurs. Ils ont besoin d’être inspirés, d’adhérer à un discours, de croire en leur boîte et de s’identifier à elle.» Marine Moncozet prolonge: «Le manager doit donner un sens aux tâches qu’effectuent les collaborateurs de son équipe et les mettre en perspective avec le projet mené par l’entreprise. Pour que ces orientations soient comprises et appliquées, il doit être transparent et communiquer régulièrement sur les objectifs de l’entreprise. La vision à moyen/long terme est importante pour garder une équipe motivée.»

Possibilité de formation continue  

Pour recruter de jeunes actifs que les employeurs s’arrachent, une présence sur les réseaux sociaux est primordiale, car c’est par ce canal que la société va être visible et attirer des talents. «La combinaison idéale est une communication dynamique et percutante sur les réseaux sociaux, une annonce classique sur les portails d’offres d’emploi et un référencement efficace sur le web qui permet à la firme de se distinguer dans les moteurs de recherche», indique Nathalie Brodard. L’experte mentionne aussi les possibilités de formation continue, très appréciées par la nouvelle génération, qui font une vraie différence sur la durée. La reconnaissance d’un employeur envers son collaborateur constitue un aspect de premier plan dans la satisfaction et la loyauté de ce dernier.

4. Adapter les attentes à ce qui est réalisable

«Notre société a un problème avec le perfectionnisme et probablement sur la qualité attendue pour un travail. De nos jours, il faut faire plus avec moins. Tout le monde est constamment en surcharge avec un cahier des charges impossible à assumer. Le collaborateur le vit très mal. Il se sent dévalorisé et éprouve un sentiment permanent d’échec», pointe Jacqueline Chorand. Dans l’objectif de conserver une équipe en bonne forme, plutôt que de renforcer la pression, les managers devraient au contraire encourager le lâcher-prise.

Supprimer les réunions inutiles

Fondateur du bureau de conseil Ismat, Vincent Blanc renchérit: «Dans le monde de l’entreprise, on cherche constamment à augmenter la productivité et à étirer les marges au maximum. On a maintenant atteint un stade où les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs ne sont plus mis à disposition. Pour le cadre, concilier les attentes de la hiérarchie et les besoins des collaborateurs tient de la quadrature du cercle.»

Si l’on veut conserver une équipe en état de fonctionnement, il faut adapter les demandes aux ressources disponibles. Dégager du temps pour simplifier les processus et supprimer les réunions inutiles sont les conditions pour créer des organisations résilientes. Jacqueline Chorand détaille: «Chaque cadre doit aussi apprendre à discerner les premiers signaux de crise envoyés par le collaborateur. De son côté, l’employé doit endosser la responsabilité de parler avec son supérieur et de lui annoncer qu’il n’est pas en capacité d’effectuer la tâche qu’on lui demande ou qu’il a besoin d’aide.»

5. Individualiser la pratique du home office

Pour rester compétitif dans la concurrence qui règne entre les entreprises, l’employeur est obligé d’offrir des possibilités de travail à distance et de home office. Steeves Emmenegger souligne que le manager doit rester flexible. «Les gens sont tous différents. Certains veulent travailler beaucoup et pour gagner plus, d’autres sont davantage attentifs à la qualité de vie. Le tour de force est d’individualiser les formules en fonction des attentes des uns et des autres, tout en garantissant le principe d’équité entre les salariés.»

Instaurer des jours fixes au bureau 

Cependant, lorsqu’il se généralise dans une firme, le télétravail fait obstacle à la création de la culture d’entreprise, qui nécessite que les collaborateurs soient réunis. C’est pourquoi l’ensemble de nos interlocuteurs conseillent d’instaurer des jours fixes où les employés viennent tous sur le site. Des moments conviviaux et des événements festifs sont primordiaux pour créer et renforcer les sentiments de liens et de loyauté avec les collègues et l’entreprise.

6. Montrer de l’empathie

A l’heure actuelle, le monde de l’entreprise regorge de gens à fleur de peau, qui accumulent frustration et colère, tout en souffrant du manque de visibilité de leurs efforts. Dans un tel climat, Jacqueline Chorand recommande au manager d’être transparent, clair et authentique. «Il est primordial de reconnaître les difficultés de tous. En favorisant la cohésion et la solidarité, le cadre doit faire passer le message que, tous ensemble, l’équipe arrivera à surmonter les obstacles.»

Focus sur les soft skills

L’empathie est aujourd’hui considérée comme une valeur clé du management, avec la confiance. L’objectif est d’aider le collaborateur à s’autonomiser, dans une relation de loyauté. «Trop souvent, pour contrer le comportement de 1% de l’effectif qui triche, on établit des contrôles et des règlements qui brident les 99% restants du personnel», regrette Jacqueline Chorand. C’est souvent l’organisation du travail qui crée les problèmes, plutôt que la personnalité des collaborateurs. Le manager doit identifier où sont les aptitudes et compétences (sociales et techniques) des membres de son équipe afin de distribuer des tâches en adéquation. Cela demande alors de bien connaître les collaborateurs, en maintenant un dialogue permanent avec eux. Marine Moncozet signale: «La doctrine a longtemps été d’identifier les points faibles des collaborateurs dans l’idée de travailler à leur amélioration. Les priorités ont maintenant changé. On se focalise aujourd’hui davantage sur les ‘soft skills’ ou compétences comportementales, de façon à identifier le potentiel de développement des collaborateurs.»

7. Adopter un langage clair

«C’est le flou qui crée le chaos. Lorsque le manager a des attentes mais n’a pas clairement attribué les tâches, il faut s’attendre au pire. De même, il faut établir avec l’équipe des règles de fonctionnement simples. Sinon, la confusion s’installe et mène à des heurts, observe Jacqueline Chorand. Les responsables estiment souvent qu’ils n’ont pas à intervenir dans certains antagonismes qui semblent triviaux, comme des dés-accords sur les horaires, par exemple. Le cadre considère qu’«on n’est pas dans une cour de récréation» et compte sur les employés pour trouver la meilleure solution entre eux. Ce qui se produit rarement dans la réalité. Il est judicieux d’anticiper les malentendus pour éviter les incidents. Des dissensions qui dégénèrent peuvent mener à des burn-out, à des démissions et à des plaintes auprès des autorités correspondantes. Le comportement en open space, par exemple, doit faire l’objet de règles simples ou d’une charte, sinon la cohabitation peut vite se dégrader.

Rien de pire qu’un chef absent

Vincent Blanc poursuit: «Les collaborateurs ont besoin de réponses à des questions basiques. Par exemple: la machine à café est réparée, qui va la chercher? Lorsque tout fonctionne bien, le chef est sur le terrain, disponible. A la fois sécurisant et rassurant, il administre les aspects logistiques de manière à ce que les employés disposent de tout ce qui est nécessaire pour faire leur travail.» Pour le spécialiste lausannois, il n’y a en revanche rien de pire qu’un chef absent qui laisse les entraves s’accumuler. L’impossibilité matérielle d’effectuer ses tâches peut conduire le collaborateur au désespoir. «Pour qu’un chef puisse diriger un groupe de manière efficace, la taille de l’équipe ne doit pas dépasser une quinzaine de personnes. Au-delà, toute supervision devient vraiment compliquée.»

8. Gérer les conflits de front

Une réalité répandue au niveau international est que les chefs de proximité ne sont pas formés pour intervenir en cas de conflits ou de dysfonctionnements dans l’équipe. Lorsqu’une collaboratrice ou un collaborateur pose problème, se montre désagréable ou fournit moins de travail que ses collègues, très souvent, le manager n’ose rien dire et la situation se détériore. L’employé problématique tire l’équipe vers le bas à coups de plaisanteries cyniques et de remarques négatives. La confiance disparaît et les tensions se cristallisent, tandis que l’individu à problèmes se retrouve isolé. Il arrive même souvent que le fauteur de troubles s’estime lui-même victime de mobbing et porte plainte.

Désamorcer l’escalade des conflits

Or le cadre qui a lui-même une quantité de problèmes à régler préfère souvent laisser dormir sous la pile le dossier qui mentionne des personnes en état de crise. Pourtant, le manager a tout intérêt à intervenir tôt dans une situation de conflit, en affrontant les problèmes. «Il ne sert à rien de changer d’équipe une personne qui dysfonctionne si les causes n’ont pas été clairement identifiées», insiste Carole Wittmann, directrice de la Clinique du travail à Morges (VD). La spécialiste en risques psychosociaux ajoute que des différends à première vue insignifiants peuvent avoir des conséquences dramatiques. «J’ai vu un cas où le conflit reposait sur un malentendu qui s’est envenimé, dans un contexte de surcharge de travail. L’affaire s’est terminée par une hospitalisation et un licenciement.»

Connue des psychologues, une grille d’évaluation de l’escalade des conflits est le modèle de l’Autrichien Friedrich Glasl (né en 1941 à Vienne). Sur une échelle à trois niveaux, le spécialiste détermine que, tant que l’on reste au premier stade (le dialogue est interrompu par une politique de faits accomplis), il est encore possible de trouver une issue gagnant-gagnant entre les deux parties. Au deuxième niveau (les adversaires cherchent des alliés et échangent des menaces), il y aura un perdant et un gagnant. Quand on atteint le troisième niveau, où les belligérants acceptent de s’autodétruire s’ils peuvent entraîner l’adversaire dans l’abîme, on arrive au stade de l’annihilation mutuelle. Il n’y aura plus que des perdants. Selon Friedrich Glasl, une médiation professionnelle peut dénouer les tensions tant que l’on reste en deçà du deuxième niveau. Passé ce stade, il faut une aide extérieure, accompagnée d’un arbitrage obligatoire et, en dernier recours, une intervention du pouvoir venue du haut.

9. Faire face aux problèmes de santé mentale

Selon le Job Stress Index publié en automne 2022 par la fondation Promotion Santé Suisse, la proportion de personnes qui se trouvent dans la zone critique a atteint le chiffre record de 30%. Pour cette part de travailleurs, les contraintes subies ont outrepassé les ressources. Parallèlement, un tiers des sondés se disent émotionnellement épuisés. Dans les entreprises, il existe en général des cellules psychologiques et des hotlines téléphoniques. Les experts sont unanimes: en tant que cadre, il faut absolument éviter de prendre sur soi les souffrances personnelles des collaborateurs. Le manager doit orienter la personne vers les services dédiés. Au cas où l’entreprise est dépourvue de telles structures, il faut recourir au département des RH ou solliciter une aide à l’extérieur pour soutenir l’employé.

A Morges, la Clinique du travail dispose d’une cellule d’urgence qui assure des prises en charge immédiates en entreprise. Depuis une jurisprudence du Tribunal fédéral remontant à 2012, les entreprises doivent mettre en œuvre des mesures de prévention des risques psychosociaux. Mandater une personne de confiance (PCE) qui va respecter la confidentialité va dans ce sens. Même si les entreprises respectent en général cette obligation fixée par le Secrétariat d’Etat à l’économie, cette possibilité d’obtenir un soutien reste souvent méconnue, rapporte Carole Wittmann. La Clinique du travail fournit par exemple ce genre de prestation pour un forfait de quelques centaines de francs par année, en fonction de l’importance de l’effectif.

La santé, un aspect primordial

Nos interlocuteurs s’accordent à dire que la santé du personnel est devenue un aspect primordial dans le fonctionnement d’une équipe. Lorsqu’un collaborateur revient de maladie, le responsable devrait prévoir un entretien avec lui pour s’inquiéter de sa santé, établir un dialogue et lui montrer de l’intérêt. Le management doit parallèlement être attentif aux signes avant-coureurs, pour prendre les choses en main suffisamment tôt.

Vincent Blanc prévient: «Un taux d’absentéisme ordinaire s’établit à environ 3% du personnel. Dans certaines institutions en crise, ce pourcentage peut atteindre 15%, ce qui signifie pour le reste de l’équipe qu’il faut travailler deux heures supplémentaires pour assurer l’exécution des tâches. C’est tout simplement inhumain.» Selon cet expert, qui se base sur des données chiffrées, de tels niveaux d’absentéisme engendrent des spirales négatives qui rendent la situation irréversible. Il devient tout simplement impossible de rétablir le bon fonctionnement de l’unité.

10. Restructurer dans le respect des collaborateurs

«L’expérience montre qu’en tant que manager vous finirez certainement un jour ou l’autre par vous retrouver face aux personnes que vous avez licenciées. Ces collaborateurs retrouveront un poste au service de l’Etat, dans le même secteur d’activité, ou chez la concurrence», témoigne Steeves Emmenegger. Il arrive même que l’entreprise doive réengager ses anciens collaborateurs. C’est notamment ce qu’a dû faire la compagnie aérienne Swiss, après la crise du covid.

Expliquer les raisons du licenciement

Dans des situations de crise avec réduction de l’effectif, l’attitude de la firme constitue une composante fondamentale de sa marque en tant qu’employeur. L’objectif est de gérer ces circonstances brutales dans le respect des collaborateurs. Qu’il s’agisse de la survie de l’entreprise ou de la perte d’un marché, les raisons des licenciements doivent être expliquées clairement au personnel. Un collaborateur sacrifié doit savoir pourquoi son poste a été biffé. Les salariés qui restent ont aussi besoin de comprendre les décisions, afin de conserver leur confiance dans le management. Mettre sur pied un processus pour accompagner et replacer les personnes qui ont perdu leur poste s’avère une option très fructueuse pour l’image de l’entreprise.

* «Guide DRH. Mieux manager les relations humaines dans un monde en pleine évolution», de Jacqueline Chorand, Ed. WEKA Business Media, 2022.

Managers, prenez soin de vous!

Dé-con-nec-ter. En cette période tendue où l’entreprise ressemble parfois à un champ de mines, les cadres sous pression ne doivent pas oublier l’importance de leur santé et de leur vie privée. Relativiser l’importance de sa vie professionnelle, se réserver des plages où l’on coupe toutes les connexions avec l’entreprise, prendre ses congés et ses jours de vacances au lieu de les sacrifier au travail en retard… Nos interlocuteurs reconnaissent tous le poids des charges qui pèsent sur les épaules des managers. Dans leur propre intérêt comme pour le bon fonctionnement général, les patrons et les cadres doivent impérativement déléguer des responsabilités. C’est en effet rendre service à tout le monde que d’autoriser les collaborateurs à s’autonomiser. Moins le chef est indispensable, mieux tout le monde se porte. 

Il est aussi précieux de constituer des groupes hétérogènes, avec des jeunes actifs tout feu tout flamme et des seniors qui en ont vu d’autres (lire p.49). De telles combinaisons permettent d’absorber plus facilement les chocs. Par ailleurs, plus on monte dans la hiérarchie, plus on se retrouve isolé. Il est très précieux d’adhérer à des réseaux où les cadres et les managers peuvent échanger avec des professionnels qui occupent des rangs similaires et rencontrent les mêmes problèmes. Le réseau SwissLeaders.ch joue par exemple ce rôle de plateforme.

Quand ça dérape…

Des conflits entre collaboratrices et collaborateurs qui finissent en échanges d’insultes. Des employés excédés qui en viennent aux mains. Des agressions graves sur la place de travail qui sont finalement révélées au management. La période est propice aux dérapages, notent plusieurs de nos interlocuteurs. Les difficultés individuelles commencent souvent dans le cercle familial. Désécurisés, démotivés et déprimés, les adolescents et les jeunes adultes sont particulièrement affectés
par le climat anxiogène actuel (guerre en Ukraine, climat, inflation, crise de l’énergie), comme en témoignent les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. En 2021, les troubles mentaux constituaient pour la première fois la première cause des hospitalisations des 10-24 ans, avec quelque 20 000 cas. Or des ados qui vont mal, ça signifie des parents inquiets, déboussolés, voire dépassés. Des personnes peu à leur affaire, pour qui les sources de mal-être privées et professionnelles s’additionnent.

Dans la pratique, ces tensions extrêmes favorisent le basculement de situations qui reposaient jusque-là sur un équilibre précaire et débouchent sur l’intensification du mobbing et du harcèlement sexuel. Des personnes fragiles peuvent révéler des problèmes psychotiques. Par exemple, dernièrement, dans une entreprise romande, un employé administratif a adressé, de but en blanc, une bordée d’injures les plus grossières à un cadre croisé dans un couloir. Il s’est avéré que les collègues de l’individu subissaient le même sort depuis quelque temps déjà, sans oser se plaindre. Un trouble d’ordre psychiatrique s’est ainsi déclenché chez un individu qui avait été durant des années un employé sans histoire.

Soutenir les collaborateurs: les bonnes pratiques

Facilement applicable, une pratique très productive est de consacrer une séance hebdomadaire d’une quinzaine de minutes aux aspects que les collaborateurs ont appréciés durant la semaine et aux réalisations dont ils sont fiers. La spécialiste Jacqueline Chorand observe: «Ce type d’échanges engendre des émotions positives qui ont des effets bénéfiques sur le long terme. Il est important de parler de ce qui fonctionne ainsi que des réussites collectives et individuelles.»

Outre-Atlantique, Genentech, la société californienne de biotechnologie du groupe Roche, a diffusé sur son intranet des vidéos dans lesquelles des cadres supérieurs parlaient de leur moral et de leurs soucis. Cette action s’inscrivait dans le cadre d’une campagne nommée #Let’sTalk, l’un des différents projets en faveur de la santé mentale lancés par l’entreprise de San Francisco, relate la Harvard Business Review. La même source mentionne un e-mail envoyé au personnel de la Fondation Wikimedia par Katherine Maher durant la crise du covid. La directrice générale y déclarait: «Si vous devez réduire vos heures de travail, ce n’est pas grave.» Elle s’est également engagée à payer les employés sur la base des conditions contractuelles, indépendamment des heures effectuées réellement. Ces aménagements avaient pour but de soutenir la santé mentale des employés dans une période de crise.

Carré blanc
Mary Vakaridis