L’historique couteau suisse commercialisé par l’entreprise Victorinox a fêté son 125e anniversaire il y a quelques mois. Mais ce n’est pas le seul jubilé célébré chez le fabricant basé à Ibach (SZ). L’entreprise compte aussi beaucoup d’employés avec un grand nombre d’années de service. L’ancienneté moyenne y est d’environ vingt ans. «Une trentaine de collaborateurs ont même déjà fêté leurs 50 ans au sein de l’entreprise», se félicite Robert Heinzer, directeur des ressources humaines de Victorinox.

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Parmi les facteurs qui expliquent la longévité de ses collaborateurs, le DRH souligne l’importance de la culture d’entreprise. «Chez Victorinox, celle-ci repose sur des valeurs telles que la confiance, le respect, la gratitude et la responsabilité. Ces valeurs sont vécues au sein de l’entreprise, ce qui est certainement l’une des raisons de la loyauté mutuelle. Nous misons également sur des conditions de travail équitables.»

Bénéficier de collaborateurs qui ont connu plusieurs cycles de la vie d’une entreprise, les moments de forte expansion comme les crises, représente un trésor qui ne se laisse pas remplacer par un dossier numérique, estime Christian Oberson, associé au sein du cabinet RHconseil et président de l’association professionnelle HR Genève: «Ces collaborateurs sont dépositaires d’un ensemble d’informations informelles qui stabilisent les équipes, à l’instar du rôle joué autrefois par les anciens dans les villages.»

L’expert constate que les employés de longue date ont souvent construit des relations solides avec leurs collègues qui permettent une collaboration fluide, améliore le travail d’équipe, la communication et la résolution des problèmes. «Je suis convaincu que si l’on reste longtemps au sein d’une entreprise, c’est avant tout en raison des personnes avec qui et pour qui l’on travaille.» Dans l’idéal, il faut cependant faire en sorte de trouver un équilibre entre collaborateurs de longue date et nouvelles recrues «Avoir uniquement des employés qui pensent tous la même chose peut être un frein à l’innovation.»

Une créativité bienvenue

Les nouvelles générations amènent des compétences importantes sur les nouvelles technologies, mais aussi une prise de risque et une créativité bienvenues, estime Anne Donou, directrice romande du cabinet Von Rundstedt, spécialisé dans les transitions de carrière. «Les plus jeunes transmettent aussi une autre vision du monde du travail aux seniors, en privilégiant un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. A ce titre, l’industrie 5.0 – qui désigne la collaboration accrue entre machines et humains – va également contribuer à un retour vers les priorités humaines.»

La longévité des employés de Victorinox semble aujourd’hui faire figure d’exception. Selon une étude récente réalisée par le cabinet de conseil en stratégie PwC, près d’un salarié suisse sur cinq compte changer d’emploi au cours des douze prochains mois. Les sondés indiquent comme motivation le souhait d’obtenir un meilleur salaire et un travail plus épanouissant.

Le dernier «Baromètre du travail», publié au mois de novembre par le spécialiste en placement de personnel Randstad, relève pour sa part que plus d’un tiers des membres de la génération Z et de la génération Y sondés en Suisse ont déjà quitté un poste parce qu’il n’était pas compatible avec leur vie privée. 

Près de 67% des moins de 24 ans et 65% des 25-34 ans interrogés se disent prêts à quitter leur emploi s’il les empêche de profiter de leur vie. «Le résultat de ce type d’enquête place les entreprises face à leurs contradictions, estime Anne Donou. Elles souhaitent des employés toujours plus agiles et capables de passer d’un projet à l’autre. Mais en recrutant ces profils, les entreprises ne doivent pas s’étonner que ces derniers se disent prêts à changer d’emploi une année plus tard. Pouvoir retenir ces talents implique de revoir en profondeur l’organisation, en y intégrant les solutions adaptées à ces personnes qui ont soif de nouveauté.»

Pour y parvenir, il s’agit de faire évoluer l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise. «On parle beaucoup de télétravail, mais il ne s’agit que d’un aspect du smart working. Cela concerne aussi le management ou le suivi des employés. Par exemple, aux indicateurs clés de performance (KPI), il faut désormais privilégier la méthode OKR (objective key results) qui permet une analyse des résultats en rapport avec les actions de chacun et non pas en rapport à la stratégie globale.» La spécialiste en ressources humaines souligne par ailleurs l’importance d’outils tels que les enquêtes de satisfaction ou l’analyse du développement personnel des employés.

L’enquête menée par Randstad indique également que jeunes générations et personnes plus âgées se rejoignent pour dire qu’elles seraient également satisfaites d’un salaire moins élevé si elles avaient le sentiment que leur travail contribue de manière positive à la société ou au monde. Aux revendications liées aux possibilités de télétravail ou de modèles hybrides s’ajoutent ainsi toujours davantage de demandes concernant l’engagement des entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale, remarque Anne Donou. «Mais attention: les jeunes veulent pouvoir s’impliquer sur des projets avec un impact local concret, et non pas financer des forêts tropicales.»

Le monde professionnel de demain va déconstruire les postes pour revenir sur la compétence, conclut l’experte. «D’où l’importance de faire évoluer les collaborateurs, de réaliser des rotations de poste, y compris dans les PME. Mais la mobilité reste un sujet difficile à traiter. Pour former, il faut dégager du temps, et donc accepter que la productivité baisse.»