Ils étaient inattendus, les mots d’Axel Lehmann, président de Credit Suisse, lors de l'Assemblée générale du 4 avril dernier: «Je voudrais m'excuser, pour tout ce qui s'est passé.» Ces excuses se sont fait attendre. Et ceci même si la banque était depuis longtemps à terre.

Et alors qu'UBS parlait officiellement d'avoir «sauvé» Credit Suisse par un rachat, les communicants de la banque continuaient d'écrire qu'il s'agissait d'une «fusion» dans le cadre de laquelle les «deux principaux établissements financiers suisses aux forces complémentaires seraient réunis», dans une lettre destinée à la clientèle.

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L'indignation a grossi. D'autant après qu’Axel Lehmann, Ulrich Körner et Tidjane Thiam ont loué leur propre travail et celui de leurs équipes, mais n'ont ni parlé des difficulté, ni reconnu que le management avait aussi fait des erreurs.

La surestimation de soi

La question se pose alors: pourquoi ces dirigeants ont-ils eu tant de mal à s'excuser? Pourquoi est-il quasiment impossible de reconnaître une erreur humaine au niveau de la direction? D'autant plus que, dans les mantras du management, on dit toujours que l'erreur est humaine, qu'elles font partie du quotidien et que les gens apprennent grâce à elles. 

Mais ce principe semble être oublié au niveau des top managers ou comme l'écrit la psychologue autrichienne Monika Matschnig, «plus la position d'une personne est élevée, plus l’hybris peut être prononcé». Selon l'experte, l'air se raréfie souvent au sommet de la hiérarchie. Il devient plus difficile de mener une réflexion personnelle honnête ou d'obtenir un feed-back objectif. «Qui donnerait un retour honnête au patron le plus haut placé?», demande Monika Matschnig.

Même si ces échanges sont encouragés dans le contexte professionnel, ils se produisent rarement dans la réalité. Cela accroît les angles morts pour les dirigeants et leur surestimation de leurs propres capacités augmente. «Cette surestimation de soi présente des avantages et des inconvénients. Elle permet d'agir de manière plus risquée, d’aller vers l’avant, de prendre des décisions. L'inconvénient est la reconnaissance de la faillibilité.» En conséquence, ce n'est pas l'ego qui est considéré comme la cause de l'échec, mais d'autres circonstances comme la politique ou la situation économique.

En même temps, il faut être irréprochable, les pertes de réputation pouvant rapidement se révéler fatales. Plus le poste est élevé, plus la chute est profonde. Les exemples de comportements erronés ne manquent pas, le cas le plus marquant étant celui de Pierin Vincenz, ex-patron de Raiffeisen. 

Des excuses publiques comportent des risques juridiques

L'aspect juridique est une autre raison pour laquelle les dirigeants ne s'excusent que rarement en public. Si un top manager s'excuse pour les erreurs commises pendant son mandat, cela le rend vulnérable.

Les avocats s'accordent à dire qu'en principe, des excuses n'ont pas de conséquences directes, mais aucun ne conseillerait à son client de s'excuser publiquement. Car, dans un certain sens, cela correspond à un aveu de culpabilité. 

Et une telle reconnaissance peut avoir des conséquences sur les assurances «Directors and Officers» (D&O). Celles-ci se basent sur un article du Code des obligations qui stipule que le conseil d'administration et le top management d'une entreprise sont personnellement responsables de leurs actes et sont tenus d'exercer leurs mandats avec soin.

«Pour protéger les organes, les sociétés souscrivent à de telles assurances», explique Markus Haefeli, expert en D&O. Ce sont des assurances de responsabilité civile. Aujourd'hui, presque toutes les sociétés cotées en bourse disposent d'une assurance D&O qui protège les managers en cas de faux pas.

Il est clair qu'une assurance de ce type n'intervient que si les managers ne commettent pas d'actes punissables. «Les manquements aux obligations des organes sont en principe couverts par l'assurance D&O, dans la mesure où ils n'ont pas été commis intentionnellement et qu'il n'existe pas d'autre cas d'exclusion.»

Des excuses ne signifie pas nécessairement l’admission d’un acte commis intentionnellement, «des excuses publiques ne sont pas nécessairement l'aveu d'une faute», ajoute l’expert. Et des excuses n'affecteraient pas non plus la protection D&O. Mais, au vu des plaintes collectives et de potentielles enquêtes en cours, les dirigeants préfèrent souvent éviter de s’excuser. 

Un CEO doit assumer ses erreurs, selon Sergio Ermotti

A la question de savoir si l'on pouvait admettre une faiblesse en tant que chef d’une grande firme, le CEO d’UBS Sergio Ermotti a répondu à la Schweizer Illustrierte par cette phrase: «On peut admettre en tant que CEO que l'on a fait une erreur. Mais il faut alors aussi montrer que l'on est prêt à en assumer les conséquences. Savoir reconnaître ses erreurs est tout de même un signe de grandeur.»

L'avenir montrera s’il continuera d’assumer ses propos en tant que grand patron de la nouvelle super-banque. Toujours est-il que l'ancienne direction de Credit Suisse s'est tout de même résolue à présenter ses excuses. Cela donne de l'espoir.

Tina Fischer
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