Bon, vous êtes prêts pour les «tracances» ou pour le workation?

Oui, il y a d’un côté la novlangue managériale politiquement correcte qui consiste à faire croire que tout est positif, par exemple quand un plan de licenciements devient un PSE: «plan de sauvegarde de l’emploi». Dans le genre, le dernier truc que j’ai vu et qui m’a plu, c’est «les métiers de proximité». C’est ceux qui consistent à s’occuper des gens, mais pas les profs ou les médecins hein, non, les petits salaires, les essentiels, ceux qui nous ont sauvés pendant le covid, genre les caissières, pardon les «hôtesses de caisse», ou les aides-soignants, pour lesquels on peut effectivement parler de proximité, car qui n’a jamais fait une toilette intime dans un EMS n’a jamais vécu la vraie proximité. Au lieu de les récompenser en augmentant leur salaire, on leur a trouvé une appellation qui fait chic, ça coûte moins cher.

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De l’autre côté, il y a les nouveaux mots, les barbarismes, les machins franglais qu’il faut inventer car ils désignent quelque chose qui n’existait pas avant. Exemples: télétravail, visioconférence, distanciel, présentiel, webinaire. Ou les fameuses «tracances», contraction de travail et de vacances, en anglais workation, mix de work et de vacation. Parce que désormais, grâce à la technologie, certains employés, pardon, «personnes vivant l’expérience salarié», travaillent désormais sur leur lieu de vacances.

Hypothèse concrète numéro 1: je prévois des vacances à Hawaï chez ma sœur (oui, j’ai une sœur qui vit à Hawaï, moi j’ai dû louper un virage ou faire un truc faux dans la vie), eh bien je pars une semaine plus tôt, je reviens une semaine plus tard, et pendant ce temps, je télétravaille face à Waikiki Beach, un Mai Tai dans une main et la souris dans l’autre, en matant les surfeurs tatoués qui sortent de l’eau. Bon, sur Zoom, je fais gaffe à enlever la chemise à fleurs, on ne va pas non plus narguer les collègues qui sont entassés dans la salle de conférences borgne 4A23.

Hypothèse concrète numéro 2: je vais sciemment à l’étranger pour télétravailler. Je ne serai pas en vacances et bien au boulot, mais ailleurs. Dans un hôtel spécialisé, il y en a à Majorque et au Mexique par exemple. Une connexion haut débit, des bureaux équipés, un traiteur qui livre les lunchs et, en fin de journée, à moi le before sur la plage pour tester mes progrès en danse latino.

Evidemment, ça pose de nombreuses questions. Premier problème: cela ne concerne que le tertiaire, car c’est effectivement plus difficile de poser un implant dentaire ou d’arrêter un cambrioleur depuis Hawaï, donc iniquité entre les métiers. Deuxième problème: ça doit être négocié avec l’employeur. Sinon ça peut donner: «Demain rendez-vous pour cette importante séance RH qui doit se faire en présence, OK? » «Euh, non, ça va pas être possible.» Quand votre chef qui vous attend dans la fameuse salle borgne 4A23 va se rendre compte que vous êtes à Cancún, ça risque de tortiller des fesses, et pas pour danser la salsa. Troisième problème: c’est flou. Etes-vous joignable tout le temps? S’il y a un décalage horaire, peut-on vous appeler au milieu de la nuit? Votre assurance accident professionnelle couvre-
t-elle les morsures de requin? Le mélange vie privée-vie professionnelle est total.

La question fondamentale que cela pose est celle de l’alternance travail--repos, qui s’est mise en place au début du XXe siècle, après la révolution industrielle. Avec le travail à la chaîne, il a fallu codifier, une pause à midi, deux jours de récupération par semaine, des congés en été, pour contrer les méfaits de l’épuisement et avoir des travailleurs en bon état toute l’année. Ainsi s’est installée cette dichotomie entre travail d’un côté et repos de l’autre. Aujourd’hui, on re-révolutionne tout ça. On se dit que peut-être, si on réaménage, on aura une vie plus équilibrée que d’arriver au bout de sa vie tous les vendredis soir. Que si on répond à trois e-mails en vacances, ce n’est pas le bagne (sept personnes sur dix le font de toute façon) et que si on prend un après-midi pour aller à la piscine avec les gosses en semaine, ce n’est pas une tragédie. Bref, comme pour le sexe et genre, on tend vers le fluide. Bien sûr, il faudra réguler tout ça, mais il y a un truc à trouver. In fine (je sais, c’est cinglé), peut-être que le meilleur moyen de ne pas avoir à trop se reposer est de ne pas trop se fatiguer (smiley qui sourit).