«Cela devient extrêmement compliqué d’évoquer ses engagements en faveur de l’environnement. On se fait tout de suite attaquer pour greenwashing», glisse un sous-traitant horloger de l’Arc jurassien pourtant précurseur dans la réduction de CO2. Même constat pour un artisan fine food qui utilise des emballages cradle-to-cradle, label environnemental le plus exigeant en Suisse.

Les deux font profil bas sur le sujet. Deux exemples de greenhushing, aussi appelé éco-silence. Il toucherait 25% des entreprises, qui préfèrent ne plus communiquer sur la durabilité. Un glissement à l’autre extrémité du greenwashing, mais un travers tout aussi préoccupant.

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Tendance en hausse

«Le terme de greenhushing est encore peu utilisé en Suisse, mais j’observe ce phénomène dans ma fonction de députée verte au Grand Conseil valaisan et également dans mon entreprise de communication Be Social», relève Magali Di Marco. Certains de ses clients se détournent de ce thème de crainte d’être étiquetés écolos.

«Le greenhushing est très inquiétant, car il empêche une prise de conscience générale des enjeux climatiques. Ce n’est pas parce qu’on est un gros pollueur qu’on ne peut pas parler des efforts que l’on fait, souligne-t-elle. Beaucoup de PME font des choix allant dans le sens du climat, mais se taisent de peur d’être perçues comme militantes ou d’être stigmatisées sur ce qu’il reste à faire. C’est ignorer leur responsabilité de modèle.»

Son conseil? Montrer qu’on essaie de s’améliorer est mieux que de le cacher. Cela peut pousser d’autres à essayer à leur tour. Un chemin exigeant qui demande de résister aux étiquettes. La communication responsable passe par la transparence. «Il faut encourager les actions concrètes, dire ce qu’on fait, mais également ce qu’on ne fait pas ou ce qu’il reste à faire. Donnez des chiffres, des échéances et communiquez sur vos échecs», estime-t-elle.

Par exemple, la brasserie 7Peaks, certifiée B-Corp, va très loin dans le partage d’informations chiffrées. On sait exactement l’impact CO2 de ses emballages et de l’ensemble des étapes de production. La société détaille ensuite les projets de réduction pour atteindre le net zéro. La communication sur la durabilité est rendue visible et véhiculée comme un challenge.

Pas d’autocensure

Le sport est particulièrement touché par le greenhushing. Il est en effet très délicat pour un athlète professionnel voyageant pour son métier d’afficher des valeurs environnementales. L’ancienne triathlète médaillée olympique connaît la problématique.

«Le sport est l’un des secteurs où il y a le plus de greenhushing. Personnellement, je ne m’autocensure pas, mais je me suis beaucoup calmée. Je ne m’offusque plus sur n’importe quoi. Je concentre mes interventions sur les réseaux sociaux sur des questions en lien avec mon domaine d’action. Par exemple, cela reste mon devoir d’interpeller sur les incohérences concernant l’aménagement du territoire.»

Où est la limite?

Shell vient de racheter Evpass, le réseau de bornes électriques suisse. Une action critiquée sur la Toile. Coup médiatique ou réel changement de modèle d’affaires du géant pétrolier? «Il faut lutter contre le greenwashing, mais critiquer une entreprise qui est en train de changer, je ne cautionne pas», appuie Magali Di Marco.

Le réseau Perle de Greenwashing, créé en 2021, compte déjà 42 000 abonnés. Il vise à émettre des critiques constructives face à la communication trompeuse des entreprises. Il épingle également les médias trop compatissants ou au contraire inutilement virulents sur certains domaines mal compris du grand public. Le bémol avec cette plateforme est qu’elle se fait déborder par les commentaires de sa propre communauté. Elle reste tout de même un outil à consulter au moment d’élaborer sa communication.

Et encore...

Définition
Aussi appelé éco-silence ou mutisme vert, le greenhushing vise à taire ses démarches et objectifs de réduction du CO2 de peur d’être critiqué ou de ne pouvoir les atteindre.

25%
C’est le pourcentage de grandes entreprises du secteur privé qui ont réalisé des actions en faveur de l’environnement et préfèrent ne pas en parler, selon le rapport 2022 de South Pole, repris par le WEF.

Virage dans l’hôtellerie 
Adepte par le passé du greenwashing, le secteur hôtelier international glisse vers l’extrême inverse. Selon le rapport de Green Lodging Trends Report, la moitié des hôtels interrogés ne communiquent plus sur la durabilité, même si ceux-ci ont nettement amélioré leur impact.

TB
Tiphaine Bühler