«J’ai toujours été attiré par les techniques de fabrication et de conception des vêtements. Adolescent, j’avais hérité d’une machine à coudre d’une vieille tante: j’ai d’abord commencé à la démonter et à la remonter pour comprendre comment la mécanique fonctionnait, puis, en autodidacte, je me suis amusé à recopier des patrons et à concevoir des robes pour des copines. C’est donc assez naturellement que, après avoir entamé des études en génie civil, j’ai changé d’orientation. J’ai décidé d’apprendre les techniques de coupe et de moulage, à l’Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne.

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Une période magnifique, durant laquelle j’ai rencontré mon ancienne compagne, Chyoung, originaire de Taïwan. Une fois notre formation achevée, je suis allé la rejoindre en Chine, où j’ai travaillé en tant que toiliste pour différents ateliers. Dans le monde de la couture, le travail du toiliste consiste à mettre au point techniquement un prototype en toile en vue de l’industrialisation du vêtement, par le moulage (sur un mannequin) ou la coupe à plat.

De retour à Lausanne au début des années 2000, nous avons créé avec Chyoung notre propre marque de prêt-à-porter féminin, baptisée Nuit Blanche, qui a connu un joli succès durant une quinzaine d’années. Nos collections se vendaient dans plusieurs points de vente en Suisse, dont Globus, ainsi qu’en France et en Italie, et ont été récompensées par plusieurs prix – dont le Prix de design du magazine Boléro et le Prix de la Fondation vaudoise pour la culture. C’était une belle aventure, même s’il me venait parfois une pointe de frustration de ne pas faire de mode masculine.

2016 a été pour moi une année de bascule. Après de nombreux allers-retours entre Shenzhen et Lausanne, j’ai choisi de m’établir complètement en Suisse et de me lancer dans un nouveau projet entrepreneurial et stylistique. A savoir le costume pour homme. Un pari compliqué à l’heure où le secteur du prêt-à-porter pour hommes est ardu, notamment parce que le costume n’est plus forcément obligatoire dans le monde du travail.

Après une phase de prospection, j’ai trouvé la solution en travaillant avec un atelier mutualisé par plusieurs tailleurs, qui se trouve dans la banlieue de Shanghai, ce qui permet de bénéficier de prix d’échelle sur les tissus et la main-d’œuvre tout en offrant une très belle qualité. De plus, avec ce système, il n’y a pas d’intermédiaire, de stock, et donc pas de gaspillage.

Je propose aussi bien des costumes sur mesure qu’en demi- mesure. Dans ce dernier cas, le costume va être réalisé selon mes indications, le client ne fait qu’un essayage et il peut choisir parmi une multitude d’options personnalisables, du tissu (parmi un millier de références) à la forme du col, en passant par les poches, la doublure du blazer, les boutons, la taille des épaules, etc.

Le sur-mesure, qui nécessite plus d’essayages, est plutôt destiné à des clients qui ont une idée très précise de ce qu’ils veulent ou avec une morphologie particulière. Le prix d’un costume chez moi démarre à 630 francs (pour un deux-pièces), la moyenne tourne aux alentours de 800 francs; la technique utilisée (traditionnelle, demi-entoilée ou plastron volant) déterminant aussi le prix.

En 2017, Le Tailleur sur Mars est donc né, avec pignon sur rue à Lausanne (sur rendez-vous), et le chiffre d’affaires progresse chaque année de 40% environ. Je me suis fait connaître peu à peu et ma clientèle vient de toute la Suisse romande, voire de la France voisine. Ce sont des personnes qui viennent me voir aussi bien pour une occasion spéciale, comme un mariage, que pour la vie de tous les jours.

Et, contrairement aux idées reçues, les plus jeunes, entre 25 et 35 ans, apprécient l’élégance et aiment porter de temps à autre un costume. Des séries comme Peaky Blinders ou Mad Men ont aussi contribué à cet engouement. Certains n’hésitent pas à me demander des choses plus extravagantes, comme des tissus à motif en jacquard, qu’ils ont vues portées par un people. Ma prochaine idée: développer une ligne de tailleurs pour les femmes, avec des modèles qu’elles pourront essayer avant de les fabriquer.»

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Elisabeth Kim