1. Katia Siciliano, câlinothérapeute

«Les gens ne se donnent même plus la main pour se dire bonjour», déplore Katia Siciliano, 54 ans, qui a fait du toucher son métier. La câlinothérapie consiste à prendre rendez-vous, comme on le ferait pour un massage sportif, pour être pris dans les bras tendrement. «Mon espace de consultation est aménagé autour d’un grand lit, couvert de coussins, explique la thérapeute dont le cabinet se situe à Ballaigues, dans le canton de Vaud. La câlinothérapie repose sur une qualité de toucher particulière. C’est un type de contact similaire à celui destiné à un enfant.»

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Un entretien préalable permet à la thérapeute de s’assurer que la personne a bien compris les limites de la séance. Katia Siciliano fait partie des rares câlinothérapeutes actifs en Suisse. «La pratique est davantage répandue outre-Atlantique; c’est d’ailleurs à distance, grâce au site américain Cuddlist.com, qui dispense des formations en ligne, que je me suis professionnalisée. En Suisse, il y a encore beaucoup de gêne à recourir à ce type de soins.» La thérapie n’est d’ailleurs pas encore reconnue par les assurances. Les 120 francs que coûte la consultation d’une heure ne sont donc pas remboursés.

Pourtant, les bienfaits des câlins sont prouvés scientifiquement: baisse de la tension artérielle, efficience du système de défense immunitaire ou encore amplification de l’estime de soi, grâce à la stimulation de la création d’ocytocine au contact de l’autre. «Si chaque individu recevait huit câlins par jour, dont un d’au moins 20 secondes, on éviterait la prise de nombreux médicaments!» Les personnes qui ont recours aux soins proposés par Katia Siciliano sont des adultes, hommes ou femmes, de tous les âges. «Je reçois des individus touchés par une dépression, un cancer, un AVC, mais la raison qui les amène chez moi n’a pas vraiment d’importance. Je ne travaille pas dans la psychiatrie. La pratique implique un lâcher-prise qui peut réveiller certaines blessures. Il arrive que les câlins entraînent des larmes. La tendresse est un outil puissant.»

Revenu: son activité génère un revenu d’environ 60 000 francs par an.

 

2. Léandre et Maxime Guillod, cultivateurs de riz

Léandre et Maxime Guillod, cultivateurs de riz, se sont lancés dans la culture du riz il y a cinq saisons.

Léandre et Maxime Guillod, cultivateurs de riz, se sont lancés dans la culture du riz il y a cinq saisons.

© Peter Klaunzer/Keystone

Ce jour-là, des curieux se sont attroupés autour des champs, ils observent le spectacle qu’offre une plantation plutôt insolite, celle du riz. Inimaginable, il y a peu encore, au nord des Alpes. C’est pourtant le pari fou de Léandre et Maxime Guillod. Cela fait maintenant cinq saisons que les deux maraîchers de la Broye récoltent leur riz, vendu sous le nom de Riz du Vully. Le projet est né à la suite d’un travail de recherche de l’Agroscope de Zurich sur les cultures tolérant de grandes quantités d’eau, comme c’est le cas dans la région des Trois-Lacs.

Aujourd’hui, les deux frères ont doublé le nombre d’hectares de rizières, passant à 6, pour un volume annuel de riz estimé cette année entre 15 et 20 tonnes. C’est la plus grande surface de rizières au nord des Alpes. «On pense riz toute la journée, même si celui-ci ne représente jusqu’à présent que 10% de notre chiffre d’affaires, explique Léandre Guillod. Nous cultivons les plantons nous-mêmes dans nos serres, puis nivelons le sol avec une machine pour rendre le champ parfaitement plat et le préparer à son inondation. On plante en mai, puis on récolte fin septembre pour faire de la vente directe. On organise aussi des visites des rizières et peut-être bientôt des risottos au bord de celles-ci.»

L’outillage de précision est futuriste, certaines machines viennent du Japon. Plus étonnant encore, le contrepied choisi par ces entrepreneurs du riz, ingénieurs agronomes de formation. En effet, leur technique de nivelage était utilisée pour empêcher les inondations dans leurs cultures maraîchères, celles-ci causant chaque année des pertes. A présent, ils ont inversé la tendance en sécurisant l’eau dans leurs rizières.

Le Tessin connaît les rizières à sec, le Vully a choisi la méthode asiatique, immergée, depuis le canal de la Broye. L’eau permet de garder le planton au chaud pendant les nuits fraîches. Par ailleurs, la création de ces nouvelles zones humides a vu nicher des vanneaux huppés, une espèce en voie de disparition en Suisse. «Ils pondent au sol et sont à la merci des renards. La rizière leur sert de protection. Nous avons six nids», signale le maraîcher. La Station ornithologique suisse de Sempach suit, elle aussi, les rizières de très près.

Revenu: en 2021, 100 000 francs de chiffre d’affaires (10% de leur chiffre d’affaires global) partagés entre les deux familles.

 

3. Loïc Rossier, garde du pape

«Ma décision  d’intégrer la garde  fut instantanée.  J’avais 12 ans.» Loïc Rossier

A 32 ans, Loïc Rossier est le chef d'état-major de la Garde suisse pontificale. 

© Vatican Media

«Tout a commencé par un voyage professionnel de mon papa, à Rome. Un collègue, ancien garde, qui l’accompagnait lui a remis une plaquette de l’institution en lui disant: «Donne ça à tes gamins, on ne sait jamais.» Je me suis plongé dedans et j’ai été fasciné. Ma décision d’intégrer la garde fut instantanée. J’avais 12 ans.» Vingt ans plus tard, à 32 ans, Loïc Rossier en est le chef d’état-major et le numéro deux, remplaçant du commandant lorsque celui-ci est absent. Plus fort, cet ancien agent de la police judiciaire vaudoise assume depuis le 1er janvier 2022, date de sa nomination par le pape François, la lourde responsabilité d’assurer la sécurité du Saint-Père au Vatican, en Italie et lors des voyages apostoliques.

D’origine valaisanne mais né à Lausanne, ce titulaire d’un brevet fédéral de policier et grand sportif cochait toutes les cases pour rallier la plus petite armée du monde, en 2012: catholique romain, ayant fait sa communion et sa confirmation et, bien sûr, son service militaire (commandant de compagnie). Entre 2012 et 2014, l’ex-inspecteur de la Blécherette a eu la chance de vivre deux moments historiques: la renonciation du pape Benoît XVI et l’élection du pape François, le 13 mars 2013. «Ce jour-là, j’étais de garde devant la chapelle Pauline. J’ai donc été parmi les premiers à le voir à la sortie du conclave.»

Après le départ à la retraite du commandant lucernois Christof Graf, en 2026, Loïc Rossier deviendra-t-il le deuxième Romand, après le Fribourgeois Jules Maxime Repond (de 1910 à 1921), à commander la Garde suisse pontificale, 520 ans après sa création? Le Vaudois, qui pourrait renouveler son engagement pour cinq ans supplémentaires la même année, ne se prononce pas. «Au-delà du grade, c’est avant tout la mission qui me passionne. Et il y a tant de grands événements à vivre au cours des dix prochaines années!» se réjouit-il.

Revenu: moins de 5000 francs mensuels, avec un appartement qu’il occupe avec son épouse dans la caserne du Vatican.

4. Justine Chesnoy, sourceuse de cacao

Justine Chesnoy casse devant nous une fève de cacao du Pérou. «Vous voyez ces stries et cette belle couleur marron? C’est la preuve que la fève a bien été séchée et qu’elle va pouvoir développer ses arômes. Plus clair, ce n’est pas bon, et plus foncé non plus. Un chocolat à la couleur trop noire, même pour un 88%, c’est mauvais signe. Ses fèves ont probablement été brûlées à la torréfaction», explique la sourceuse de cacao, membre de la Fondation Haute Chocolaterie. Cette nouvelle entité suisse va notamment former les artisans chocolatiers à l’utilisation de matières premières durables et traçables.

L’ancienne tradeuse de cacao pour les grands groupes industriels, qui a étudié à l’Institut d’études politiques de Toulouse puis à l’Institut d’études du développement de la Sorbonne, constate que son métier fait souvent rêver. Beaucoup l’imaginent au cœur de la fabrication du chocolat. La réalité diffère quelque peu. «Pendant des années, j’ai été derrière mon ordinateur avec des tableaux Excel pour suivre le cours du cacao, se souvient-elle. Il y a sept ans, j’ai changé d’approche: je me suis rendue dans les plantations pour y faire une analyse physique et sensorielle de la fève. J’ai mis en place des conditions pour que les fermiers soient payés à leur juste valeur et que leurs enfants aillent à l’école.»

Cacao Latitudes, la société qu’elle a cofondée, c’est aujourd’hui 23 planteurs dans 19 pays et près de 400 tonnes de cacao vendues à des chocolatiers responsables comme Du Rhône, Jacot ou Orfève. «Nous sommes moins de dix en Europe à faire ce travail de sourceur», glisse-t-elle. Sans dénigrer l’industrie, elle souhaite surtout voir émerger une véritable prise de conscience des chocolatiers et des consommateurs face à un marché peu transparent. «Nous mutualisons l’achat de fèves éthiques de très haute qualité pour ensuite les redistribuer, en plus petits volumes, à des artisans chocolatiers qui n’y auraient pas accès autrement», conclut Justine Chesnoy.

Revenu: 65 000 euros brut par an.

 

5. Fabien Langenegger, dendrochronologue

Fabien Langenegger, dendrochronologue

A 54 ans, Fabien Langenegger est aujourd'hui spécialiste des fouilles archéologiques et de la datation des arbres sous l'eau. 

© DR

Dendrochronologue-archéologue subaquatique. Derrière ce titre intrigant se cache le métier de Fabien Langenegger. A 54 ans, cet ancien enseignant d’éducation physique et d’histoire est aujourd’hui spécialiste des fouilles archéologiques et de la datation des arbres sous l’eau.

Responsable du laboratoire cantonal neuchâtelois de dendrochronologie, installé dans les bâtiments du Laténium, à Hauterive (NE), Fabien Langenegger explore le patrimoine historique immergé et menacé par les activités humaines ou l’érosion naturelle. Une tâche ardue qui mobilise de grands moyens: «Les recherches débutent le plus souvent par de la prospection aérienne que nous effectuons avec un dirigeable équipé d’une caméra haute définition.» Une fois les traces d’un site ancien repérées, l’archéologue et son équipe accourent et plongent pour y effectuer les fouilles.

«Parfois, on ne trouve rien d’exploitable et, d’autres fois, on tombe sur de véritables trésors.» Le chercheur se souvient notamment de ce galion espagnol du XVIe siècle coulé près des côtes corses, ou encore de cette pêcherie du néolithique découverte à quelques mètres sous la surface du lac de Neuchâtel au large de La Tène (NE). «On pouvait y distinguer les chenaux qui servaient à canaliser les bancs de poissons et les piéger. Le dispositif était presque intact alors qu’il datait de plus de 4000 ans.»

Comment peut-il donner une date aussi précise? «Précisément grâce à la dendrochronologie, qui consiste à dater des morceaux de bois en inspectant les cernes des troncs. Chaque cerne représente une année, mais leur forme varie en fonction des conditions climatiques de chaque période. Grâce à la recherche, on dispose de courbes chronologiques fiables pour de nombreuses espèces d’arbres, comme le chêne, qui permettent de rembobiner l’histoire sur plusieurs milliers d’années. A la découverte d’un vestige en bois, il ne reste ainsi plus qu’à comparer la structure des cernes pour déterminer à quelle époque l’arbre a vécu et quand il été coupé.»

Pour exercer ce métier, une formation d’archéologue, un brevet de plongée et une bonne condition physique sont nécessaires. «Les techniques de datation du bois, par contre, s’apprennent sur le terrain en compagnie d’experts.»

Revenu: entre le poste offert par le canton et les missions réalisées en tant qu’indépendant, l’expert peut espérer toucher jusqu’à 100 000 francs par an.

 

6. Marylène Rouiller, maîtresse clown

«Seule la connaissance de soi permet d’explorer ces facettes avec sincérité.» Marylène Rouiller

«Seule la connaissance de soi permet d’explorer les facettes de ce métier avec sincérité», estime Marylène Rouiller. 

© François Wavre/lundi13

«Les clowns font rire le monde pour le consoler.» C’est ainsi que Marylène Rouiller, 48 ans, décrit son métier. Passionnée, elle se produit depuis 2005 sous le personnage de sa clown Marlo. «Marlo est une clown espiègle, farceuse, danseuse. Elle ose avec naïveté parler de tout pour questionner le sexisme ou les inégalités sociales, par exemple. C’est une adorable emmerdeuse.»

Marylène Rouiller a commencé sa carrière par le théâtre, avant de se spécialiser dans la pratique clownesque. «Les acteurs et actrices doivent suivre un texte précis, un scénario cadencé et suivre les directions du metteur en scène, alors que le nez rouge – obligatoire à ce jeu masqué – offre une liberté d’expression infinie.»

Il existe différents types de clowns: les clowns de théâtre, les clowns de cirque, «qui ajoutent à leur jeu des performances circassiennes comme le jonglage ou le monocycle», et les clowns d’institution, «qui ont un rôle social, dans les hôpitaux notamment». Marylène Rouiller enseigne depuis près de vingt ans auprès de l’école LeZartiCirque, à Sainte-Croix (VD), et travaille depuis 2012 avec l’association Fil rouge, spécialisée dans l’accompagnement des personnes âgées et migrantes. En 2018, elle crée son atelier de formation, la Boîte-à-nez, à Lausanne. Depuis trois ans, elle propose aussi une formation professionnelle. Chaque volée compte entre huit et douze élèves sélectionnés. Aujourd’hui, la clown gagne environ 4500 à 5000 francs par mois, «parce que j’ai de l’expérience et que je multiplie les mandats, mais c’est un métier difficile qui implique souvent une irrégularité des revenus».

La profession souffre en outre de divers clichés. «Certaines personnes ont même peur des clowns – Stephen King n’a pas aidé avec son roman Ça – et malheureusement peu de théâtres laissent aux clowns leur place sur scène.» Mais quelle que soit la spécialité, il est nécessaire d’être solidement ancré pour ce métier. «Une bonne clown joue de l’échec et du ridicule. Seule la connaissance de soi permet d’explorer ces facettes avec sincérité.»

Revenu: grâce à son expérience, elle gagne aujourd’hui entre 4500 et 5000 francs par mois.

 

7. Marina et Milena Buckel, ocularistes

«Une cinquantaine d’ocularistes seulement à travers le monde maîtrisent cette technique.» Marina Buckel

 Marina et Milena Buckel sont ocularistes, Elles réalisent des prothèses en verre soufflé, une technique que maîtrisent seulement une cinquantaine d'ocularistes dans le monde. 

© Steeve Iuncker pour la Tribune de Genève

Lorsque Matthias Buckel, unique oculariste réalisant des prothèses en verre soufflé en Suisse romande, souhaite former la relève, sa fille Marina, diplômée en communication visuelle de la HEAD, alors âgée de 28 ans, se projette pour la première fois dans ce métier. «Mon impulsion a aussi donné envie à ma grande sœur, Milena, de perpétuer la tradition familiale pour la quatrième génération.» Commence alors une formation de sept ans, de 2014 à 2021, presque entièrement dispensée par Matthias Buckel. «Etant dans un domaine paramédical, nous avons aussi suivi des colloques afin d’en apprendre davantage sur l’œil et ses maladies.»

Généralement envoyés par les ophtalmologues, la plupart des patients consultent à la suite de la perte d’un œil, survenue en raison d’une maladie, d’un accident ou d’une opération. Remboursée par l’assurance maladie à raison d’une prothèse par année, la prestation s’élève à un tarif unique de 775 fr. 45.

Depuis mars 2022, Marina Buckel a repris le cabinet de son père, situé à Perly, à Genève, tandis que Milena Buckel exerce à Sion et à Lausanne. Les deux sœurs se sont réparti la base de données d’environ 1000 patients que leur a confiée leur prédécesseur en fonction de leur situation géographique. «Je m’occupe principalement de la patientèle genevoise, même si des Français et des Portugais anciennement établis en Suisse viennent parfois consulter.» Les deux sœurs ont toutefois décidé de ne pas s’associer. «Je pense qu’il est important que nous puissions travailler chacune à notre manière.»

Marina Buckel reçoit aujourd’hui deux ou trois patients par semaine, ce qui correspond à un taux d’activité d’environ 50%. «Cela me permet d’avoir une marge de deux heures s’il faut refaire une prothèse qui ne convient pas ou qui casse durant la fabrication. Le verre soufflé reste une matière très délicate à manipuler. Une cinquantaine d’ocularistes seulement à travers le monde maîtrisent cette technique.» Les patients repartent ensuite directement avec leur prothèse.

Revenu: le chiffre d’affaires varie de 6200 à 9300 francs par mois.

 

8. Jean-Luc et Amandine Oestreicher, hôteliers sur catamaran

Jean-Luc et Amandine Oestreicher, hôteliers sur catamaran

Jean-Luc Oestreicher et sa fille Amandine sont hôteliers sur catamaran. Leur société, Floatinn, a été créée en 2014. 

© Guillaume Megevand pour Le Temps

«Personne ne proposait de croisières sur le lac. Il existe des cours de voile, des locations, mais pas d’offre de navigation tout compris. Alors je me suis lancé.» Jean-Luc Oestreicher a fondé Floatinn en 2014, un hôtel bed and breakfast sur un catamaran. Amarré au port des Eaux-Vives, à Genève, le bateau Sanya 57 mesure 17 mètres de long, 9 mètres de large et 25 mètres de hauteur de mât. Nommé Juusan, il peut accueillir jusqu’à dix personnes avec ses cinq chambres doubles, chacune équipée d’une salle de bains et louée 250 francs la nuit, petit-déjeuner compris.

Les croisières du vendredi au dimanche coûtent 5300 francs, à diviser par le nombre de participants. Aujourd’hui, le propriétaire vend en moyenne entre 400 et 500 chambrées par année. «Ce métier implique une grande polyvalence, puisqu’il faut nettoyer les chambres, préparer les petits--déjeuners, s’occuper du service, parfois cuisiner le dîner et, pour les croisières, naviguer», raconte le capitaine de 62 ans en préparant la tresse qui sera sur la table du petit-déjeuner du lendemain. L’entrepreneur a parfois eu un employé sur son bateau mais travaille aujourd’hui seulement avec sa fille Amandine, 27 ans, diplômée de l’Ecole hôtelière de Lausanne. «Nous parvenons normalement à nous rémunérer environ 9000 francs par mois pour deux, mais je garantis en priorité un salaire d’au minimum 6000 francs à ma fille.»

Jean-Luc Oestreicher a commencé sa carrière en tant que physiothérapeute. Après quelques années aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), il ouvre son cabinet à Vernier (GE). Des problèmes de santé l’obligeront à arrêter brusquement ce métier. Il renoue alors avec une autre de ses passions: la voile. Un investissement important, puisque le navire coûte 1,7 million d’euros et le transport 300 000 francs. Ne trouvant pas de soutien bancaire, le Genevois doit vendre sa maison pour assurer ces dépenses. Aujourd’hui, deux tiers des revenus de Floatinn viennent de l’offre hôtelière et un tiers de la navigation, «un ratio que j’aimerais dorénavant inverser». A partir de cet été, l’hôtel flottant va en effet proposer davantage de formules croisières, où les clients embarquent pour trois à cinq jours sur le lac, avec des arrêts possibles dans les villes de la côte. «A la manière d’une croisière en Méditerranée, mais sur le Léman.»

Revenu: lui et sa fille se partagent 9000 francs de salaire par mois.

9. Jean Rossat, verbicruciste

Depuis plus de quarante ans, le Haut-Savoyard conçoit professionnellement des grilles de mots croisés. Il est verbicruciste – le joueur, lui, est cruciverbiste. Armé de son crayon, d’une gomme, d’un papier quadrillé «et d’un dictionnaire pour pouvoir vérifier les subtilités de la langue française», Jean Rossat imagine des grilles de 100 cases selon une méthode précise. «Je commence par rassembler des idées de mots autour d’un thème, à chercher un champ lexical. Puis je débute par la «potence», soit le 1 vertical et le 1 horizontal. S’ensuit la «charpente», soit la croix de la ligne et de la colonne 5, puis je complète le reste.» Entre trente minutes et deux heures sont nécessaires pour créer une grille. A 70 ans, il continue d’en produire environ 300 par année, notamment via son site internet Eskimos.

Depuis qu’il est enfant, Jean Rossat aime la langue française, «des conjugaisons à l’orthographe». Il étudie le journalisme et travaille pendant huit ans dans la presse régionale en France, où il s’occupe également de la rubrique des mots croisés. En 1989, il se consacre totalement au métier et devient indépendant. Il crée des grilles pour divers journaux, et notamment pour Le Temps pendant dix ans. «Je devais créer six jours sur sept une grille à thème en fonction de l’actualité.»

Il est également l’auteur de Ma Suisse en mots croisés, une collection de grilles déclinée autour des diverses régions romandes, de Genève au Valais, en passant par la Gruyère. Jean Rossat participe à l’organisation du plus grand concours de mots croisés de France, qui a lieu chaque année à l’Is-sur-Tille, capitale francophone des mots croisés.

Une grille est environ rémunérée 140 euros, «il faut donc en faire régulièrement pour en vivre». Le passionné déplore aujourd’hui le travail d’amateur ou les générateurs en ligne qui torpillent son métier et n’en respectent pas l’artisanat. «Les mots croisés ne sont pas de simples définitions littérales tirées du dictionnaire, mais une affaire de réflexion, d’humour par les jeux de mots et par l’utilisation des figures de style.»

Son revenu: aux alentours de 42 000 euros par an. 

 

10. Jean-Pascal Charpilloz, cordiste

«Je ressens  dans ma profession  ce que je retrouve dans  les sports de montagne.» Jean-Pascal Charpilloz

Jean-Pascal Charpilloz est cordiste. Un travail varié, qui va du nettoyage des vitres d'un immeuble à la création de parcours de via ferrata ou à la stabilisation d'un terrain. 

© Fred Merz/Lundi13

Jean-Pascal Charpilloz déploie sa corde et se lance dans le vide. Son but: nettoyer des vitres, créer des parcours de via ferrata ou encore stabiliser des terrains. Un travail varié et nécessaire puisque, en Suisse, les cordistes n’interviennent qu’une fois que toutes les autres options ont été jugées inexploitables. «On représente la dernière chance», résume le spécialiste avec humilité.

C’est sa passion pour le sport qui a mené le Bernois d’origine à ce métier hors du commun. «Je ressens dans ma profession ce que je retrouve dans les sports de montagne qui mettent face à la gestion des risques et aux environnements particuliers.» Pourtant, l’adrénaline ressentie n’est pas sa seule motivation: «Quand je suis sur une belle façade d’un haut bâtiment et qu’il y a un lever de soleil, c’est presque la même sensation qu’être au sommet d’une voie d’escalade. Il y a ce sentiment d’être privilégié.»

Au début des années 2000, il simule sa propre affaire: «Je faisais croire que j’étais une entreprise et j’ai cherché ainsi des jobs de cordiste pour moi.» C’est sur ce coup de bluff que s’est fondée sa carrière professionnelle ainsi que, en 2009, son entreprise, Vertical Access. Aujourd’hui, avec une soixantaine d’employés, la société basée à Semsales (FR) est l’une des plus importantes du secteur en Suisse.

Un cordiste gagne entre 70 000 et 90 000 francs par année. Un revenu «à la hauteur d’un métier pénible, dans lequel on est toujours dans des positions inconfortables et dans des environnements compliqués. C’est une profession qui impose de changer son cahier des charges après 50 ans.»

Afin d’être reconnu comme cordiste en Suisse, il est nécessaire de s’adresser à des entreprises formatrices de la profession. Ce sont elles qui, après avoir été formées par les entreprises leaders aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, peuvent enseigner le métier. Trois spécialisations sont alors possibles: exécutant, contremaître ou superviseur.

Revenu: un cordiste gagne entre 70 000 et 90 000 francs par an.

11. Nassim Bougantouche, gamer professionnel

Premier au classement des e-sportifs de Suisse romande, Nassim Bougantouche, aussi appelé Deox6 (du nom d’un Pokémon), se classe aujourd’hui dans le top 3 des meilleurs joueurs de Suisse. Sa spécialité: le jeu Super Smash Bros Ultimate, développé par Nintendo. «J’ai toujours aimé l’univers Nintendo, et ce jeu permet une grande liberté d’action et de stratégie.» Il y incarne le personnage Byleth, tiré de l’univers du jeu de rôle tactique Fire Emblem. Nassim Bougantouche est aujourd’hui considéré comme le meilleur joueur de ce personnage au niveau européen. Les classements sont établis en fonction de la performance des joueurs, de leur technique à leur utilisation du terrain. «L’e-sport exige de la concentration et un mental solide. Nous devons soigner notre hygiène de vie.»

Nassim Bougantouche commence à jouer en 2015. Il a alors 14 ans et participe à quelques compétitions locales. Son parcours se professionnalise en 2021, lorsqu’il rejoint l’équipe de Lausanne-Sport Esports. «Faire partie d’un club permet de s’entraîner régulièrement, de voyager pour différentes compétitions, de progresser au niveau technique mais aussi de mieux gérer l’aspect psychologique des championnats.» Chaque semaine, le Genevois de 21 ans participe à des compétitions qui ont lieu dans différentes villes de Suisse romande.

Le vainqueur repart avec le «cash price». Ces prix permettent à Nassim Bougantouche de toucher environ 800 francs par mois. Le diplômé d’une école de commerce est ainsi en recherche d’emploi en parallèle, même s’il souhaiterait continuer sa carrière dans l’e-sport. «Les professionnels mondiaux sont salariés et gagnent environ 100 000 dollars par année, mais les montants peuvent atteindre jusqu’à 400 000 dollars annuels selon le jeu.» A noter que l’e-sport est désormais proposé dans plusieurs écoles suisses et des centres de formation spécialisée.

Revenu: les compétitions lui permettent de toucher environ 800 francs par mois.

12. Agnès et Sylvain Gerber, éleveurs de vers de terre

Ils pullulent dans les sols et font d’excellents composteurs, alors pourquoi ne pas les mettre à profit? C’est à partir de ce constat qu’Agnès et Sylvain Gerber se sont lancés dans la lombriculture il y a près de quarante ans dans leur ferme d’Ollon (VD). «Le terreau auquel on ajoute le Lombritonus, l’humus produit par les lombrics, est plus riche en nutriments et plus aéré, cela favorise la croissance des plantes», explique Agnès Gerber, dont le produit a séduit des dizaines de paysagistes et de particuliers installés dans le Chablais.

Pratiquer la lombriculture requiert un terrain assez grand pour accommoder de longs andains, c’est-à-dire des amas de matière comme la terre ou le foin qui s’étalent sur la longueur des champs en formant des bandes continues de fumier dans lequel les vers de terre viendront se nourrir et se reproduire. «Une fois le tout en place, il suffit de laisser les annélides faire leur travail. L’objectif est que les vers s’autorégulent en fonction de l’espace et de la nourriture disponibles.»

Après un peu plus d’un an, le lombricompost encore humide est récolté et transporté dans un ancien séchoir à tabac où il passera plusieurs mois avant d’être tamisé et préparé pour la vente. Une fois emballé, le sac de 40 litres est vendu 14 francs, sur un marché où la concurrence oscille généralement entre 4 et 16 francs pour la même quantité. Sur leur terrain de 1 hectare, les deux pionniers de la lombriculture en Suisse parviennent à tirer du lombricompostage 60% de leur revenu annuel. «La pratique s’adresse avant tout aux agriculteurs qui souhaitent diversifier leur production.»

A l’arrêt depuis 2022 à cause de nouvelles réglementations fédérales qui auraient exigé de gros investissements pour une mise aux normes, les deux agriculteurs à l’aube de la retraite vendent encore cette année les stocks issus du dernier compostage. Ils constatent que la pratique peine à trouver de la relève. «Nous avons souvent reçu des étudiants des écoles d’agriculture mais, à ce jour, aucun ne s’est encore lancé. Nous avons toutefois bon espoir que la pratique renaisse dans les années à venir grâce à de jeunes passionnés.» Pour conclure les quarante ans d’activité de la ferme, Agnès Gerber a aujourd’hui décidé de retracer son histoire dans un livre, intitulé A bout de bras, publié à compte d’auteur et disponible sur son terrain ou sur son site internet.

Revenu: le couple tire environ 200 000 francs de cette activité qui représente 60% de son chiffre d’affaires annuel.