«La mesure de l’intelligence est la capacité à changer», disait Albert Einstein. Une pensée qui fait écho à la période actuelle. Les entreprises sont plus que jamais amenées à vivre des changements, avec en tête des préoccupations comme le climat et l’intelligence artificielle. Personne n’y échappe et cela touche toutes les strates de l’organisation. Sur les ondes de la RTS, Valérie Beaulieu, directrice chez Adecco, évoquait il y a peu le fait que «40% des dirigeants de société sont conscients qu’il est plus facile de «transitionner», à savoir de reformer les employés, que de chercher de nouvelles compétences ailleurs». Un constat valable tant pour un métier amené à disparaître que pour une profession qui se maintient, mais dont les outils changent. Entretien avec Julie Knezevic, directrice de Scan-compétences.

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Julie Knezevic, «transitionner» plutôt qu’aller chercher de nouvelles compétences, est-ce la bonne approche pour une entreprise qui doit faire face aux défis actuels?

Cela fait partie de la responsabilité sociale des patrons. C’est surtout du bon sens, car le vivier de recrutement n’est pas infini. Il vaut donc mieux accompagner ses collaborateurs dans la transition et les former. Et l’avantage, c’est que ces derniers ont déjà la culture de l’entreprise.

On ne peut cependant pas ignorer la résistance au changement de certains. Comment l’appréhender?

Il est vrai que nous ne sommes pas tous égaux face au changement. Certains ont une appétence pour la nouveauté, qu’elle soit technologique ou organisationnelle. Ils seront des agents du changement. Un deuxième groupe suivra le mouvement, à son rythme, et le troisième niveau sera réticent. Par exemple, une équipe habituée à une routine et à un travail précis aura de la peine à accepter un bouleversement sans un cadre très clair. Ce sera différent pour la R&D, encline, de par sa nature, à la nouveauté. L’employeur devra évaluer ce contexte interne, mais ce n’est pas suffisant.

Qu’entendez-vous par là?

Le contexte personnel de chacun a aussi une influence. On sera moins ouvert aux changements professionnels si son environnement privé est déjà bouleversé. Attention, contrairement aux idées reçues, la nouvelle génération n’est pas plus flexible que les plus âgées. On observe souvent même l’inverse, avec de l’anxiété chez les jeunes, alors que les plus anciens ont acquis de la résilience. Notez aussi que l’aisance de chacun face à ce qui le dépasse, comme le climat ou l’intelligence artificielle, facilite ou non cette transition. «Comment puis-je m’intégrer dans ce nouveau projet?» est une question saine. Un dernier axe est celui de son rapport à l’incertitude. Naturellement, il y a des personnes plus optimistes et d’autres plus pessimistes.

Face à une telle diversité, comment préparer les collaborateurs à une transition?

Développer une culture du débat et du feed-back dans l’entreprise permet de ne pas accueillir un changement comme un séisme. L’idéal est d’insuffler un état d’esprit positif où l’on corrèle l’acquisition de compétences aux bouleversements. Cette approche permet de s’identifier au projet et non pas de l’appréhender seulement dans la douleur.

Et pour les personnes moins enthousiastes?

Il faut comprendre d’où viennent les résistances. Le management de proximité est là pour ça. Les équipes doivent être habituées à verbaliser leurs inquiétudes et leurs émotions. Il n’y a rien de pire qu’une séance où personne ne s’exprime. Rien ne vaut un débat musclé pour avancer dans un projet. Important également: la direction doit être capable d’expliquer que le changement engendrera des gains, mais aussi des pertes. Chacun doit prendre conscience de cela. On parle aussi du modèle ADKAR pour la gestion du changement (Awareness: prise de conscience, Desire: désir, Knowledge: connaissance, Ability: capacité, Reinforcement: renforcement, ndlr).

Et que faire des réfractaires? Il n’est pas rare de voir en entreprise des personnes avec des aménagements, car elles n’ont pas su s’adapter.

On ne peut pas embarquer tout le monde au même moment. Le dirigeant doit aussi accepter le fait qu’il faut attendre parfois que la majorité monte à bord. On sait que les changements dans l’urgence fonctionnent à court terme, mais génèrent d’autres problématiques ultérieures. Cependant, mettre en place un système inéquitable n’est pas une option durable, à quelques exceptions près. Par ailleurs, ce n’est pas rendre service à cette personne, sauf si elle est proche de la retraite. Enfin, il faut accepter qu’avec tout changement il y aura des insatisfaits. Attention également à ne pas surprotéger ses collaborateurs au quotidien. Ceux-ci doivent aussi être capables de trouver leurs propres ressources. Si vous avez habitué vos équipes à être là au moindre souci, le jour où un changement important arrivera, tous seront démunis.

Les séances de consultation communes, dans lesquelles chacun peut s’exprimer, se voient de plus en plus. Une bonne idée?

L’exercice n’est pas facile pour le management, mais il est nécessaire. Le tout premier message de la direction doit être: «C’est OK de ne pas être ouvert au changement.» Tout ça doit être déposé, pour déconstruire certains schémas et en reconstruire d’autres. Si on impose une nouveauté sans ouvrir le dialogue, on va verrouiller la capacité de s’approprier l’idée. Ensuite seulement, le management peut se positionner comme un soutien pour la mise en place d’un nouveau cadre. Cela permet aussi de parler des compétences de chacun et de repositionner le problème de manière concrète. C’est l’approche par compétence. Ce modèle est très intéressant avec l’arrivée des nouveaux métiers. Il faudra évaluer les compétences réelles, y compris les soft skills, et celles à (re)former. Cette logique est valable aussi dans le recrutement de nouveaux collaborateurs.

Vous parlez du KPI du changement. De quoi s’agit-il?

Selon la Harvard Business Review, 70% des initiatives de changement échouent en raison des résistances. Utiliser des KPI – des indicateurs clés de performance – pertinents pour l’entreprise augmente le taux de réussite. Qu’est-ce que je veux mesurer, la satisfaction des équipes, la productivité…? Ces KPI permettent de se poser les bonnes questions en amont et d’anticiper les résistances.

TB
Tiphaine Bühler